Et c’est ainsi que s’écrit l’histoire. Avec un petit « h » pour le moment. Moins d’un an après son arrivée à l’Élysée, François Hollande a fait ses débuts en tant que héros d’un film de fiction, sous les traits de l’acteur Patrick Braoudé. Il n’était pas cependant au centre de l’intrigue. Le téléfilm de Bernard Stora, déjà auteur du Grand Charles avec un général de Gaulle joué par Bernard Farcy, s’appelle La dernière campagne et il a été diffusé par France 2 le 17 avril dernier.
Le scénario, un peu étrange mais plutôt astucieux, évoque le rêve exaucé de Jacques Chirac – interprété par Bernard Le Coq – de voir le corrézien François Hollande terrasser l’irrespectueux Nicolas Sarkozy, incarné pour sa part par Thierry Frémont. Avec d’autres qualités certaines, le téléfilm présente une particularité. C’est la première fois que l’on voit autant de personnages liés à l’actualité la plus contemporaine entrer dans les foyers français à une heure de grande écoute au fil de dialogues réalistes mais imaginaires tenus par des comédiens. Apparaissent ainsi, notamment, Bernadette Chirac (Martine Chevallier), Henri Guaino (Michel Bompoil), Manuel Valls (Pierre Samuel), Pierre Moscovici (Pierre Banderet), Claude Chirac (Anne Loiret), Jean-Louis Debré (Henri Courseaux), Stéphane Le Foll (Philippe Résimont), Nathalie Kosciusko-Morizet (Clémentine Serpereau), Patrick Buisson (Eric-Emmanuel Schmitt)… Il faut presque remonter au « Paris-Brule-t-il ? » de René Clément pour trouver autant d’hommes et de femmes politiques prendre corps grâce à des acteurs, quand Alain Delon jouait Jacques Chaban-Delmas et Michel Piccoli Edgard Pisani. Et encore l’œuvre portait-elle sur des faits historiques (la libération de Paris) racontés plus de vingt ans après qu’ils se soient déroulés…
Le passage rapide de la réalité de la vie publique à la fiction vraisemblable s’impose donc comme une tendance lourde favorisée par l’évolution de la culture télévisuelle, laquelle n’a pas que de mauvais côtés. Longtemps, les cents actes divers de la démocratie en action étaient réservés aux commentateurs et historiens spécialisés et les réalisateurs d’œuvre d’imagination ne s’en emparaient qu’avec d’infinies précautions. En France, le septième art se méfiait d’un tel sujet d’inspiration et la télévision – considérée dans les premiers temps de la Ve comme « la voix de la France » selon l’expression célèbre de Georges Pompidou – fut encore plus frileuse. Dans Le Président (1960), film culte d’Henri Verneuil dialogué par Audiard tiré d’un roman de Simenon, le magistral Jean Gabin construit un profil idéal d’ancien chef de gouvernement des républiques parlementaires, une sorte de Mendès-France pour la rigueur et de Clémenceau pour la verdeur de langage, un héros lucide et désabusé qui quitte la scène en renvoyant les élus à leurs petits jeux de façon gaullienne. Bref, un personnage composé de beaucoup d’autres et trop idéal pour avoir existé… Il faut cependant le revoir chaque fois que l’on a l’occasion car il est très instructif sur les mœurs politiques et contient un plaidoyer réaliste en faveur de l’Europe. L’influence du belge Georges Simenon sans doute…
Jouer la complexité
L’un des films récents qui utilisa le mieux les ressources de la fiction pour approcher au plus près de la réalité fut sans conteste La conquête (2011) de Xavier Durringer, véritable « thriller » qui raconte l’ascension de Nicolas Sarkozy. Avant Thierry Frémont, c’est donc Denis Podalydès qui a eu le privilège d’être le « double » au cinéma de l’ancien président. Il l’a fait en plongeant le spectateur dans toute la complexité d’un homme plutôt « décalé » par rapport à la société politique de son temps du fait de son histoire personnelle, de son comportement et des aléas de la vie privée puisqu’il est quitté par sa femme au plus fort de son action. Au passage, le sénateur de Paris Pierre Charon, ami de Nicolas Sarkozy, était interprété par Dominique Besnehard, sans doute en raison d’une similitude de silhouette. « L’acteur qui joue mon rôle m’a donné envie de me mettre au régime », avait remarqué l’homme politique…
Le plus grand péril qui guette les acteurs dans ce genre d’exercice, c’est la tentation de l’imitation. À l’inverse du chansonnier qui « attrape » la voix et les mimiques du héros, le comédien de métier doit, sans cesser de rester lui-même pour montrer que l’on est dans la fiction, « être un personnage » que le public connait par cœur. Il est beaucoup plus facile de jouer d’Artagnan ou François Ier dont on n’a pas conservé l’image !
