Jour de « grand oral » pour Marie‑Ange Debon en ce mardi 21 octobre 2025, auditionnée d’abord à 15 heures devant la commission des Affaires économiques du Sénat, puis à 17 heures face à celle de l’Assemblée nationale, dans le cadre de sa nomination à la tête du conseil d’administration de La Poste, sur proposition de l’Elysée. Conformément à l’article 13 de la Constitution, elle succède à Philippe Wahl, les votes négatifs cumulés des deux commissions n’ayant pas dépassé les trois-cinquièmes des suffrages exprimés (33 votes pour et 36 contre sur un total de 77).
Diplômée d’HEC et de l’ENA, Marie‑Ange Debon arrive avec un profil mêlant à la fois secteur public et privé. Elle a notamment servi le service public de l’audiovisuel avec France 3 Régions, de l’environnement, de la gestion de l’eau et des déchets avec Suez et des transports collectifs aux côtés de Keolis. Un curriculum vitae bien fourni pour aborder les grands défis d’un groupe de plus de 125 000 collaborateurs en 2023, et d’un chiffre d’affaires s’élevant à 34,6 milliards d’euros.
Une continuité dans le service assuré
Trois “virages” majeurs sont à noter pour la nouvelle présidente de La Poste : d’abord le passage du courrier vers le colis, la transformation de la banque en banque‑assurance, et enfin le basculement d’une concentration française vers une diversification géographique. L’occasion de rappeler que “le chiffre d’affaires du courrier est passé de 50 % à 15 % en dix ans”.
Marie‑Ange Debon a néanmoins assuré que les bureaux de poste, particulièrement en zone rurale, resteraient l’épine dorsale de la présence du groupe, soulignant l’importance de “construire un pacte de confiance” avec les pouvoirs publics, les territoires, les syndicats et les clients. Priorité à “la disponibilité d’espèces” avec le maintien des guichets et ce alors même qu’une baisse de 20 % des retraits sur la période 2022‑2024 a été constatée. Sans oublier que La Poste dispose d’un réseau de distributeurs automatiques bien supérieur à sa part de marché bancaire. De plus, le premier financeur des collectivités locales et hôpitaux publics se démarque également en étant la première banque des plus fragiles et la seule des exclus.
“S’affirmer comme une entreprise citoyenne.”
L’ambition du Groupe ? “S’affirmer comme une entreprise citoyenne” avec un objectif de réduction des gaz à effet de serre de – 45 % à l’horizon 2030, elle qui détient déjà la meilleure notation en termes de développement durable.
Sur le terrain du service public, un sujet sensible tient à la distribution du courrier six jours sur sept. Le rapporteur de la commission, Patrick Chaise, a interrogé la candidate sur l’opportunité d’un passage à cinq jours. Proposition à laquelle Marie‑Ange Debon répond que les quotidiens et la presse “nécessitent une livraison 6/7 jours”.
Par ailleurs, aucun plan social n’est envisagé et ce malgré la baisse des distributions de courrier. En réponse à la remarque de la sénatrice communiste Marianne Margaté qui s’inquiète d’une réduction d’effectifs de 15 000 à 20 000 emplois à l’horizon 2030, elle oppose à “l’attitude de devancer la baisse de fréquentation, celle de l’accompagnement de cette baisse” tout en appuyant sa volonté de “multiplier les services sur les lieux de présence du groupe”.
La concurrence internationale, une motivation supplémentaire plutôt qu’un frein
La candidate n’a pas éludé la question de la concurrence accrue dans les colis, notamment avec les plateformes chinoises (Temu, Alibaba et Shein) qui représentent plus de 20 % des volumes transportés par Colissimo. Un partenariat cadre avec Temu, étendu à trois ans, a suscité de vives critiques. Néanmoins, l’ancienne présidente de Kéolis a relativisé : “l’accord Temu s’inscrit comme un simple prolongement de ce qui était existant, il n’y a pas de favoritisme”. Tout en insistant sur l’enjeu européen et mondial : “il est indispensable que les autorités européennes, douanières et l’OMC s’expriment à ce sujet”. Elle a évoqué l’impact possible d’une taxe de deux euros sur les petits colis hors UE, soulignant que les fabricants chinois pourraient la contourner via des conteneurs ou des palettes.
La Poste dispose de 37 000 véhicules électriques assurant une livraison de colis de manière environnementale. Ce qui n’est pas nécessairement le cas lorsque le process se retrouve internalisé par des concurrents et autres plateformes. La stratégie de présence postale en milieu urbain demeure donc un axe clé, notamment avec les 360 bureaux destinés à l’accueil des migrants, l’aide à la traduction et l’aide aux documents numériques. Marie‑Ange Debon maintient qu’il faut décupler les services de proximité de 15 à 150 millions (portage de médicaments et de repas à domicile, entre autres).
Elle a en outre abordé la livraison par véhicules autonomes dans 5 à 10 ans, estimant que cette technologie pourrait améliorer la qualité de service dans des zones excentrées ou complexes d’accès, comme c’est déjà le cas Outre-Atlantique où un taxi sur deux est autonome. Elle rappelle aussi que 80 % des colis Colissimo sont toujours distribués par des facteurs, mais que beaucoup des grandes plateformes commencent à automatiser la distribution.
Face aux parlementaires, la présidente n’a pas échappé à la question de la rémunération des dirigeants, sujet sensible après l’affaire des salaires de filiales hors plafond. Elle a reconnu la “forte dichotomie” entre les secteurs public et privé, nuançant toutefois le statut de La Poste, une société qui se situe “entre ces deux mondes et doit le concilier”, rappelant que le plafond de 450 000 euros “ne s’applique pas à ces filiales de rang indirect pour continuer d’attirer les talents”.
Consciente de la complexité de pouvoir “desservir correctement ce type de territoires”, Marie-Ange Debon a conclu “sur la qualité de service en matière de transport rural ». Pour l’heure, les indicateurs de satisfaction client mesurés par des baromètres sont au beau fixe.
La transformation culturelle initiée par son prédécesseur vise à mettre le client au cœur du dispositif. Ainsi, pas moins de 4,5% du chiffre d’affaires est consacré à la formation du personnel (digital, problématique RSE et nouveaux métiers) comme le processus e-cop qui renforce l’aide à domicile des personnes âgées.” La présidente entend bien continuer de choyer ses collaborateurs avec “plus de 8 500 recrutements annuels”. De quoi favoriser le rôle “d’ascenseur social et d’évolution de carrière” que La Poste souhaite conserver.