Portée par une étincelle de malice, le sourire généreux et le regard en biais, Eleanor Roosevelt semble avoir marqué l’Histoire américaine d’un souvenir indélébile. Si l’on dit que « les grands hommes ne meurent jamais », c’est peut-être plus vrai encore pour certaines femmes. Plus rares à avoir accédé au sommet du pouvoir, leur envie de s’investir ne pouvait qu’en sortir renforcée. Elle n’était ni belle, ni érudite, ni douée de talents particuliers : rien ne prédestinait Eleanor à devenir première dame et encore moins à doter ce statut de ses lettres de noblesse essentielles. Et pourtant. Laide, elle avait su se donner un genre. Transgressant sa timidité, elle ne redoutait pas le scandale. S’affranchissant des diktats de sa fonction et les maniant à sa guise, cette nature force autant l’admiration qu’elle suscite l’incompréhension. Aussi insaisissable et brillante que les deux faces d’un dollar frappé.
Une envolée éclair
« Vous devez faire les choses que vous vous croyez incapable de faire ». De cette phrase, Eleanor avait fait une ligne de conduite. Née le 11 octobre 1884 et marquée par une enfance douloureuse, cette timide enfant sort transformée et pleine d’assurance de ses études en Angleterre. À son retour, elle épouse un lointain cousin, qui n’est autre que le futur président des États-Unis, Franklin Delano Roosevelt. Comme beaucoup de ses pairs, elle aurait pu se contenter de la simplicité du bonheur familial ; bien maigre perspective pour cette première dame qui n’a aucune intention de rester dans l’ombre de son mari. Libertaire et activiste, elle ose s’opposer au racisme en défendant le Mouvement américain pour les droits civiques, dont les orientations étaient loin de faire l’unanimité à l’époque. Féministe convaincue, elle permet aux femmes de s’engager dans l’armée de l’air en qualité de pilote en créant le Women Airforce Service Pilots.
Un vent de révolte ?
Si la première partie de la vie d’Eleanor fut marquée par un certain conservatisme, il semblerait que les infidélités de son époux l’aient changé du tout au tout. S’affirmant dès lors comme une personnalité à part-entière de la Maison Blanche, elle se plait même à cultiver l’art du contraste pour gagner en popularité, à commencer par la politique où elle se montre bien plus libérale que FDR. Ses prises de positions dérangent ? Raison de plus pour les relayer dans les médias et notamment dans son célèbre texte « My day » qui raconte les jours passés en plein cœur du pouvoir. Langues de bois s’abstenir. Sexuellement enfin, elle aurait succombé maintes fois aux charmes féminins, devenant ainsi le symbole suprême d’une émancipation assumée. Belle revanche pour cette femme trompée dont la mère n’avait de cesse de souligner la laideur. Son culot ne l’empêchera pas cependant d’apporter un soutien infaillible au président alors qu’il se retrouve amputé des deux jambes à la suite d’une poliomyélite.
En politique, on se souviendra de sa contribution déterminante dans la création de l’Organisation des Nations unies et dans la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Le monde, quant à lui, garde la mémoire d’une femme qui avait osé défier toutes les convenances auxquelles la vie l’avait prédisposée. Une témérité exemplaire, exempte de toute impudence.