Le nombre de voitures dans Paris ne semble pas diminuer. La stratégie de piétonisation n’entraîne-t-elle pas l’asphyxie des autres axes de circulation, en particulier lors des heures de pointe ? Des parkings relais supplémentaires seront-ils prévus pour les personnes qui n’habitent pas à Paris et qui s’y rendent en voiture pour travailler ?
Ce sujet suscite beaucoup de passion et il est important d’y apporter de la raison. Je tiens d’abord à rappeler qu’avec mon équipe, nous ne sommes pas en guerre contre la voiture, mais contre la pollution atmosphérique. Elle est l’une des premières causes évitables de mortalité en France. Elle réduit de deux ans l’espérance de vie des Franciliens. Et à chaque pic de pollution, nous constatons une augmentation notable du nombre de consultations aux urgences pour des problèmes respiratoires. Cette crise sanitaire est comparable au scandale de l’amiante.
Je suis convaincue que, dans quelques années, les industriels de l’automobile et les politiques qui n’auront pas agi à temps devront en répondre pénalement devant les tribunaux. Si en zone rurale, la première cause de cette pollution est le chauffage au bois, en zone urbaine il s’agit du trafic routier. A Paris, celui-ci est responsable de plus de la moitié des émissions de particules polluantes. C’est pourquoi notre ville est engagée depuis 2001 dans la réduction de la place de la voiture. Sous les deux précédents mandats, le trafic automobile intramuros a baissé de 30% et la pollution de l’air a diminué dans les mêmes proportions. Dès mon élection en 2014, j’ai tenu à poursuivre et à amplifier ces efforts. J’agis avec conviction, mais en aucun cas dans la précipitation. Le débat sur la piétonisation des rives de la Seine, par exemple, a été ouvert il y a quinze ans. Il figurait dans mon programme en 2014, pour une entrée en vigueur rive droite fin 2016 ! Entre temps, nous avons développé de nombreuses alternatives : les voies réservées aux bus et aux taxis, le tramway sur les Maréchaux, Vélib’, Autolib’, Utilib’…
Si Paris est classée comme la ville la mieux desservie au monde, des efforts importants restent à faire à l’échelle de la petite et de la grande couronnes.
L’offre de transports en commun devra compenser la réduction de l’usage de la voiture : quels développements faudrait-il prévoir ?
Pour encourager les citoyens à utiliser des modes de transport plus propres, il faut en effet adosser aux restrictions de circulation des mesures incitatives et positives. C’est le sens des vélos et des voitures électriques partagés, pour lesquels nous avons établis des grilles tarifaires volontairement très abordables. C’est aussi le sens d’une série d’aides que j’ai instaurées en 2014 avec mon adjoint aux transports, Christophe Najdovski. Les particuliers qui renoncent à leur voiture polluante peuvent par exemple recevoir jusqu’à 400 € de la part de la Ville, soit pour acquérir un vélo ou un triporteur électrique, soit pour financer leur première année de Pass Navigo. Les professionnels, de Paris et de petite couronne, sont éligibles à une aide allant de 3000 à 9000€ pour l’achat d’un véhicule électrique. Ces dispositifs ont l’intérêt d’être cumulables avec les aides de la Métropole du Grand Paris, de la Région et de l’Etat. Évidemment, il faut aussi que les transports en commun suivent… Si Paris est classée comme la ville la mieux desservie au monde, des efforts importants restent à faire à l’échelle de la petite et de la grande couronnes.
Les avaries répétées sur les lignes RER ne sont pas acceptables. J’ai interpellé Valérie Pécresse sur cette question, comme j’avais eu l’occasion de le dire à son prédécesseur. Il faut que le Conseil régional, dont c’est la compétence, investisse davantage dans ce domaine et qu’il ose l’innovation. J’ai par exemple demandé que l’on étudie l’accroissement des horaires d’ouverture d’une partie des lignes de métro, sur le même principe que ce qui est fait à Londres. Ce serait une avancée très utile pour les Franciliens. En ce qui concerne Paris, j’assume pleinement mes responsabilités, en allouant 381 millions d’euros par an au Syndicat des Transports d’Ile-de-France (STIF), dont un quart relève de la péréquation et sert à financer des infrastructures en dehors de son territoire.
