Pour le président (UMP) de la commission des finances de l’Assemblée, la majorité actuelle peine à accepter de réduire les dépenses publiques. Il craint que l’objectif 2014 ne soit pas tenu et s’inquiète d’un risque de « glissade ».
Manifestations contre l’écotaxe, tollé contre la taxation de l’épargne populaire, protestations contre le matraquage fiscal… Les Français deviendraient-ils allergiques à l’impôt ?
On a atteint le seuil d’overdose. La tolérance des Français à l’impôt est très grande, mais il arrive un moment où leur souffrance face aux prélèvements devient insupportable. Nous y sommes. Il faut reconnaître qu’il y a eu des augmentations importantes à la fin de la précédente législature en raison de la crise financière qui a creusé les déficits. Mais l’alternance a accéléré les hausses. La nouvelle majorité était restée sur l’idée qu’il y avait eu des baisses d’impôts très importantes au bénéfice des riches, ce qui était en partie fondé pour le début de la législature mais tout à fait faux pour 2011-2012. Elle a cru disposer de marges de manœuvre en la matière et a agi avec précipitation et une main trop lourde.
Les impôts augmentent, mais leurs recettes baissent. Comment l’expliquez-vous ?
Parce que trop d’impôt tue l’impôt. A un certain niveau de confiscation fiscale, le contribuable, qu’il s’agisse d’un ménage ou d’une entreprise, modifie son comportement. Il essaie d’abord d’éviter l’impôt, de le contourner, par des moyens qui sont soit de l’optimisation soit de la passivité : on n’offre pas de prise nouvelle à l’impôt en évitant d’investir, en reportant la vente d’un bien immobilier, en attendant des jours meilleurs pour embaucher, en refusant l’opportunité de se créer du chiffre d’affaires supplémentaire, ce qui est patent pour les professions indépendantes.
Il existe aussi des comportements plus actifs, qui consistent à basculer au noir – on le voit sur les emplois à domicile dont les avantages sociaux et fiscaux ont été sérieusement rognés et sur certaines augmentations de taux de TVA – ou à se délocaliser. Je pense que sur ce point, les choses sont en train de s’aggraver et je suis très inquiet du manque d’informations sur les départs pour raison fiscale, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises.
L’impression de matraquage fiscal est-elle fondée ?
En quatre ans – 2011, le début de 2012, la deuxième partie de 2012, 2013 et 2014 – les prélèvements auront augmenté de près de 60 milliards d’euros. Soit 3 point de PIB, c’est une ponction fiscale énorme.
Dans le même temps, les déficits publics n’ont baissé que de 20 milliards. Où est l’erreur ?
Cela tient au fait que la dépense n’est pas du tout stabilisée en valeur : elle continue d’augmenter d’une bonne vingtaine de milliards par an. On espère qu’elle ne va pas progresser de plus de 2 %, mais c’est loin d’être gagné. S’y ajoute le fait que l’impôt rentre moins bien. Les 60 milliards espérés restent théoriques; ce qui est encaissé est moindre. Cette année, par exemple, rien que pour le budget de l’Etat, il y aura un manque à gagner de 11 milliards d’euros par rapport aux prévisions. C’est considérable et je ne parle pas des comptes sociaux. Au résultat, on n’aura qu’une quarantaine de milliards au rendez-vous.
Faute de pouvoir aller plus loin en matière d’impôt, le gouvernement peut-il éviter de s’attaquer aux dépenses ?
Il faut répéter inlassablement que l’impôt n’est qu’une conséquence de la dépense. C’est la dépense qui crée l’impôt et non l’inverse. Donc, ceux qui prétendent diminuer l’impôt mais qui ne font aucune proposition précise sur les dépenses, il ne faut pas les écouter ! C’est un discours creux. Le discours sur les baisses d’impôts n’a de sens que si on y associe des économies identifiées. Tout notre effort de pédagogie, de persuasion devrait porter sur la maîtrise de la dépense.
On peut redéployer les prélèvements pour les rendre plus intelligents. Par exemple, faire plus de TVA et moins de charges sur les entreprises, tout en maintenant les prélèvements constants. Mais on ne peut plus les augmenter. Pour réduire les déficits, seul compte l’effort sur la dépense.
La France ne bat-elle pas des records en matière de dépense publique ?
À la fin de cette année, la France sera le premier pays d’Europe sur ce point, avec plus de 57 % du PIB consacré à la dépense publique ! Nous allons rattraper le Danemark et être loin de la Suède, symboles de la social-démocratie nordique. Nous serons bien évidemment loin devant l’Allemagne. Nous souffrons d’un excès de dépense publique et il devient urgent de la contenir dans tous ses volets : pas seulement le budget de l’Etat, où des efforts sont faits, mais aussi dans les collectivités locales et dans les comptes sociaux.
