À la tête d’une mission décidée par Aurélie Filipetti, ministre de la Culture et de la Communication, une grande professionnelle de l’audiovisuel s’est vu confier le soin d’imaginer la réorganisation future de la télévision régionale de service public. La “mission Brucy” est renforcée par la présence de six parlementaires, de cinq représentants de France Télévisions, d’un géographe, ainsi que de représentants de Bercy et du ministère de la Culture et de la Communication.
La mission que vous a confiée Mme Filipetti porte sur l’avenir de France 3 et le renforcement de son caractère régional. Cette approche globale semble insolite. Ne s’agit-il pas d’une grande première ?
Je crois que oui. Il y a déjà eu des missions confiées à des professionnels concernant des domaines d’expertise particuliers mais pas sur l’avenir d’une chaîne. Depuis le 10 décembre, j’écoute, je m’imprègne. J’avais quelques intuitions, en fonction de mon expérience de directrice de France 3 Nord- Pas-de-Calais puis des radios locales publi- ques du réseau France Bleu. Aujourd’hui, je les confronte à une réalité en permanente évolution grâce à de multiples auditions à Paris et dans toute la France. Aucun point de vue ne doit être négligé. C’est passionnant car, partout, j’ai ressenti à la fois un fort sentiment d’appartenance régionale, d’attachement à France 3 et une grande ouverture sur le monde.
Comment définiriez-vous votre approche ?
Elle n’est fondée sur aucun a priori, si ce n’est renforcer le caractère régional de France 3. Il s’agit de dessiner un projet éditorial à partir des attentes des publics et des missions de service public. D’où des études d’audience puis un appel d’offres pour des études qualitatives dont les nouveaux usages numériques. En parallèle, nous auditionnons les élus, les personnels et, d’une façon générale, tous les acteurs des territoires qui sont les partenaires actuels ou potentiels de France 3. Cela alimente une réflexion complexe car il s’agit de mettre en corrélation des demandes diffuses avec les impératifs de service public définis par la loi et les cahiers des charges afin de définir une “offre” future de France 3 qui corresponde à l’attente de ses publics.
Comment vous êtes-vous entourée ?
Tous les mois, je réunis un comité de suivi qui est constitué de six parlementaires : Thierry Braillard (député MRG, Rhône), Maryvonne Blondin (sénatrice PS, Finistère), Martine Martinel (députée PS, Haute-Garonne), Jean-Pierre Leleux (sénateur UMP, Alpes- Maritime), Christian Kert (député UMP, Bouches-du-Rhône), Michèle André (sénatrice PS, Puy-de-Dôme). À leurs cotés, Bruno Parent, inspecteur général des finances, représente Bercy. Le ministère de la Culture siège pour sa part en la personne de Laurence Franceschini, directrice générale des médias et des entreprises culturelles. Le géographe français Jacques Lévy, professeur à l’Institut polytechnique de Lausanne, auteur de plus de 400 publications scientifiques, complète notre expertise. Il a écrit un livre Réinventer la France : trente cartes pour une nouvelle géographie (Fayard) et il nous aide à comprendre les nouvelles configurations du territoire. Ce comité de suivi se veut ouvert aux expériences venues d’ailleurs. J’ai notamment fait intervenir l’ancien président de Radio-Canada qui a montré les convergences, sur le nouveau continent, entre radio, télévision et web. Nous entendons aussi les représentants de sociétés de droits d’auteur, les producteurs, les syndicats, les directions nationales de France 3 et, naturellement, des collaborateurs des directions régionales de France 3. Mais notre méthodologie nous conduit aussi à rencontrer les “petites équipes”, sur trois types de territoires : les urbains (par exemple, Bobigny), les semi-urbains (Beauvais), les ruraux (Mont- de-Marsan). Nous avons complété cette approche en abordant la question des langues régionales, telles que le basque ou le breton, ce qui m’a conduit à aller à Bayonne, en Corse et en Bretagne. Dans ce dernier cas, nous avons aussi intégré le pacte pour la Bretagne de Matignon et auditionné tous les acteurs concernés par l’usage de la langue bretonne tant sur l’antenne que sur les plateformes numériques. À Lyon, nous nous sommes attachés par ailleurs à comprendre la logique des métropoles et à considérer la transformation des territoires qu’elles provoquent.
