Qu’attendez-vous du grand rendez-vous de Biarritz ?
Nous sommes aujourd’hui dans une nouvelle phase politique, marquée par des changements importants, qu’il s’agisse de la présidentielle ou des majorités du Sénat et de l’Assemblée. L’actualité de ces derniers mois n’a pu qu’accentuer notre désir d’être une force de proposition capable de réaffirmer la place et le rôle de l’intercommunalité dans l’organisation du territoire. Nous avons connu une réforme territoriale en 2010 qui comportait différents volets. Celui qui concernait l’intercommunalité a répondu à certaines de nos aspirations tout en nous incitant à aller plus loin. Toute la réflexion, à Biarritz, portera sur l’évolution future des politiques publiques. Comment les rendre plus efficientes au service de nos concitoyens ? Il faut savoir que l’AdCF représente maintenant plus 1 200 communautés, allant de petites structures de moins de 5 000 habitants jusqu’aux grandes agglomérations.
L’État s’est-il montré trop autoritaire en tentant, sous l’impulsion de l’ancien gouvernement, des regroupements à “marche forcée” ?
Je n’évoquerai pas le volet de la réforme concernant le conseiller territorial. Pour ce qui est du développement de l’intercommunalité, un certain volontarisme n’était pas pour nous choquer. Nous avons cependant veillé, avec l’aide de nos partenaires des autres associations d’élus, à ce que les pouvoirs des préfets soient limités au sein des commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI) lors de l’élaboration des schémas. Il y a eu à cette occasion de très nombreux débats qui ont en définitive fait progresser l’intercommunalité. Au-delà de la situation de crise que chacun connaît, une telle évolution montre que cette forme d’organisation du “bloc local” est la plus adaptée à la réalité de la vie quotidienne de nos concitoyens, tout en respectant la très grande diversité des territoires.
La réforme vous a-t-elle complètement satisfait ?
Non, car si elle a permis des avancées, elle n’en a pas moins révélé certaines insuffisances. Une des critiques fondamentales que l’on peut formuler sur le processus de 2010, c’est l’absence d’une articulation entre réforme des collectivités territoriales et réforme de l’État. On ne peut sérieusement réfléchir, en effet, au rôle futur des communautés si l’on ne définit pas le rôle de l’État dans les territoires. À Biarritz, nous affirmerons la nécessité, déjà soulignée par le président de la République et le chef du gouvernement, d’une nouvelle étape de la décentralisation.
Dans le même état d’esprit, le Sénat a lancé une vaste consultation devant aboutir aux “États généraux de la démocratie locale”. Vous êtes-vous associé à cette démarche ?
Bien entendu. Nous avons participé au comité de pilotage de ces importantes assises mais notre positionnement institutionnel n’est pas le même. Notre convention portera essentiellement sur les “politiques publiques à l’échelle des territoires”. Il s’agit surtout de réfléchir à la réponse aux aspirations de nos concitoyens en matière d’aménagement, d’urbanisme, de logement, transport, de développement durable, etc. Car nous sommes en première ligne dans la plupart de ces domaines. Nous avons par exemple un rôle considérable à jouer en matière de “redressement productif” car les territoires doivent se mobiliser en faveur de la relance économique.
Beaucoup d’administrés éprouvent des difficultés à différencier les compétences entre les collectivités. Pensez-vous qu’une clarification soit à l’ordre du jour ?
La nécessité de clarifier passe par une double question : qui fait quoi et avec quels moyens ? Cela suppose une réforme de la fiscalité locale et une réflexion sur la répartition des ressources à l’intérieur même des communautés et entre les territoires. Pour nous, cela passe par un certain nombre de propositions précises qui seront soumises au débat de Biarritz. Elles ne partent pas lll lll de rien. Car ce qui singularise l’AdCF, c’est qu’il s’agit d’une assemblée née de la volonté de “promouvoir” l’intercommunalité et non pour défendre des intérêts existants. L’intuition de base du fondateur, le président Marc Censi – alors que l’on parlait encore de districts – était qu’il fallait “inventer” une force de proposition constructive. Nos travaux coïncideront cette année avec la volonté du gouvernement de mettre en chantier, au deuxième semestre 2012, une phase nouvelle de la décentralisation.
S’agissant de fiscalité, la taxe professionnelle a été supprimée au cours du quinquennat précédent. Certains élus semblent souhaiter son rétablissement.
Pensez-vous que cela soit souhaitable ?
