Sorti d’une relative marginalité par l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, le vieux parlementaire a sans cesse occupé l’espace politique sans jamais exercer le moindre mandat exécutif.
Porté par la vague poujadiste qui s’étiola deux ans plus tard avec le retour au pouvoir du général de Gaulle, Jean-Marie Le Pen a fait son entrée au Palais-Bourbon en 1956. Il n’y a plus de témoin vivant de cette première époque marquée deux ans plus tard par la fin de la IVème et le début de la Vème. En revanche, il existe quelques rares images d’archives des débats de 1958 où l’on entend le président Jacques Chaban-Delmas s’écriant « M.Le Pen taisez-vous ! » à l’adresse de celui qui, déjà, apparaissait dans l’hémicycle comme un trublion de première catégorie. On a pu supposer que ce talent d’agitateur n’est pas passé inaperçu d’un certain François Mitterrand qui s’en est souvenu vingt-trois ans plus tard.
Aux prises avec une opposition de droite virulente, le chef de l’Etat élu en 1981 a été suspecté d’avoir favorisé l’extrême-droite, par le retour de la proportionnelle et des facilités d’accès à l’audio-visuel public, afin de compliquer la vie de MM. Giscard d’Estaing et Jacques Chirac. Bien que rivaux, les leaders du RPR et de l’UDF pratiquaient en commun la rhétorique huilée des anciens bons élèves de grandes écoles qu’ils étaient. Le discours fantasmagorique d’un Jean-Marie Le Pen fondé sur la peur de l’immigration et toute une imagerie populiste – celle qui ressort aujourd’hui avec Trump aux Etats-Unis – fractura alors le camp conservateur en France. Celui-ci ne reprit un semblant d’unité qu’avec l’élection de Nicolas Sarkozy, au prix d’un glissement à droite de la famille gaulliste, en 2007.
Tout en revendiquant considération, Jean-Marie Le Pen savait très bien qu’il n’occuperait le devant de la scène que par la multiplication des audaces, notamment les provocations racistes et antisémites lui valant un record de condamnations. Il parvenait aussi avec art à entretenir une fascination-répulsion pour son parcours de « pirate de la politique » . Rien n’était simple ni banal dans sa vie, qu’il s’agisse de son parcours militaire en Indochine et en Algérie ou des origines de sa fortune. Quant aux rivaux encombrants, tel Bruno Mégret, il n’en fit qu’une bouchée en expliquant au passage qu’il était un « César ayant su tuer Brutus ». Cet ancien élève des jésuites de Vannes et de la faculté de droit d’Assas raffolait en effet des lettres latines et des imparfaits du subjonctif.
Il n’est point, cependant, de surhomme. Victime de l’âge, il dut en rabattre, ces dernières années et finir par laisser sa fille Marine s’emparer de sa succession, non sans conflits variés ni délicat inventaire. Il a été souvent dit que celle-ci avait su « dédiaboliser l’héritage ». Il est sûr que Marine Le Pen doit maintenant jouer sur deux tableaux générationnels. La vieille clientèle électorale de Jean-Marie Le Pen n’a pas disparu. Il semble possible de lui voir associée, lors des futures municipales en zone rurale par exemple, de nouvelles couches moins conservatrices et surtout sensibles au « dégagisme ». Le « lepénisme » n’en reste pas moins une aventure familiale.
François Domec