Vous avez dénoncé des « dépenses sociales qui flambent »…
Si on raisonne par fonction et non plus par acteur, le cœur du cœur de la dépense publique, c’est le social. En matière d’aides sociales, d’assistance, de retraites, d’indemnisation du chômage, nous sommes les plus généreux du monde ! Et en même temps, le système paraît à bout de souffle parce que tout est saupoudré, pas suffisamment centré sur ceux qui en ont vraiment besoin. Et cette assistance se développe sans contrepartie. L’exemple allemand me frappe : il y a les mini-jobs; ils sont très critiqués ici parce que travailler pour 500€, c’est effectivement très injuste. Sauf que nous, on donne les 500€ du RSA sans rien demander en échange. Est-ce mieux ? Le rapport assistance-travail va être au centre des débats.
Les classes moyennes qui travaillent s’irritent de plus en plus de payer pour des Français qu’elles jugent installés dans l’assistanat. N’est-ce pas explosif ?
Si. Prenez l’exemple de l’aide médicale d’Etat, la CMU des personnes en situation irrégulière. Le gouvernement ayant ouvert les vannes en supprimant les verrous que nous avions mis, son coût va augmenter de 300 millions d’euros en 2013. Il va passer de 500 millions à 800 millions en un an !
Autre exemple : l’allocation d’adulte handicapé, sujet difficile. Elle représentait 4 milliards en 2004; aujourd’hui, c’est 8,5 milliards. Comment un pays peut-il supporter une multiplication par plus de deux ? Son financement passe par le déficit et la dette ! Est-ce soutenable ? Il faudrait se fixer comme objectif que cela n’augmente plus du tout pendant deux ou trois ans. Dès lors, nous aurions une petite chance d’équilibrer nos comptes.
Je ne parle pas de baisse d’impôts. Vu la profondeur de nos déficits, toute économie doit servir à les combler. Ce n’est que lorsque nous serons à un « déficit stabilisant », c’est-à-dire qui ne crée pas d’effet boule de neige sur la dette, que les économies pourront être affectées à des baisses d’impôts. On en est loin !
Chaque fois qu’il est question de réduire le nombre de fonctionnaires, la gauche interpelle : « Vous voulez moins d’infirmières, de policiers, de pompiers ? » Que répondez-vous à cela ?
Qu’il faut revoir les conditions de travail. Prenez l’exemple du jour de carence. Sa suppression va coûter près de 120 millions à l’hôpital public, parce que son instauration y avait fait baisser l’absentéisme. Avant de créer 60 000 postes dans l’Education nationale, peut-être aurait-il fallu s’interroger sur les besoins, les experts estimant qu’il y avait des manques dans le primaire mais pas dans le secondaire. Est-il raisonnable d’avoir autant de fonctionnaires ?
Tous les pays ont fait des « réformes de structure » : le Canada, les pays scandinaves qui étaient au bord de la faillite au début des années 90, l’Allemagne, le Royaume Uni… Nous sommes les seuls à les refuser. Ainsi de la non-réforme des retraites qui va coûter plus cher que la situation actuelle, car on augmente les cotisations sociales mais on créé des dépenses supplémentaires avec le compte pénibilité. Dans deux ans, il faudra remettre l’ouvrage sur le métier …
Comment demander aux collectivités locales de partager les efforts de l’Etat ?
La fonction publique territoriale a explosé : plus 35 000 agents par an, soit plus 700 000 en vingt ans ! La stratégie de l’Etat, engagée par le précédent gouvernement et poursuivie par l’actuel, est de diminuer le débit du tuyau des recettes. En baissant les dotations, en réduisant le pouvoir fiscal des collectivités locales et peut-être également les capacités d’emprunt. Moins de recettes devrait conduire à moins de dépenses. Mais le budget 2014 prévoit une exception gravissime, puisqu’il redonne du pouvoir fiscal aux départements en déplafonnant les DMTO (droits de mutation à titre onéreux).
Pour des raisons idéologiques, l’actuelle majorité a le plus grand mal à admettre que la dépense publique doit être contenue. De ce fait, notre pays court de grands risques.
Lesquels ?
Comme nous vivons à crédit, le plus grand risque est que ceux qui nous font crédit prennent peur. Ce qui nous obligerait à prendre des mesures violentes, désordonnées, sous la pression des marchés. C’est le scénario noir qu’il nous faut éviter. Je suis très inquiet à cet égard de la non-réforme des retraites, car la Commission de Bruxelles et le FMI vont en analyser les conséquences néfastes, au risque d’alerter des marchés plutôt moutonniers. Et l’image que la France donne actuellement – improvisation, impréparation, décisions sans cesse remises en cause – n’arrange rien. Nos voisins s’interrogent; si leurs doutes font tâche d’huile et se transmettent à nos créanciers, notamment asiatiques, il y a un risque de glissade.
