Le rêve européen, qui était un rêve français, n’est-il pas en train de mourir ?
Il n’y a plus de rêve européen. Il y a une déception européenne profonde, qui tourne parfois à la colère. On le voit en Grèce, en Espagne et cela peut très bien gagner la France. Il est urgent de réagir. L’Europe ne défend plus assez ses intérêts, ne préserve plus assez ses emplois, ne permet plus un contrôle de ses frontières extérieures efficace et n’offre plus aucun projet de société pour l’avenir. Aucun ! Elle doit radicalement changer de direction.
Cela se dit depuis plusieurs années et rien ne change. Pourquoi ?
Il faut partir de choses concrètes, simples, de bon sens. Exemple : dans les cantines scolaires, au nom du dogme de la concurrence, on a des appels d’offres, mais le seul critère imposé par l’Europe, c’est le prix ! Moyennant quoi, si les pommes les moins chères sont produites au Chili, ce sont elles qu’il faut faire venir. Cette Europe-là, nos producteurs n’en veulent plus ! Ils demandent aussi un critère de proximité ! Ce que j’ai obtenu, mais au bout d’un an. De tels exemples pullulent. Si l’Europe ne s’éloigne pas de l’idéologie de libre-échange pur et absolu pour aller vers la défense intérêts des citoyens, des producteurs, des emplois, elle s’expose à des réactions extrêmement violentes et légitimes de la population.
Comment cette idéologie est-elle devenue dominante ? Ce n’était pas celle des fondateurs de l’Europe.
Depuis sa création, l’Europe s’est élargie au détriment de son projet initial. L’entrée de la Grande-Bretagne, des pays du Nord dans l’Union, a beaucoup changé la conception de la construction européenne. De plus, le choix d’une construction technocratique (avec une Commission et des directions générales) était en notre faveur tant que l’Union rassemblait un petit nombre de membres aux options politiques semblables. Lorsqu’elle s’est élargie à des pays qui ne partageaient pas les mêmes conceptions et dont les fonctionnaires sont venus dans les directions influencer les décisions politiques, elle s’est éloignée des ambitions initiales. Le projet européen s’est déporté vers une Europe libérale et la constitution d’une zone de libre-échange.
Le traité sur la stabilité et la gouvernance relève-t-il de l’idéologie libérale ?
Ce traité est un pari dont nous verrons les effets d’ici un an ou deux. Pour la première fois depuis 1957, nous actons qu’il ne sera plus possible d’avoir à 27 la même conception du projet européen. Après avoir élargi, nous resserrons sur les 17. C’est une occasion historique de redéfinir le projet européen. J’espère vraiment que cette occasion ne sera pas manquée.
L’Allemagne est-elle favorable à ce tournant ?
Je propose que nous ouvrions une discussion, sur plusieurs mois, avec les Allemands pour réorienter l’Europe dans le sens de la défense des emplois, des producteurs, des industriels, des agriculteurs européens membres de la zone euro à 17. Madame Merkel a posé un projet de société pour l’Europe ; je suis en désaccord sur un certain nombre points, mais la France est totalement absente du débat. Il est impératif qu’elle reprenne sa place sur la scène européenne, mais il y a deux conditions : retrouver une crédibilité économique et des résultats; présenter une vision globale de l’Europe, ce qui fait cruellement défaut chez François Hollande.
Comment éviter que l’austérité soit le seul horizon des peuples européens ?
Je suis favorable à une réorganisation des finances publiques et à un meilleur contrôle des dépenses budgétaires, mais il faut nous engager dans de profonds changements européens. J’ai fait des propositions : le critère de l’investissement dans la recherche et l’innovation par rapport au PIB doit être obligatoire au même titre que celui de la dépense publique ; la création d’un marché de l’emploi franco-allemand ; un service civique ou militaire commun financé dans le budget européen… Sur les institutions, tout est à faire !