Le documentaire « Un paese di Calabria », réalisé par Shu Aiello et Catherine Catella, sortira en salle le 8 février 2017. Il raconte le destin singulier de Riace, un village de Calabre, région située à l’extrême Sud-Ouest de l’Italie. Déserté par ses habitants, le village a retrouvé de sa superbe grâce à l’arrivée de migrants à partir de 1998.
La renaissance de Riace
Les deux réalisatrices sont imprégnées par la culture de l’exil, d’où leur désir de donner la parole à ceux qui l’ont vécu. En 1931, Rosa Maria, la grand-mère de Shu Aiello, originaire de Calabre, décide de quitter sa région natale et de s’exiler vers la France. Les parents de Catherine Catella sont quant à eux des émigrés siciliens. L’émigration italienne, pratiquée depuis la fin du XIXème siècle, est en effet l’une des plus importantes de l’histoire contemporaine. Quand elles ont entendu parler de Riace, les deux femmes ont décidé de partir « voir de [leurs] yeux ce qui paraissait être une utopie incroyable ».
Depuis plusieurs décennies, Riace, comme de nombreux villages du Sud de l’Italie, se vidait de sa population, entrainant la fermeture des commerces et de l’école. Mais en 1998, un bateau de migrants kurdes accoste sur ses berges. « L’histoire de Riace commence avec notre bateau » raconte Baïram dans le documentaire. Domenico Lucano, à l’époque conseiller municipal d’opposition et aujourd’hui maire de la ville, décida de mettre en place une dynamique d’accueil de ces migrants afin de leur céder les logements vides, abandonnés par leurs anciens habitants.
Ce geste spontané et solidaire constitue la pierre angulaire de la reconstruction de Riace, érigé en véritable utopie. « Et Dieu a voulu que l’on nous amène ici ; ils nous ont accueillis, comme ça », témoigne une migrante. Ce souvenir fait aujourd’hui sourire le père du maire, qui laisse transparaître une fierté contagieuse : « Mon fils et son extravagance ! 10 Kurdes ! À peine débarqués, il me les amène à la maison ». Depuis, le village a conservé cette culture de l’accueil qui fait sa réputation et lui a permis de perdurer. En 25 ans, Riace a accueilli 6 000 migrants et réfugiés, dont la plupart ont continué leur chemin vers l’Europe. Le village est passé de 900 habitants en 1998 à 2100 en 2016. Pour le père de Domenico Lucano, « Riace est revenu à la vie ».
Un documentaire poético-politique
Un paese di Calabria est un film sobre, combinant approche journalistique et moments de sincérité intenses, qui fait dialoguer les souvenirs, parfois durs, des migrants, avec le quotidien d’un village modeste. En effet, surgissent de manière aléatoire des fulgurances, qui paraissent d’autant plus puissantes qu’elles viennent troubler le calme émotionnel dans lequel le spectateur est plongé. Au milieu d’une pièce vide, composée uniquement de matelas empilés, un homme décrit, en français et face caméra, son périple en bateau avant de parvenir à Riace. Son regard, les mouvements de sa bouche, l’expression de son visage, ses mots durs (« morts », « enfants », « bébés »), prononcés comme s’il s’excusait de les dire, le silence… sont bouleversants. Il s’agit de l’un des épisodes les plus marquants du long-métrage.
La dimension politique du film réside dans le choix même de son sujet. Si les réalisatrices donnent à voir cette réalité, source d’espoir, c’est bien pour exprimer leur point de vue. Pour Catherine Catella, « là-bas, depuis vingt ans, l’accueil n’est pas vécu comme une source de division, mais au contraire comme la possibilité de partager l’histoire commune du village ». Ce témoignage est alors l’occasion de donner une réponse au « vocabulaire utilisé autour de l’immigration » et à la dimension systématiquement chiffrée du phénomène. Ici, le spectateur est mis en face de destins, de tranches de vie, de souvenirs, d’images… Une victoire émouvante pour l’homme à l’origine de cette réussite locale, le maire de Riace, Domenico Lucano, qui décrit son projet politique avec ces simples mots : « l’utopie de la normalité ».
Un paese di Calabria
Shu Aiello & Catherine Catella
Long-métrage documentaire
90 min
Sortie le 8 février 2017
Image en une : © Juste Distribution.