C’est pourquoi quand Bruno Solo entre dans la peau de l’Accusé Mendès-France (diffusé en avril dernier sur France 5) ou que Jacques Villeret, peu de temps avant son décès, nous montre un Georges Mandel aux prises avec les collaborateurs, le travail de l’acteur est un peu différent : jouer quelqu’un qui n’a été que peu filmé demeure plus simple que l’incarnation d’un homme un million de fois regardé sous toutes les coutures.
La voie en ce domaine a été ouverte de façon magnifique par Michel Bouquet avec son interprétation de François Mitterrand dans Le promeneur du Champ-de-Mars de Robert Guédiguian. Grande figure du théâtre et professeur d’art dramatique, Michel Bouquet avait campé un Mitterrand plus vrai que nature sans tomber un seul instant dans la caricature. Non professionnel des planches, l’académicien de droite Jean d’Ormesson qui entretenait avec François Mitterrand une relation de fascination-répulsion, a accepté de relever le défi pour le film Les saveurs du palais racontant l’aventure d’une cuisinière de l’Élysée aux côtés de Catherine Frot. Un pari plutôt réussi car l’écrivain n‘a eu aucun mal à entrer dans « l’apparence » de l’ancien chef de l’État, comme lui septuagénaire aux manières vieille France…
Les autres interprètes de François Mitterrand furent Philippe Laudenbach (Les prédateurs, téléfilm de Lucas Belvaux) et Philippe Magnan (L’affaire Farewell de Christian Carion et Changer la vie de Serge Moati). Le cas de Jean-Louis Trintignant est particulier. Il a campé le premier président socialiste dans Le bon plaisir de Francis Girod, d’après le roman de Françoise Giroud. Mais c’est un film daté dans la mesure où, sorti en 1984, personne – non seulement au sein de l’équipe de réalisation, mais aussi au sein de la critique – n’avait osé désigner nommément François Mitterrand. Ce qui n’a jamais cessé d’être troublant, en revanche, c’est que Françoise Giroud avait imaginé l’histoire d’un président qui avait « une fille cachée ». Lors de la sortie du film, tout le monde salua l’astuce de l’ancienne directrice de L’Express, qui avait été à la fois amie de François Mitterrand et ministre de Giscard d’Estaing, et qui avait pu ainsi inventer un scénario correspondant aussi bien au premier qu’au second. Alors qu’elle était surtout bien informée…
Un « alias » cinématographique
Plus près de nous, un véritable courant de curiosité est en train de se créer autour de Gérard Depardieu qui, en marge du « feuilleton » de son départ en Belgique et de sa naturalisation en Russie par Vladimir Poutine, a accepté de devenir l’alias cinématographique de Dominique Strauss-Khan. D’après ce que l’on sait du scénario, il s’agit moins de retracer la vie du brillant économiste socialiste que de raconter ce qui lui est arrivé à New-York au terme de sa rencontre avec une certaine Naffissatou Diallo.
À une question posée en Russie et portant sur son choix d’incarner DSK, Gérard Depardieu a répondu : « Il n’est pas aimable […] Je pense qu’il est un peu comme tous les Français, un peu arrogant. Je n’aime pas trop les Français d’ailleurs, surtout comme lui […] Il est arrogant, il est suffisant, il est… jouable ».
Une « photo volée » du tournage du film du réalisateur Abel Ferrara a été diffusée par une journaliste du Huffington Post. Elle a fait le tour du Net en un éclair. Elle montre Depardieu-DSK sortant menotté des locaux de la police de New-York, réplique fidèle de la scène dont les télévisions du monde entier avaient fait leurs choux gras. Isabelle Adjani, un temps sollicitée pour jouer Anne Sinclair, a décliné l’offre car elle considère que le film repose sur une « introduction dans la vie privée ». C’est Jacqueline Bisset, actrice anglaise de mère française, qui incarnera au final l’épouse de l’ancien patron du FMI.
Nul ne sait encore si « l’affaire Cahuzac » sera un jour portée au petit ou grand écran. Il y a dans cette histoire tous les ingrédients d’une véritable œuvre d’une progression dramatique graduée, avec la trajectoire d’un beau chirurgien happé par les poisons et délices de la politique. La phase « confession télévisuelle » pourrait constituer l’apogée d’un passionnant « docu-fiction ». Mais c’est encore un peu tôt et il faudra trouver un sacré bon acteur !