Comme l’ont Ă©crit de bons auteurs, il ne faut jamais se rĂ©soudre Ă tenir le pire pour certain. A quelques heures de la confĂ©rence de presse tant attendue d’Emmanuel Macron, on peut se faire – grâce Ă quelques fuites ou ballons d’essai – une idĂ©e de ce que serait le pire : des annonces spectaculaires lancĂ©es Ă la foule comme des quartiers de viande quand on veut satisfaire l’appĂ©tit des fauves. Parmi celles-ci, certaines paraissent si ahurissantes qu’il faut se pincer pour y croire. La suppression de l’ENA, par exemple. Autant dĂ©crĂ©ter que l’on peut devenir professeur de neurochirurgie sans avoir Ă©tĂ© interne des hĂ´pitaux ! Et pourquoi cette grande Ă©cole-ci et pas les autres ? Et pourquoi pas les maternelles et jardins d’enfants des quartiers huppĂ©s, tout autant propices sinon plus Ă la « reproduction » prĂ©coce des Ă©lites ?
C’est d’une absurditĂ© sans nom. Que beaucoup d’hommes politiques et quatre prĂ©sidents de la VeRĂ©publique sur huit aient usĂ© leurs fonds de pantalon sur les bancs de l’ENA ne signifie qu’une chose : certains fonctionnaires ont pris goĂ»t Ă la vie Ă©lective sans pour autant constituer une catĂ©gorie majeure au sein de leur profession. A considĂ©rer les listes des anciens Ă©lèves, on s’aperçoit que – statistiquement – très peu d’entre eux, en fait, brillent ou ont brillĂ© au firmament du suffrage universel. Quant aux « grands corps » (Conseil d’Etat, inspection des finances, etc…), leur mode de recrutement et de fonctionnement n’a guère changĂ© depuis le roi Philippe le Bel et l’ENA l’aurait plutĂ´t amĂ©liorĂ© dans le sens de la dĂ©mocratisation
Mais le« pire des pires » serait l’atteinte au bicamĂ©risme via l’institution sĂ©natoriale. Tout ce qui ne va pas au Parlement, depuis des annĂ©es, notamment les ordres du jour plĂ©thoriques et l’inflation lĂ©gislative, est largement imputable au pouvoir exĂ©cutif. Comme le gouvernement tient une large part de sa lĂ©gitimitĂ© du chef de l’Etat et que celui-ci la tire du peuple, l’AssemblĂ©e nationale et le SĂ©nat assurent la reprĂ©sentation nationale sans disposer d’une bonne visibilitĂ© dans l’opinion. Cela fait six dĂ©cennies que cela dure. Jusqu’à prĂ©sent, lorsque l’on cherchait l’alternative, on Ă©voquait soit un rĂ©gime autoritaire de nature dictatoriale – il y a toujours des gens qui en rĂŞvent, mĂŞme s’ils se cachent – ou alors le fameux « système parlementaire » rĂ©putĂ© inadaptĂ© Ă nous mĹ“urs de Gaulois querelleurs. Mais la nouveautĂ©, c’est l’idĂ©e chez certains « gilets jaunes » de rogner les prĂ©rogatives d’institutions qui, Ă leurs yeux, ne servent pas Ă grand chose et de substituer au travail lĂ©gislatif des « rĂ©fĂ©rendums citoyens » Ă frĂ©quence hebdomadaire voire quotidienne ! IdĂ©e folle ? Bien entendu. Mais on voudrait ĂŞtre sĂ»r qu’elle est complètement exclue de la rĂ©flexion prĂ©sidentielle. Ce qui constituerait, convenons-en, une surprenante convergence entre les ronds-points et la rue du Faubourg Saint-HonorĂ© !
Nous ne tarderons plus, de toute façon, Ă ĂŞtre fixĂ©s. Et, parce qu’il faut s’interdire par principe de spĂ©culer sur la politique du pire, parions plus sur l’ouverture de vraies perspectives de rĂ©formes – retraites, temps de travail, formation – que sur des assauts de dĂ©magogie.