Qu’est-ce que l’Assemblée Parlementaire de l’OTAN ? Le public français, même s’il connaît l’OTAN, ne connaît pas toujours cette instance.
C’est une instance politique créée en 1955 par les 28 pays membres de l’OTAN qui envoient chacun une délégation de parlementaires pour rencontrer leurs homologues étrangers, échanger et travailler ensemble sur les sujets qui nous rassemblent. Sur 257 membres au total la France jouit de 18 sièges : 11 députés et 7 sénateurs. Ce sont toutes des personnes qui ont fait la preuve de leur intérêt pour l’international comme la présidente de la Commission des Affaires Éttrangères de l’Assemblée nationale, Madame Adam, ou bien Pierre Lellouche, qui en est membre. L’Assemblée Parlementaire de l’OTAN comporte cinq commissions, la commission Politique générale, la commission Défense et sécurité, la commission Technique et scientifique, la commission Économie et sécurité et enfin la commission Dimension civile de la sécurité.
J’ai été élue en mai 2013 par mes pairs vice présidente de cette assemblée et au mois d’octobre dernier j’ai pris la présidence de la commission Défense et Sécurité.
Vous paraissez de plus en plus impliquée à l’international, avec des responsabilités accrues. Est-ce la marque d’un désintérêt croissant pour les affaires franco-françaises ?
Certainement pas. Mais la dimension internationale me paraît de plus en plus fondamentale et inhérente à notre époque. Si on n’a pas une culture tournée vers l’international, si on ne réfléchit pas en termes de mondialisation, de globalisation, on n’est pas très utile à son pays. Les organisations internationales, l’ONU, l’Unesco et toutes les organisations économiques issues de Bretton Woods, le Fonds Monétaire international, la Banque Mondiale sont des institutions de première importance. L’époque où il y avait des postes réservés pour les grandes puissances, dont la France, est totalement révolue. La voix de la France n’a d’écho dans le monde que parce qu’elle est membre permanent du Conseil de Sécurité. Il faut être présent, actif et faire nos preuves tout le temps.
Nous sommes entrés dans une ère nouvelle et je crains que tous dans l’hexagone n’en aient pas une claire conscience et en soient restés au XXe siècle, voire pour certains au XIXe. Le fonctionnement même des relations internationales a changé et les nécessités aussi.
En quoi consistent vos missions de présidente de la commission Défense et sécurité ? Pas de préparer la guerre, tout de même ?
Mais nous sommes en guerre, même si heureusement elle ne se déroule pas sur notre territoire ! La France est en conflit à tout le moins en Afrique. Ce serait une lourde erreur de l’oublier.
L’objet de la commission est d’élaborer des rapports sur les grands enjeux collectifs en matière de sécurité. On étudie par exemple la piraterie dans le golfe d’Aden qui est constante et réelle. On cherche à évaluer la menace terroriste au Mali et dans cette partie du globe. Le Sahel tout entier, du golfe de Guinée à la Lybie, est déstabilisé. Les terroristes y sont très menaçants et surarmés. Il y a dans toute cette vaste région un incroyable trafic d’armes et des arsenaux énormes, inimaginables, de quoi mettre le feu à la planète entière.
La Syrie, l’Iran, la Russie sont aussi des foyers de conflits, les uns permanents, les autres ponctuels. L’OTAN a même installé une rangée de missiles Patriot à la frontière turque du côté asiatique. C’est dire si les responsables de la Défense savent que l’on vit sur une poudrière.
L’Europe s’assume t-elle en matière de défense ? Ou bien sommes-nous toujours sous la “protection” des Américains ?