Ces deux dernières années, le gouvernement a considérablement amélioré la réaction des pouvoirs publics aux pics de pollution.
Face aux pics de pollution constatés en Ile-de-France cet hiver, la circulation alternée a eu des effets réels mais limités sur la qualité de l’air. Quelles mesures pourraient permettre d’agir sur la pollution chronique, c’est-à-dire de tous les jours ?
Ces deux dernières années, le gouvernement a considérablement amélioré la réaction des pouvoirs publics aux pics de pollution. Nous devons cela à Ségolène Royal, qui a non seulement écouté les demandes formulées par les collectivités territoriales, mais qui a aussi su les traduire en actes, dans le cadre de la loi sur la transition énergétique. Mieux réagir aux pics de pollution ne doit toutefois pas nous faire oublier le véritable objectif : celui de prévenir les pics, en améliorant durablement la qualité de l’air. À moyen terme, nous pourrons y arriver en zone urbaine, avec la possibilité pour les villes de mettre en place des zones à circulation restreinte (ZCR), au sein desquelles les véhicules les plus émetteurs de pollution sont interdits. La première ZCR française est entrée en application à Paris en janvier dernier, avec l’instauration des vignettes Crit’air, qui permettent aux forces de police d’identifier facilement les contrevenants.
A Paris, nous avons ainsi planifié l’interdiction progressive des véhicules les plus anciens, à un rythme volontariste tout en étant soutenable pour les citoyens. J’invite ceux qui doutent de ces mesures à regarder ce que d’autres grandes villes dans le monde ont fait. En dix ans, Tokyo a totalement éradiqué le diesel. Oslo est en train de le faire. Madrid, Bruxelles ou encore Mexico ont rendu piéton une grande partie de leur centre-ville. Berlin a mis en place des vignettes depuis dix ans… Chaque fois, les effets constatés sont très positifs. Apaiser la circulation, faire plus de place aux piétons, revient à améliorer le cadre de vie des habitants. C’est un atout social, mais aussi économique, car cela renforce notre attractivité.
Peut-on « chiffrer » le coût de la pollution de l’air à Paris ?
Nous avons longtemps manqué d’études sur le sujet, mais ce retard est aujourd’hui comblé. L’Organisation mondiale de la santé, l’Union européenne, un certain nombre de fondations, ont financé de nombreux travaux de recherche. Dans l’hexagone, nous pouvons nous appuyer sur le rapport récent de l’agence Santé Publique France, qui chiffre le coût humain de la pollution de l’air à 48000 morts prématurés par an, dont 6500 à l’échelle du Grand Paris. Sur le plan économique, un travail de grande qualité a été produit en 2015 par une commission d’enquête du Sénat, présidée par le sénateur de Meurthe-et-Moselle Jean-François Husson. Elle a évalué le coût sanitaire de la pollution entre 68 et 97 milliards d’euros par an, dont 3 milliards pour la seule Sécurité sociale… avec 650000 journées d’arrêt de travail prescrites ! À cela s’ajoute, toujours selon les parlementaires, un impact non sanitaire – sur la nature, la production agricole ou encore l’entretien des bâtiments – de l’ordre de 4,3 milliards d’euros. Ces chiffres n’ont pas été déclinés spécifiquement à l’échelle parisienne, mais ils nous démontrent clairement qu’au scandale sanitaire s’ajoute un coût économique majeur.
La ville de Paris a essuyé trois refus, dont un échec à seulement trois voix en 2012, face au comité international olympique. Qu’est-ce qui rend sa candidature plus pertinente que les précédentes cette fois-ci ?
