Redonner un sens au métier et de l’espérance à celles qui l’ont choisi : c’est tout l’objet du débat qui a eu lieu au Sénat dans le cadre du rapport d’information « Femmes et agriculture : pour l’égalité entre les territoires », à la demande de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Elles n’étaient que 8% à diriger des exploitations agricoles en 1970 contre près de 30% aujourd’hui. Pourtant, malgré une féminisation croissante de la filière, les femmes rencontrent toujours plus de difficultés que leurs homologues masculins dans la mise en place comme le développement de leur entreprise. Surtout au sein de la conjoncture économique actuelle où « produire de la qualité, être formé et passionné ne suffit plus pour nourrir sa famille », comme l’affirme la sénatrice RDSE Françoise Laborde. C’est pour faire face à ces nombreux défis que le Sénat a choisi de débattre sur les conclusions du rapport d’information « Femmes et agriculture : pour l’égalité dans les territoires » en présence de Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes.
« La profession oubliée »
A en croire Annick Billon, la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, ce document a donné « une large parole au terrain ». Il se fonde sur le témoignage de 100 agricultrices révélant le « malaise d’une profession que nous ne pouvions pas passer sous silence », ajoute-t-elle. A commencer par la large part d’invisibilité dont elles ont hérité, longtemps considérées comme les conjointes des agriculteurs et non des professionnelles à part entière. Résultat : entre 5 000 et 6 000 sont aujourd’hui sans statut alors qu’elles occupent un rôle de premier plan dans les structures agricoles. La preuve par les chiffres. En France, on compte aujourd’hui 150 000 femmes cheffes d’exploitation, 60 000 collaboratrices d’exploitation et 42 000 salariées. Pour autant, leurs retraites restent encore inférieures à celles des hommes, déjà bien modestes au regard du régime général : soit 500 € contre 800 €. Des pensions « 2,5 fois plus faibles que la moyenne » comme le souligne le sénateur Jean-Pierre Decool, ajoutant qu’« au XXIème siècle, nous ne pouvons pas accepter cette misère humaine et devons agir rapidement pour ces femmes. »
Concilier vie professionnelle et vie privée
A cette difficulté s’ajoute celle de l’accès aux congés payés : seulement 58% des femmes recourent au service de remplacement en cas de maternité. En tant que fille d’agricultrice, la sénatrice LREM Noëlle Rauscent se « sent particulièrement concernée par ce débat » et appelle à la mise en place d’un service entièrement pris en charge par les pouvoirs publics, accompagné du développement des solutions d’accueil de la petite enfance qui manquent bien souvent dans les milieux ruraux. Marlène Schiappa rappelle que la création d’un congé payé harmonisé pour toutes les femmes quel que soit leur secteur d’activité était l’un des engagements de campagne d’Emmanuel Macron. Cette mesure « n’a aucunement vocation à se substituer au système de remplacement et viendra le compléter », confirme la jeune Secrétaire d’Etat.
Autre enjeu : celui des installations, à l’heure où le nombre d’agriculteurs en Europe baisse de 25% tous les dix ans. Sauf qu’en 2010 seules 28% des femmes installées avaient bénéficié de la Dotation des Jeunes Agriculteurs (DJA), une aide au démarrage, contre 39% des hommes. En cause, des critères d’attribution rigides et inadaptés comme un âge limite (40 ans) à ne pas dépasser ou encore la présentation d’un plan d’entreprise sur cinq ans. Pas si évident au vu des éventuelles maternités à venir. Sans oublier l’exposition aux pesticides, aux médicaments vétérinaires et aux produits phytosanitaires dont on ignore encore les effets toxiques précis sur la mère comme l’enfant. De quoi conforter la vision de Marlène Schiappa, qui affirme que « la protection de la santé des agricultrices est véritablement une condition sine qua non du bon exercice de leur profession et à plus long terme, de l’attractivité des filières pour les futures générations ». Des jeunes pousses qui semblent d’ailleurs de plus en plus tentées par ces métiers, puisque l’enseignement agricole compte désormais près de 50% de filles. D’où l’intérêt d’agir dès l’orientation pour armer les futures exploitantes à la construction et au développement de leur projet professionnel dans tous ses aspects. Fille d’agricultrice, c’est « avec fierté » que la sénatrice Victoire Jasmin souhaite « se faire l’écho de la recommandation n°34 (du rapport) qui vise à encourager les filles à choisir ce métier ». A savoir que les femmes s’engagent tout particulièrement dans la filière biologique, comme le souligne le sénateur Guillaume Gontard. En 2010, parmi les structures gérées par les moins de 40 ans, on a recensé 6,9% d’exploitations gérées par des femmes, contre 5,3% d’hommes.
Des instances dirigeantes encore très masculines
Autre point noir au tableau : la féminisation des instances dirigeantes. Si les Chambres d’agriculture élues en 2013 ont vu l’accession des femmes, cette ouverture ne s’est pas accomplie au sein des bureaux, qui n’ont fait l’objet d’aucune obligation juridique. La sénatrice Denise Saint-Ré l’explique : « par exemple, le Conseil d’administration de l’Assemblée permanente des Chambres d’agriculture ne compte qu’une seule femme pour 33 hommes, et son bureau une élue pour 13 hommes. » Il en va de même pour les 84 Chambres d’agriculture françaises : seules trois d’entre elles sont présidées par des femmes. Quid pour les prochaines années ? Marlène Schiappa assure que « la parité sera complète sur les listes électorales à compter du deuxième renouvellement des Chambres départementales d’agriculture et des Chambres régionales d’agriculture, soit en 2020. »
Si la sénatrice socialiste Michelle Meunier s’est réjouie que le débat ait pu ouvrir la « réflexion d’un point de vue féministe à des champs quasiment en jachère jusqu’ici », Annick Billon a rappelé que « des recommandations n’ont de sens que si elles sont suivies d’effet. » Un point de vue que partage le sénateur LR Didier Mandelli pour qui les élus ont « l’obligation collective de faire vivre ce rapport ». Autant de graines semées dont on verra prochainement la qualité de la récolte.