Après le Conseil européen du 27 juin, le Parlement européen désignera son nouveau président le Ier Juillet, dès le début de la session plénière à Strasbourg. Le calendrier prévoit ensuite que le président de la Commission soit désigné par le Parlement, entre le 14 et 17 juillet, en avalisant ou en refusant le choix des chefs d’Éttat et de gouvernement. La désignation des Commissaires, selon une procédure complexe, prendra ensuite un peu de temps : les Éttats présenteront au nouveau président de la Commission les différents candidats qui seront auditionnés par le Parlement. Il est prévu que la nouvelle Commission entre en fonction le I er Novembre. Deux des candidats à la présidence de la Commission ont accepté de répondre aux questions du “Courrier du Parlement”. Voici les interviews de Martin Schulz, président sortant du Parlement européen, candidat de l’APSD (Alliance progressiste des socialistes et des démocrates) et de Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre de la Belgique et candidat de l’ALDE (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe).
Martin Schulz : “Je veux rétablir la confiance”
Quels sont les grands enjeux qui attendent l’Europe au lendemain de ce scrutin ?
Je pense que l’emploi est le sujet qui préoccupe les Européens en tout premier lieu. L’Europe a une vraie carte à jouer pour re- lancer la croissance sur le continent, encourager les investissements, accompagner le retour ou l’entrée sur le marché du travail de ses citoyens. Voilà le principal enjeu.
Plus spécifiquement, quels seraient les dossiers sur lesquels vous souhaiteriez intervenir rapidement, en cas de victoire ?
Je veux rétablir la confiance. Pour cela, il faut que nous donnions toutes ses chances à la jeune génération, car bien qu’étant la mieux formée de toute l’histoire de l’Europe, elle se retrouve à payer les conséquences d’une crise dont elle n’est sûrement pas responsable! Je veux donc renforcer et développer la Garantie jeunesse pour ne pas laisser ces jeunes sur le bord de la route, afin qu’ils puissent gardent confiance en l’avenir et accéder à un apprentissage, une formation ou des études, s’ils ne trouvent pas d’emploi dans les 4 mois qui suivent leur entrée sur le marché du travail. Je veux rétablir la confiance des entreprises. L’Europe ne manque ni de compétences, ni de créativité, ni d’un grand marché, si ce n’est de crédit pour se développer. Si nous avons mis sur pied l’Union bancaire pour stabiliser le système bancaire européen, il faut que les banques en prennent conscience et investissent de nouveau dans l’économie réelle. Il est inacceptable qu’elles empruntent à des taux très bas auprès de la BCE en refusant de prêter à nos entreprises. Je veux rétablir la confiance entre les Européens. Des principes sont aujourd’hui remis en cause, comme la libre circulation des travailleurs. Il faut remettre à plat la directive détachement pour en gommer les effets pervers. La mobilité de ces travailleurs et des compétences européennes est une chance, elle ne doit pas être synonyme de dumping fiscal pour les citoyens. Je veux rétablir la confiance envers les grandes entreprises. Il est inacceptable que certains groupes fassent des milliards de profits en Europe en y payant des impôts dérisoires. À ce titre, nous devons mettre en place une harmonisation de la fiscalité à l’échelle européenne, pour lutter contre cette fraude sociale que l’on appelle optimisation fiscale. Je veux enfin rétablir l’égalité des chances entre les citoyennes et les citoyens. Il parait inconcevable que je doive le marteler en 2014 : à compétence et travail égal, salaire égal.
Selon vous, quel rôle les institutions européennes doivent-elles remplir ? Faut-il aller vers davantage d’intégration ?
À mon sens, la Commission doit se concentrer sur les domaines où elle peut faire la différence. Nous n’avons plus de temps à perdre dans des réglementations tatillonnes alors qu’il est urgent de s’investir dans la défense de l’emploi, de nos entreprises, dans la justice fiscale et sociale. D’autre part, la montée en puissance du Parlement européen est inexorable. La Commission lui deviendra de plus en plus redevable, et donc plus transparente. Quant au Conseil, il doit accepter pleinement son rôle de co-législateur du Parlement.
Guy Verhofstadt : “Pour une Union plus étroite”
Quels sont les grands défis qui attendent les Vingt-Huit au cours de la huitième législature ?
Nous allons entrer dans une nouvelle phase de la mondialisation avec l’émergence de la Chine comme première puissance économique mondiale. Cela a des côtés positifs. La classe moyenne chinoise, qui se compte en centaines de millions d’individus et va encore grossir, constituera un formidable réservoir de croissance car les Chinois sont de gros consommateurs qui apprécient les produits de qualité, notamment français. D’un autre côté, la Chine va revendiquer un rôle politique à hauteur de son poids et elle a déjà commencé. Le principal défi de cette législature sera ainsi de maintenir le rang de l’UE dans un monde où l’Europe risque d’être marginalisée.
Quelle direction devra, selon vous, prendre la prochaine commission européenne ?
La Commission européenne doit reprendre le leadership face au Conseil européen. Celui-ci ne parvient qu’à dégager des compromis entre intérêts nationaux souvent contradictoires, seule la Commission européenne est en mesure de bâtir des projets incarnant l’intérêt général européen. Cet intérêt général européen commande que l’Europe retrouve la voie de la croissance et de l’emploi en se tournant résolument vers les secteurs porteurs du XXIème siècle. C’est pourquoi je propose que tous les arrangements et dispositions réglementaires soient pris pour permettre l’éclosion d’une communauté européenne de l’énergie, la constitution d’une industrie européenne du numérique ainsi qu’une intégration plus poussée des services financiers. Pour financer ces grands travaux d’infrastructures industrielles énergétiques et numériques, je préconise que l’on fasse appel à l’énorme épargne privée européenne à travers l’émission d’obligations que j’appelle emprunts d’avenir.
Que pensez-vous du bilan du président José Manuel Barroso ?
Il a peu à peu transformé la Commission en secrétariat général du Conseil et ce mouvement s’est amplifié avec la crise financière. L’euro est la monnaie de l’UE, la gestion de la zone euro fait donc partie des prérogatives de la Commission. Pourtant le président Barroso n’a jamais usé de son droit d’initiative s’il n’avait reçu au préalable l’imprimatur des grands pays. Le droit d’initiative législatif est de la compétence exclusive de la Commission et ne pas l’utiliser toutes ces dernières années pour défendre l’intérêt général européen face aux égoïsmes nationaux a été une grave erreur politique.
Comment faire face à la montée de l’euroscepticisme dans de nombreux pays européens ?
Affirmer le projet européen attaqué de toute part, y compris par des partis de gouvernement. L’euroscepticisme se nourrit de la peur d’un monde qui bouge. Il faut du leadership à la tête de la Commission européenne pour bien montrer que l’Europe est au contraire la seule solution pour retrouver de la souveraineté. Tous les populistes et nationalistes peuvent toujours surfer sur les mauvais côtés de l’Europe et le ratage de ces dix dernières années mais ils n’ont aucune réponse sérieuse au fond du problème : aucun Éttat membre n’a la taille critique suffisante pour pouvoir espérer demeurer souverain dans le monde du XXIe siècle !
Propos recueillis par Pauline Pouzankov et Etienne Girard