Nous avons appris de ces échecs pour bâtir une candidature plus solide et plus adaptée aux demandes de la famille olympique. Paris 2024, c’est d’abord un projet initié et co-construit par les athlètes français : leur rôle a été déterminant pour choisir les sites des épreuves, pour concevoir des équipements parfaitement adaptés aux besoins de chaque fédération sportive… C’est aussi une vraie unité politique, qui dépasse les clivages traditionnels. Je tiens à saluer l’engagement des députés et des sénateurs, qui m’ont invité à présenter ce projet lors d’auditions très constructives. Les Maires des communes françaises sont eux aussi très mobilisés, ils ont voté des motions de soutien dans leurs conseils municipaux, ils organisent des actions de promotion dans leurs villes et leurs villages.
Cet enthousiasme, que l’on ressent auprès d’une très grande majorité de Français, nous le devons notamment au fait que la candidature a été pensée pour être utile aux citoyens, porteuse d’un héritage concret, d’un message d’avenir pour les jeunes générations. Cet héritage sera très fort à l’échelle de Paris et du Grand Paris, mais pas seulement. Le centre d’économie et de droit du sport de Limoges (CDES) évalue les retombées de l’organisation des Jeux en France à 10,7 milliards d’euros et près de 250.000 emplois pérennes.
Paris et toute la Métropole du Grand Paris sont déjà engagées dans un plan d’équipement et de développement très ambitieux.
Vous aviez affirmé lors d’une audition au Sénat en septembre dernier que Paris « avait besoin » d’accueillir les Jeux. Est-ce à dire qu’il n’existe pas de plan alternatif d’équipement et de développement ?
Paris et toute la Métropole du Grand Paris sont déjà engagées dans un plan d’équipement et de développement très ambitieux. C’est le cas dans le domaine de l’urbanisme, avec des appels à projets d’ampleur internationale comme « Réinventer Paris » et « Inventons la Métropole ». C’est aussi le cas des transports, avec le Grand Paris Express. Je pense également au secteur numérique, avec l’Arc de l’Innovation qui a été impulsé il y a un an par plus d’une vingtaine de collectivités. Nous sommes un territoire très dynamique et très bien équipé. C’est d’ailleurs un atout dans la candidature de Paris 2024, puisque 95% des installations nécessaires sont déjà existantes ou temporaires. Mais le dynamisme du Grand Paris ne retire rien au fait que nous avons besoin des Jeux, parce qu’ils constituent justement un formidable accélérateur pour ces politiques publiques, qu’ils nous projettent vers l’avenir et qu’ils fédèrent durablement toute la société.
Dès cet été, il sera possible de nager en eau libre dans le bassin de la Villette. En 2019, la baignade sera ouverte dans le lac Daumesnil, au bois de Vincennes.
Si Paris est retenue, plus d’une dizaine de sites seront des lieux de baignade après les JO en Ile-de-France. Est-il indispensable d’attendre l’opportunité olympique, notamment pour améliorer la qualité de l’eau de la Seine ?
Nous n’attendons pas ! Dès cet été, il sera possible de nager en eau libre dans le bassin de la Villette. En 2019, la baignade sera ouverte dans le lac Daumesnil, au bois de Vincennes. Pour ce qui est de la Seine, le défi est plus important, mais il peut être relevé d’ici 2024. Sans attendre de savoir si la candidature de Paris sera gagnante, nous avons mis en place un comité de pilotage, qui fédère les collectivités, les opérateurs et le secteur industriel. Jean-François Carenco, le Préfet de la Région Ile-de-France, s’est investi avec succès pour mettre tout le monde autour de la table et engager le travail. J’ai également mandaté l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) pour qu’il étudie les zones potentielles de baignade. Il a déjà identifié 49 sites à l’échelle du Grand Paris, en bord de Seine et en bord de Marne.
Retrouvez l’intégralité de l’interview dans le n° 864.
Copyright de l’image à la Une : © Jean-Baptiste Gurliat