On peut critiquer les modalités de cette suppression et même la répartition des ressources entre communes, départements et régions. Mais je ne crois pas que son rétablissement trouverait un consensus. Cela n’est ni faisable ni souhaitable. La question centrale de la fiscalité est beaucoup plus globale. Sa solution passe par un rééquilibrage des ressources entre un “impôt économique” qui doit être efficace pour ne pas pénaliser les territoires disposant d’un dense tissu industriel et la fiscalité des ménages qui doit être repensée. Dans le passé, une majorité d’intercommunalités ont eu pour ressource quasi-exclusive la taxe professionnelle unique qui a été un outil exceptionnel. Aujourd’hui, nous sommes en fiscalité mixte car nos ressources viennent aussi bien des entreprises que des particuliers. Cela suppose un bon fonctionnement des fonds de péréquation intercommunal et communal et une réforme de l’impôt des ménages qui est restée en suspens. Le “panier” des ressources fiscales comprend aussi les impôts affectés, comme le versement transport. Sans tout uniformiser, il devrait être possible d’évoluer vers une approche réaliste, pragmatique et efficace.
Une des grandes questions à propos de l’intercommunalité reste celle-ci : est-ce qu’elle génère des économies ou est-ce qu’elle crée des dépenses supplémentaires ?
Plusieurs études ont démontré qu’il y avait moins d’agents, au total, dans les territoires “intercommunalisés” que dans les autres. Toute approche de la question réclame cependant de prendre en compte une réalité : l’intercommunalité a permis partout de déployer des services à des populations qui n’en bénéficiaient pas auparavant. Mais elle favorise aussi une mutualisation qui est un facteur de rationalisation. Il ne faut cependant pas avoir peur de dire qu’il y a des endroits où subsistent des doublons et que certaines collectivités territoriales doivent faire des efforts pour améliorer leur gestion.
Un projet d’agence de financement des collectivités locales a vu le jour l’année dernière sous l’impulsion des organisations d’élus. Où en est-il ?
Nous sommes partie prenante de ce projet. C’est un dossier compliqué. L’outil semble pourtant nécessaire et utile. En déduisant les investissements qu’elles arrivent à engager par autofinancement, les collectivités ont un besoin de financement externe évalué à 18 milliards d’euros. Nous sommes dans une impasse structurelle car tant que l’agence n’aura pas vu le jour, il n’y aura que des solutions provisoires : soit des emprunts groupés par plusieurs collectivités associées, soit le recours au marché obligataire individualisé pour certaines grandes agglomérations. Les conditions se dégradent : taux plus élevés, durées plus courtes…
Pensez-vous qu’il soit possible de diminuer le volume de ces investissements ?
Si l’on assèche la capacité d’investissement des collectivités, on aggrave la situation de crise économique. Dans mon agglomération, 40 millions d’euros sont investis chaque année en faveur du logement selon diverses modalités. Ne plus construire et ne plus réhabiliter, ce serait favoriser la pénurie et les hausses de loyers, ainsi que la spéculation, sans parler de la cascade de faillites chez les professionnels du bâtiment et des travaux publics. Nos investissements en matière de transports, de développement durable, de traitement énergétique et dans quantité de services favorisent l’emploi direct et indirect. Les investissements des collectivités locales sont des investissements productifs. C’est un moteur de croissance.
Nous devons faire des efforts de hiérarchisation dans les investissements. Les intercommunalités sont de plus en plus appelées, en effet, à intervenir financièrement sur des projets coûteux et à très long terme, avec d’autres partenaires : lignes à grande vitesse, universités et centre de re-cherche, câblage numérique… Nous devons à tout prix garder une capacité d’investir ne serait-ce que pour laisser à nos territoires des chances en matière d’innovation ou de préservation de l’environnement.
Dans certaines régions de France, les grandes métropoles semblent de plus en plus se substituer aux départements dont elles couvrent parfois jusqu’à deux tiers du territoire. Mais ce n’est pas vrai partout. Pensez-vous que l’avenir des départements soit, de ce fait, menacé ?
Il y a une diversité des territoires. Nous pensons que les deux échelons indispensables sont partout les intercommunalités et les régions. Mais dans bien des endroits du territoire national, les départements ont plusieurs raisons d’être : assurer la proximité des services sociaux, la coordination des intercommunalités et l’ingénierie nécessaire aux collectivités n’ayant pas les moyens d’employer du personnel spécialisé à plein temps, pour l’instruction des permis de cons-truire, par exemple… Mais cette question nous ramène une nouvelle fois à la grande nécessité de l’heure : la clarification des compétences.