Au lendemain du premier tour des élections législatives, la très faible participation suscite plus d’interrogations que les deux autres leçons de ce dimanche électoral : le succès des candidats se réclamant d’Emmanuel Macron et la fin (peut-être provisoire) du système d’alternance gauche-droite rythmant notre vie politique depuis 1981. L’abstention reste de loin le phénomène le plus préoccupant car, en démocratie, tout pouvoir légitime procède des urnes. Pour expliquer cette « grève du vote », les démonstrations subjectives abondent. Beaucoup reprennent la théorie, naguère chère à Laurent Joffrin, de la « gauche sans le peuple », à savoir que les personnes élues pour traduire les volontés populaires ont négligé leur mission en s’embourgeoisant  et en se préoccupant surtout de jeux d’appareil. Notons qu’il s’agit-là d’une critique aussi vieille que la République. On l’entendait sous la Convention comme au temps de Jaurès, de Blum ou de Mitterrand. Mais celle-ci ne cessera jamais sans doute d’avoir cours. On l’a vu notamment avec les « frondeurs socialistes » qui ont passé leur temps, sans que les électeurs ne leur en sachent gré en fin de mandat, à accuser François Hollande et Manuel Valls de se comporter en suppôts du libéralisme. Cette façon d’expliquer la désaffection se mesure, pour partie, en comparant les taux de participation selon les zones géographiques. Ceux-ci ont été beaucoup plus faibles dans les fiefs jadis acquis à la gauche où les « désillusionnés de la politique », avant tout victimes de la dureté des temps, ne croient plus en grand chose, pas même aux discours des extrémistes. Mais cela ne suffit pas, loin de là , à éclairer toute l’analyse.
Une forme de « lassitude citoyenne » sera aussi prise en compte. Certains électeurs, notamment ceux, assez nombreux, qui étaient allés voter à la fois à la primaire de la gauche et à celle de la droite, en étaient à leur cinquième consultation en quelques mois !  Et dimanche prochain, pour eux, cela fera six…
La composition du gouvernement a joué quant à elle un rôle étrange, plus démobilisateur que l’inverse. Cela fait un drôle d’effet de voir que la droite ( Edouard Philippe, Bruno Lemaire) est au pouvoir mais que la gauche (Le Drian, Collomb) l’est aussi, ainsi que les écologistes (Hulot) et les centristes ( Bayrou).  Seuls les partisans de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen paraissent encore en droit de piaffer. L’élection d’un jeune président, se voulant de surcroît « jupitérien », ne semble-t-elle pas régler la question des choix citoyens pour cinq ans ? A quoi bon se déplacer, dès lors, puisqu’il suffit de peu d’électeurs pour lui fournir une majorité ! A contrario, ceux qui voudraient l’empêcher, par un vote en faveur de la constitution d’une force d’opposition, de concentrer trop de pouvoirs seraient presque perçus comme rebelles à l’esprit des institutions de la Vè République !
Ainsi se mesurera une certaine carence de l’instruction civique dans notre pays. Se passionner pour la présidentielle et se désintéresser des législatives, ce n’est pas du tout – comme d’aucuns le croient à tort – privilégier l’essentiel et négliger le superflu. Il s’agit, d’une certaine façon, d’un choix doctrinal. C’est opter, peut-être de façon inconsciente, pour le présidentialisme et accepter l’idée qu’un chef de l’Etat se mêle de tout, absolument de tout. Jusqu’à preuve du contraire, pourtant, son gouvernement sera responsable devant le Parlement qui restera l’irremplaçable caisse de résonance des soucis des Français…
Jean-François Bège
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