A force de le voir évoluer au sommet de l’Etat, on en vient parfois à oublier qu’Emmanuel Macron n’est qu’au début de sa carrière politique. Les haines recuites entre les protagonistes plus agés de la vie publique lui ont laissé le champ libre à un moment précis de notre histoire, il y a deux ans.Des mérites certains et une chance insolente ont fait le reste en lui permettant d’éviter les apprentissages en principe obligés de la vie pubique, tel l’accomplissement des mandats territoriaux.
Cette originalité lui dessine un profil d’exception sans lui conférer pour autant une vraie réputation professionnelle. Il y a souvent dans le public une différence entre l’admiration et la confiance. Electrices et électeurs aiment la fougue de la jeunesse tout en flairant chez le débutant une possible source de déconvenues. Dans l’inévitable pesée des avantages et des inconvénents, l’atout de disposer d’un « homme neuf » a pesé, voici somme toute peu de temps, plus lourd que l’appréhension des tatonnements. Mais l’excessive personnalisation du pouvoir sous la V ème République pousse déja, cependant, à reconsidérer les plateaux de la balance…
Comme on aurait du mal à trouver aujourd’hui chez les chroniqueurs un portrait nuancé de de notre chef de l’Etat, risquons nous à l’exercice. A-t-il vraiment commis beaucoup d’erreurs, ce jeune président ? Assurément oui. Et l’on enrage en constatant qu’elles ont presque les mêmes causes que celles de ses prédecesseurs : « timing » brouillon, indécision, communication hasardeuse, centralisation élyséenne poussée jusqu’à l’absurde, etc… Sont-elle excusables ? Oui, presque toutes sauf une qui présente l’allure d’une faute : s’enferrer dans ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Benalla » en distillant les provocations incongrues, de style « qu’on vienne me chercher ». Le pire pour lui maintenant serait de prendre prétexte de la curiosité de la commission d’enquête sénatoriale dédiée au dossier précité pour partir dans une croisade contre la chambre haute et le bicamérisme. La vindicte est toujours mauvaise conseillère. Souvenons-nous toujours de l’air gêné de l’Amiral de Gaulle et de Maurice Couve de Murville lorsqu’ils vinrent s’asseoir, bien contents de jouer encore un petit rôle, dans l’hémicycle que le fondateur de la Vè avait voulu supprimer !
Le principal souci du premier magistrat de notre pays devrait être de mettre fin à la crise dite « des gilets jaunes » . Ce mouvement est tellement divers que jeter le Sénat en pature à la foule déchaînée ne changerait pas grand chose. D’ailleurs, quitte à faire droit aux réclamations les plus populistes, notons que le départ de l’actuel Président de la République est encore plus demandé que l’éviction des élus du Palais du Luxembourg. C’est d’ailleurs, paradoxalement, le caractère absurde et excessif de cette revendication qui protège le plus le chef de l’Etat. N’a-t-il pas été élu au terme d’une présidentielle certes riche en coups de théâtre mais tout à fait régulière ? Par quelle voie procédurale, hors démission de l’intéressé, pourrait-on déclencher un « empeachment » à la française provoquant une nouvelle élection ? Que ses adversaires le veuillent ou non, le locataire de l’Elysée reste pour le moment « irremplaçable » à la fois au nom du droit et en raison du contexte politique car on ne lui distingue pas de successeur crédible. On pourrait même dire, sous forme de plaisanterie, qu’il est comme le Sénat, cet autre « irremplaçable » de notre vie publique. C’est un grand avantage pour Emmanuel Macron mais cela lui confère aussi l’obligation de montrer, en se faisant aider au besoin par des politiques chevronnés, que la démocratie représentative reste encore capable de venir à bout d’un conflit protéiforme.