Pourquoi le gouvernement se refuse-t-il à toute loi de finances rectificative ?
Parce qu’il ne veut pas affronter la nécessité de faire des économies. Faire une loi de finances rectificative, c’est un acte de lucidité, s’obliger à regarder la réalité en face, à constater que les recettes ne sont pas au rendez-vous. Mais ce constat impose d’en tirer des conséquences. Puisque ce ne peut-être une hausse des impôts, remède pire que le mal, cela renvoie à un questionnement des dépenses. Hélas, le gouvernement a annulé le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite, le rapprochement des départements et des régions, la convergence tarifaire entre l’hôpital public et les cliniques privées. Il réaugmente le plafond de ressources pour obtenir la CMU-C, il revalorise le RSA, il supprime le jour de carence dans la fonction publique…
Avec l’ancien gouvernement, ces économies ont été actées sous la pression de la crise, surtout à la fin de la législature. L’actuelle majorité refuse de telles mesures. Il lui faudrait pourtant opérer un véritable aggiornamento si elle veut éviter une crise grave.
Jacques Delors a renoncé à être candidat en 1995, parce qu’il n’aurait pas eu la majorité pour soutenir ses réformes. François Hollande a-t-il les moyens d’un tel aggiornamento ?
Ce n’était pas son programme, au contraire. S’il devait changer de programme, comme François Mitterrand au tournant de la rigueur en 1982-1983, rien n’assure que François Hollande aurait l’autorité pour l’imposer à sa majorité. Celle de 1981 était plus docile et surtout plus importante que l’actuelle. Le chef de l’Etat doit se dire que tant que l’on peut emprunter… Sauf que la suspension de l’écotaxe, le recul sur le PEA, etc…, ce sont autant de recettes en moins. Comme elles ne seront pas compensées par des économies, ce sera du déficit en plus.
Je prends d’ores et déjà le pari que nous ne serons pas à 3,6 % de PIB en 2014, comme prévu, mais que le déficit restera proche de 4 %. Soit 80 milliards qu’il faudra emprunter et auxquels s’ajoute le remboursement des emprunts arrivés à échéance (plus de 100 milliards). Cette année, nous sommes le premier emprunteur en euros, et nous le resterons encore pendant de nombreuses années.
Vous avez souvent regretté qu’il y ait un ministre pour les dépenses différent de celui pour les recettes. Faut-il réorganiser Bercy ?
Pour l’heure, on est presque à l’unité souhaitée ! Le ministre délégué au Budget est sous les ordres du ministre de l’Economie, mais il a été le seul à animer le débat budgétaire de cette rentrée. On n’a vu que lui à l’Assemblée, s’occupant à la fois des dépenses et de la fiscalité. Et il a dû encaisser les revirements du gouvernement.
Quant au Ministre de l’Economie, il a d’une certaine manière, légitimé le ras le bol fiscal.
Vous êtes président de la commission des finances parce que Nicolas Sarkozy a décidé, en 2007, que la fonction reviendrait à un député de l’opposition? Avec du recul, était-ce une bonne idée ?
C’était une réforme nécessaire. Mais il y a encore beaucoup de chemin à faire pour éviter que, dans notre pays, les alternances soient toujours conçues comme le passage de l’ombre à la lumière. Et l’occasion de défaire tout ce qui a été fait par le prédécesseur. Ainsi de multiples suppressions décidées en juin-juillet 2012, qui s’avèrent être des erreurs. La fin de la TVA sociale a donné lieu au CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi), mais on a perdu huit mois et le gouvernement constate que c’est moins efficace qu’une baisse directe des charges. Je souhaite que notre pays soit plus pragmatique et moins idéologique afin d’éviter les alternances manichéennes qui nuisent à la conduite et à la sérénité de l’action publique.
Avec l’UMP, vous avez présenté un budget sans hausses d’impôts…
Non. Il ne s’agit nullement d’un contre-budget. Nous avons simplement dit que nous pouvions éviter 5 milliards de hausse d’impôts, à condition de faire 5 milliards d’économies. Nous avons identifié ces économies et je peux vous dire que trouver 5 milliards, c’est un exploit ! En contrepartie, nous ne faisions pas la taxe sur l’EBE (excédent brut d’exploitation), l’abaissement du quotient familial et nous gardions la déduction fiscale pour enfants scolarisés. C’était avant les revirements du gouvernement !
Propos recueillis par Chantal Didier