Comment éviter d’ouvrir le “bureau des pleurs”, avec des élus qui se plaignent de ne pas être assez présents sur le petit écran et des professionnels qui pestent contre le manque de moyens ?
Nous sommes en effet en présence de discours assez contrastés. Partout où je vais, je demande surtout à mes interlocuteurs de dessiner une forme de “télévision de l’avenir”, dépassant les antagonismes. Pour ma part, j’ai une double vision pour avoir exercé en région et à Paris. Cela m’aide à synthétiser et me conforte dans l’idée qu’une vraie valeur ajoutée se dégage de la complémentarité entre le regard national et régional. Nous pouvons imaginer de nouveaux équilibres en fonction de divers scénarios mais sans oublier la rigueur budgétaire. Nous devons concevoir une réforme réaliste.
Comment le président actuel de France Télévisions, Rémy Pflimlin, perçoit-il votre mission, qui peut s’apparenter à un travail d’audit sur l’une des entreprises qu’il dirige ?
Cela se passe très bien ! En dehors du comité de suivi dont j’ai parlé, je dispose d’une équipe rapprochée, constituée de deux rapporteurs, l’un mis à disposition par le ministère de la Culture, Romain Laleix, adjoint au chef du bureau du secteur de l’audio visuel public de la DGMIC et l’autre par France Télévisions, Jean-Marc Dubois, directeur du développement de France 3. Toutes mes auditions ont lieu en leur compagnie, à laquelle s’ajoute Thomas Corona, jeune géographe diplômé de Sciences-Po. Rémy Pflimlin ne manque jamais de dire, par ailleurs, qu’il a lui-même été demandeur de cette mission. France-télévisions finance certaines de nos études et une partie de nos frais de déplacements. J’ai donc souvent l’impression de travailler en “stéréo” entre France-télévision et le ministère de la Culture…
Le Conseil supérieur de l’audio-visuel (CSA) ne pourrait-il pas en prendre ombrage ?
Mais pas du tout ! Le CSA est tenu au courant de toutes les avancées de ma mission. Il en en est informé chaque mois. Il m’a fait parvenir une contribution adoptée en assemblée plénière qui est le fruit du travail de ses conseillers. Celle-ci sera examinée à son tour par notre comité de suivi et nous l’intégrerons dans la réflexion d’ensemble.
Quel est, d’une façon générale, l’accueil des élus ?
Tous les élus sont intéressés au principe même de cette mission. Nous avons perçu, tant de la part des parlementaires que des élus régionaux ou locaux, toutes tendances politiques confondues, un intérêt très vif pour notre travail. Peut-être est-ce dû aussi à l’enjeu que représente F3 et à sa capacité de développement régional.
Votre réflexion portera aussi bien sur les implantations sur les territoires que sur les contenus. S’agit-il de redonner du sens et une visibilité à toutes les activités qui, parfois loin de Paris, expriment la vitalité des territoires ?
Absolument. Les contenus et les missions d’un service public de télévision de proximité sont au coeur de notre travail. Ce corpus doit déterminer l’offre éditoriale, l’organisation qui en découle et les implantations régionales et locales de France 3. Il est aussi important de réfléchir aux zones de couverture et à la proportion de l’offre régionale dans les programmes de France 3. Le député Stéphane Travert (PS, Manche), qui m’avait auditionnée en tant qu’ancienne directrice de France 3 en région puis de France Bleu, avait plaidé, dans son rapport, pour une offre régionale à décrochage national. C’est un élément de la réflexion dont nous tenons compte sachant que la télévision est un média plus couteux que la radio. Il faudra de plus l’adapter en tenant compte de la réforme territoriale, aux évolutions sociologiques et géographiques de la France comme aux progrès des modes de diffusion dont les nouveaux usages de consommation.
Quel est votre agenda à venir ?
Le rapport intermédiaire sera remis le 31 mars à Mme la ministre de la Culture et de la Communication. Après ses observations, il sera établi sous forme définitive le 31 Mai. Il pourra s’inscrire alors dans le cadre de la procédure de nomination du futur président de France Télévisions à partir d’avril 2015, celle-ci devant intervenir au mois de juillet suivant
Propos recueillis par Jean-François Bège