Pourquoi avoir décidé de publier un livre ? Souhaitiez-vous par là laver votre honneur ?
Tout est parti d’un besoin très simple. Il s’agissait de dire comment j’avais vécu ce qu’on a appelé « la crise » à la CGT. J’avais besoin de dire d’où venait cette crise, sur quoi elle s’appuyait, quelles ont été les méthodes utilisées et en même temps dire qui je suis, en fait. Quand on a été sali comme je l’ai été, existe ce besoin de redire qui on est. Lorsqu’on m’a affublé des étiquettes de « Lepaon bling-bling », qui est la marque de fabrique que l’on collée à Nicolas Sarkozy, forcément, cela suscite des réactions. J’ai donc eu besoin d’en parler, de dire ce que je savais et d’en tirer enseignement pour des questions politiques puisque je mène dans ce livre un débat d’idée à partir des cinq chantiers que j’avais déjà évoquées lorsque j’étais secrétaire général de la CGT.
Dans votre ouvrage, vous estimez que la campagne de presse vous visant a été orchestrée pour cibler la CGT. Mais orchestrée par qui ? Vous ne citez explicitement personne. S’agissait-il de personnes au sein de la CGT qui voulaient vous nuire ? Si les pressions venaient de l’extérieur, qui avait intérêt à s’en prendre à la CGT à travers vous ?
Deux choses se sont produites simultanément. Des personnes au sein de l’organisation syndicale, parmi les dirigeants, ont voulu porter atteinte à l’honneur du secrétaire général pour provoquer sa démission. Dans mon livre, j’explique comment ils ont y compris mis en concurrence des organes de presse pour diffuser dés informations volées à l’intérieur de l’organisation. Cela a reçu un écho auprès de certains médias qui, depuis déjà plusieurs mois, voire plusieurs années, contestent la place, le rôle et l’importance de la CGT dans le pays dans lequel nous sommes. C’est ce que j’ai appelé « le mariage de la carpe et du lapin ». Certains voulaient se payer l’homme, d’autres l’organisation et le rassemblement des deux a eu pour conséquence que l’homme comme l’organisation ont souffert.
Vous avez été blanchi par une enquête interne de la CGT en avril, trois mois après été contraint de démissionner. Aurait-on pu éviter cette issue ?
Comme je l’explique dans le livre, je suis arrivé dans des circonstances particulières à la tête de la CGT. J’avais pour ambition de mettre en œuvre les décisions prises par le congrès confédéral de la CGT, le congrès de syndicats. Certains dans l’organisation contestaient – non pas ouvertement, parce qu’ils ont été battus, mais dans les couloirs – les décisions prises par les syndicats réunis en congrès et ceux-là n’ont pas eu la franchise d’avoir un débat politique, ce qui aurait été noble dans notre organisation. Ils ont préféré se servir notamment d’éléments volés à la comptabilité pour porter atteinte au secrétaire général de la CGT.
Votre arrivée à la tête de la CGT a été présentée comme « choix par défaut » pour mettre un terme à la guerre interne qui affaiblissait la CGT. Avez-vous l’impression d’avoir payé, à deux ans d’écart, les conditions de votre accession à la tête de la CGT ?
Evidemment. Certains n’ont jamais digéré que ce soit Thierry Lepaon qui soit secrétaire général de la CGT. Ils soutenaient d’autres candidats, qui correspondaient à d’autres types d’organisation. Ils ont été battus au moment de la préparation du 50ème Congrès, qui s’est tenu à Toulouse en mars 2013. Comme je l’explique dans le livre, l’offensive a été déclenchée le jour où j’ai répondu à une interview de Michel Noblecourt dans « Le Monde » (le 9 octobre 2014, soit près de trois semaines avant les révélations du « Canard enchaîné », le 29 octobre, ndlr) dans laquelle je dis que si on me demandait d’effectuer un nouveau mandat, j’examinerais les conditions mais je dirais oui.
Vous comparez votre histoire à celle d’autres secrétaires généraux de la CGT, qui ont également subi des attaques personnelles, comme Henri Krasucki. Ce dernier est cependant resté en place pendant dix ans, malgré les épreuves. Auriez-vous pu vous maintenir à la tête de la CGT ?
La situation est devenue insupportable pour moi. J’étais venue pour rassembler les organisations, pour les faire travailler ensemble, pour mettre en œuvre les décisions du Congrès. Et quand, pendant 90 jours, vous encaissez les coups chaque jour, que ce soit en interne ou en externe, on ne peut plus supporter l’insupportable. Il y a aussi une dimension nouvelle dans mon cas. Quand Henri Krasucki a été victime d’attaques, comme Bernard Thibault d’ailleurs, il avait une direction, un bureau confédéral qui faisait bloc derrière lui. Ce qui n’était pas mon cas. J’avais un bureau confédéral divisé, ce que je savais. Et donc, quand on reçoit une avalanche de coups et qu’on n’a pas non plus une équipe sur laquelle s’appuyer, cela ne peut pas marcher.
Plus généralement, quel regard portez-vous sur l’état de la CGT aujourd’hui et à plus grande échelle, sur celui du syndicalisme français ?
Sur la CGT, je reprends les cinq grands chantiers qui me paraissent essentiels, notamment sur le besoin de reconnexion entre les militants de la CGT, voire les dirigeants, et le monde du travail. Je pense qu’une déconnexion s’est opérée au cours des dernières années et qu’il faut savoir redonner la parole aux salariés si on veut être un syndicat de masse. Plus globalement, sur le syndicalisme, je pense que tant que les syndicats n’auront pas sur des questions essentielles des plateformes communes pour agir ensemble, cela ne peut fonctionner. L’histoire sociale de notre pays le démontre. Quand les syndicats avancent unis, ils ont une chance de se faire entendre. Quand ils avancent désunis, ils sont voués collectivement à l’échec. Je pense qu’il existe deux ou trois questions essentielles sur lesquelles les syndicats devraient être unis. La première concerne les salaires dans notre pays et le rapport au travail. Je pense que l’on est encore en train de dévaloriser le travail et que quand 70% des Français nous disent que les conditions pour bien faire leur travail ne sont pas réunies, cela doit interroger le syndicalisme. Je pense aussi à la précarité. Aujourd’hui, 80% des embauches se font en contrat précaire. Ce qui signifie qu’en 15 ans, on a inversé la hiérarchie des normes. A cette époque, la majorité des embauches se faisaient en CDI, soit l’exact inverse d’aujourd’hui. Enfin, il y a besoin de retrouver l’énergie pour que les syndicats dans leur diversité se rassemblent sur les questions ayant trait à l’égalité entre les femmes et les hommes. Voilà pour moi des questions essentielles que l’on devrait pouvoir régler de manière plus collective en essayant d’avoir une plateforme commune avec l’ensemble des syndicats.