Le 14 décembre dernier, le cyclone Chido a frappé l’archipel de Mayotte, faisant selon le dernier bilan préfectoral 39 morts et près de 5 000 blessés, et dévastant une grande partie de l’île.
La loi d’urgence, dans la continuité du plan « Mayotte debout »
Pour soutenir la reconstruction, le nouveau Premier ministre François Bayrou a annoncé le lancement d’un plan d’action intitulé « Mayotte debout », suivi d’un projet de loi « d’urgence pour Mayotte », qui devait être examiné en conseil des ministres vendredi 3 janvier. Mais le gouvernement a décidé de repousser l’examen de ce projet de loi, en réponse à certaines critiques émises à l’égard du plan « Mayotte debout ». Il s’est ainsi accordé quelques jours supplémentaires afin d’intégrer les remontées des élus mahorais, une démarche que la députée Estelle Youssouffa, désignée rapporteuse, estimait précédemment négligée.
La loi d’urgence, qui comprend une vingtaine d’articles, reprend plusieurs mesures du plan « Mayotte debout ». Elle est consacrée à la reconstruction des écoles, des infrastructures et des logements dans l’archipel, prévoyant une accélération des procédures habituelles, en autorisant, pour deux ans, des dérogations aux règles d’urbanisme en vigueur. Marquée par une volonté de répondre urgemment aux besoins de l’archipel, le projet de loi prévoit entre autres la création d’une « zone franche globale », exonérant les entreprises mahoraises d’impôts pendant 5 ans, et de suspendre leurs cotisations sociales jusqu’au 31 mars 2025. Le Premier ministre a également promis le rétablissement de l’électricité dans chaque foyer d’ici fin janvier, ainsi que de rétablir le niveau d’accès à l’eau d’avant le cyclone, avec l’aide de l’armée – soit 38 00 m3 par jour.
La question cruciale du relogement des habitants reste une zone d’ombre de l’action gouvernementale.
Cependant, la mesure la plus notable de ce projet de loi concerne la volonté d’empêcher la reconstruction des bidonvilles, ou « bangas ». La question cruciale du relogement des habitants reste une zone d’ombre de l’action gouvernement, bien qu’un tiers de la population mahoraise soit concerné. Cette problématique suscite des tensions importantes, tant à Mayotte qu’en métropole. Les bidonvilles, « à peine interdits, déjà reconstruits » comme le souligne le journal Le Monde, incarnent l’ampleur d’un défi qui dépasse très largement la question de l’urbanisme. En effet, l’archipel fait face à une immigration massive, issue principalement des Comores et de la région des Grands Lacs depuis une dizaine d’années, dont les ressortissants trouvent souvent refuge dans les « bangas ».
Un territoire sous tension entre héritage colonial, inégalités sociales et question migratoire
Mayotte appartenait jusqu’en 1974 à l’archipel des Comores, colonie française de 1946 à 1975 et comprenant en plus de Mayotte Anjouan, Mohéli et Grande Comores. Les relations entre l’île les Comores se dégradent après cette date, Mayotte étant la seule entité de l’archipel à vouloir rester dans le giron français. En 1995, l’instauration du « visa Balladur » met définitivement fin à la libre circulation entre Mayotte et les Comores. Ce visa n’autorise pas de se rendre en métropole ou d’en d’autres territoires d’outre-mer, ce qui accroît une pression migratoire sur l’île, déjà amplifiée par un fort taux de natalité, sur un territoire en difficulté.
Le visa n’autorise pas de se rendre en métropole ou d’en d’autres territoires d’outre-mer, ce qui accroît une pression migratoire sur l’île, déjà amplifiée par un fort taux de natalité, sur un territoire en difficulté.
Mayotte obtient ensuite par référendum le statut de département français en 2011, mais cela engendre de fortes tensions sociales. Mayotte est le département le plus pauvre du pays, avec 84% de ses habitants sous le seuil de pauvreté, le taux de chômage le plus élevé d’outre-mer (36,6%) et le taux de scolarisation le plus faible de France (63,3%, contre 97% en moyenne en métropole). Cette dynamique semble favorable au Rassemblement national, qui a su capitaliser sur les préoccupations liées à l’immigration, considérée par beaucoup comme la cause de tous les maux de Mayotte. Le Premier ministre n’est pas en reste. Le projet de loi d’urgence de son gouvernement prévoit un recensement massif de la population, visant principalement à expulser les migrants en situation irrégulière – soit 12% de la population mahoraise selon l’Insee – dans la continuité de l’opération « Wuambushu » menée en 2023. Ce n’est pas pour déplaire à la cheffe de file du RN, qui s’est rendu dans le département début janvier, où son parti est arrivé largement en tête avec 53,77% des voix au second tour des législatives 2024. Marine Le Pen a salué les annonces de François Bayrou, qui « vont dans le bon sens » (X, 30 décembre 2024) selon elle, tout en annonçant sa volonté d’amender le projet de loi afin de supprimer le droit du sol, qui fait déjà l’objet d’une dérogation depuis 2018. Bien que cette manœuvre ait de grandes chances d’être déclarée inconstitutionnelle – il faudrait pour modifier le droit du sol passer par une révision de la Constitution, une position très ferme sur l’immigration semble remporter un large succès à droite. Bruno Retailleau (ministre de l’Intérieur), Sébastien Lecornu (ministre des Armées) et Manuel Valls (ministre des Outre-mer) ont co-signé une tribune, publiée dans Le Figaro le 5 janvier, dans laquelle ils appellent à une politique ferme sur l’immigration à Mayotte. Considérant les « désordres migratoires » responsables de la situation locale, ils plaident entre autres pour la suppression du droit du sol, la lutte contre les « reconnaissances frauduleuses de paternité et le développement de « l’aide au retour volontaire des ressortissants africains dans leur pays d’origine ». Ces mesures seront présentées dans un deuxième projet de loi qui devrait être présenté en conseil des ministres d’ici trois mois.
Au-delà des enjeux d’urbanisme, migratoires et surtout humanitaires, la situation à Mayotte relève de la question plus large de la gouvernance post-coloniale de la France contemporaine, et la manière dont le pays et son gouvernement peuvent tenter de répondre aux défis des départements d’outre-mer.