Vous êtes chargé de mission au Sénat pour le groupe centriste et l’une des anciennes plumes politiques de François Bayrou. Dans votre livre, vous appelez pourtant à ne pas aller voter en mai prochain. N’est-ce pas contradictoire au vu de votre parcours?
Absolument pas. Bien au contraire, c’est justement mon expérience du système représentatif et parlementaire qui me permet d’en parler aujourd’hui en connaissance de cause. Je pousserais même la réflexion plus loin : si le centrisme s’ancre dans un rejet du clivage gauche-droite, on peut tout autant en venir à rejeter l’ensemble du système partisan et s’interroger sur l’état de la représentation en France. En ce sens, mon livre est aussi une proposition pour faire évoluer notre régime.
En quelques mots, pourquoi s’abstenir selon vous ?
Une simple analyse du système représentatif actuel permet de se rendre compte que voter ne sert à rien. Et ce pour deux raisons principales. D’abord parce qu’une part importante du pouvoir est aujourd’hui détenue par des autorités non élues, comme les commissaires européens. Ensuite parce que le statut même de nos élus ne leur laisse que très peu de marges de manoeuvre. La majorité d’entre eux (neuf sur dix) sont des élus d’assemblées. Or, les assemblées n’ont aujourd’hui aucun pouvoir, ce sont de simples chambres d’enregistrement. Les élus qui pourraient agir, ceux des exécutifs, (soit un élu sur dix) n’ont quant à eux aucun intérêt à le faire en raison de la logique carriériste et clientéliste consistant à être réélu. C’est pourquoi je propose d’essayer le régime d’assemblée avec mandat unique, voire de tester la démocratie fondée sur le tirage au sort.
« Je suis très favorable à la reconnaissance du vote blanc, théoriquement supérieur à l’abstention parce qu’il est sans ambiguïté. »
Comment vous positionnez-vous par rapport au vote blanc ? Doit-il être pris en compte ?
Je suis très favorable à la reconnaissance du vote blanc, théoriquement supérieur à l’abstention parce qu’il est sans ambiguïté. Le message est clair : on s’intéresse à la chose politique sans pour autant être satisfait de l’offre. Sauf que, dans notre cadre législatif, voter blanc est une double erreur : non pris en compte, il augmente pourtant le taux de participation qui fonde justement la légitimité des élus ! Soit le résultat inverse de ce qui était recherché au départ.
A quelles conditions l’abstention pourrait-elle déclencher de véritables réformes politiques ?
Elle ne change absolument rien d’un point de vue quantitatif : même un taux d’abstention de 80% ne ferait pas bouger le système d’un millimètre. En revanche, le simple fait d’avoir une certaine masse d’abstentionnistes a déjà motivé toutes les réformes de modernisation du système représentatif mises en œuvre depuis une trentaine d’années.
S’abstenir est donc déjà bénéfique mais pourrait l’être encore plus, à condition que ceux qui s’abstiennent en expliquent les raisons et réclament un certain nombre de mesures institutionnelles en échange de leur retour aux urnes. Une dynamique de groupe de pression, somme toute.
« Le vote utile est une stratégie court-termiste pour faire barrage au Front national. »
D’après vous, le « vote utile » dénature-t-il l’essence même de cet acte, car il consiste à soutenir un candidat dont on ne partage pas vraiment les convictions ?
Voter n’implique pas nécessairement une adhésion de cœur, on peut très bien le faire pour des raisons purement tactiques. Mais le vote utile est une stratégie court-termiste pour faire barrage au Front national, ce qui, in fine, exonère les politiques d’engager de vraies réformes. On alimente ainsi le caractère fondamentalement immobiliste du système, qui nourrit structurellement le FN. Pour contester, mieux vaut s’abstenir que voter pour le FN en réclamant des réformes institutionnelles pour en tarir la source.
Vous affirmez que « la démocratie mérite mieux que le vote ». Quel pourrait être ce « mieux »?
Il faut d’abord avoir les idées très claires sur le terme « démocratie » qu’il ne faut pas confondre avec l’Etat de droit ou la mobilité sociale. Notre système s’apparente davantage à une oligarchie élective, soit un petit groupe de population qui détient le pouvoir et dont la régénération intervient par les urnes. La représentation a été très clairement imaginée en 1789 pour permettre à ceux qui avaient fait la Révolution de conserver l’autorité. Je pense à titre personnel que l’on pourrait essayer une véritable démocratie fondée sur le tirage au sort.
No Vote !
Antoine Buéno
Préface de Michel Onfray
Editions Autrement
159 pages
12 €
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