Il faudra bien que l’Europe s’assume. Car si tous les pays membres ont revu à la bais- se leurs dépenses militaires, les Éttats-Unis ont réduit le leur de 9 %, ce qui n’est pas rien. Et ils se désinvestissent de plus en plus de l’Europe et se recentrent sur l’Asie et la zone Pacifique. Ils expliquent qu’ils assument leur leadership “from behind ”. Et ils l’annoncent au moment où les risques à l’extérieur de l’Europe, sinon à l’intérieur, n’ont jamais été aussi grands depuis la fin de la guerre froide. Avec un budget américain en restriction constante, l’Europe devra prendre en charge elle-même sa défense. La France a déjà notablement réduit sa voilure, mais jusqu’à présent elle maintient encore son budget militaire ; tout juste, il est vrai. Nous devons prendre conscience des réalités menaçantes qui peuvent infiltrer l’Europe alors que des terroristes mercenaires ont déjà sévi.La cybercriminalité fait partie de ces réalités. Il n’est plus besoin de tanks et de chars d’assaut pour faire sauter un pays. Une attaque sur le système bancaire suffit amplement à détruire toute une économie.
Avons-nous bien fait, selon vous, de réintégrer l’OTAN par la volonté du président Sarkozy ?
Mais bien sûr, la question ne se pose même pas ! Hubert Védrine, l’ancien ministre des Affaires Etrangères de François Mitterrand, qu’on ne peut soupçonner d’être un sarkozyste convaincu, l’a dit sans ambiguïté. Car l’OTAN c’est le bras armé, le bras séculier de l’ONU, c’est un outil de défense collective autant que de conscience occidentale.
Avec cela nous avons reconquis une vraie autorité et une légitimité d’action. La puissance d’un pays s’évalue entre autres à sa capacité d’intervention. Et l’autorité politique de la France est liée à sa triple spécificité : son siège au conseil de sécurité, la possession de la dissuasion nucléaire et sa parole claire et haute en ce qui concerne les droits de l’Homme. Nous avons pris récemment une responsabilité importante au sein de l’Alliance en déléguant à Norfolk un général français chargé de la réforme de l’organisation de l’OTAN. L’enjeu est de continuer à avoir un partenariat entre L’Europe et les Éttats-Unis mais de se doter d’une véritable politique européenne de moyens et d’une stratégie propre.
Va-t-on se diriger vers une Europe de la Défense, alors que l’Europe est si souvent décriée et fait l’objet de tant d’attaques ?
Il le faut, si elle veut être une puissance politique et non pas une grande ONG ou bien une vaste Suisse fédérale. La neutralité, c’est le déclin, et le repli sur soi c’est l’assurance de la décadence. J’aime bien cette phrase de Georges Bernanos “le démon de mon cœur s’appelle : à quoi bon”.
Pour l’instant nous en sommes aux balbutiements d’une véritable Europe de la Défense avec une Agence de développement de la Défense européenne. Il est et sera nécessaire d’articuler cette future Défense européenne avec l’OTAN. Tenez, voici par exemple un de nos sujet de réflexion : l’Europe n’a pas de drone, pas d’avion ravitailleur. Faut il continuer à en acheter aux Éttats-Unis ou devons nous en fabriquer pour assurer notre indépendance sur ce plan ? Nous avons été en première ligne sur la Syrie et un peu seuls, les Britanniques traditionnellement implantés en Syrie depuis le mandat britannique ne nous ont guère soutenus. Au Mali non plus nous n’avons vu beaucoup de solidarité de nos amis. Nous avons été les premiers impliqués pour des raisons historiques mais il faut tout de même que les Européens sachent que l’Afrique les concerne tous et qu’ils prennent des positions. Pas facile de les convaincre…
Je voudrais aussi faire savoir que l’OTAN a une autre mission, peu connue, une mission récente certes : elle se préoccupe des populations civiles, ce qui n’était pas du tout son rôle à l’origine.
Que voulez-vous dire ?
La dimension civile est désormais intégrée dans les soucis de l’OTAN. Ce n’est plus seulement une instance militaire mais elle prend en compte la vie, la protection et le devenir des civils, en particulier des femmes. Il existe un conseiller pour les droits des femmes dans les régions où celles-ci sont bafouées, telles que l’Afghanistan. On n’est plus dans des guerres classiques, mais dans des guerres de guérilla, les femmes en sont les premières victimes. Au Congo par exemple on leur transmet le sida qui devient ainsi une véritable arme de guerre…
Propos recueillis par Liliane Delwasse