Un entretien avec Philippe DURON
Député-maire de Caen, président de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITIF).
Le Grenelle de l’Environnement avait évalué l’investissement pour les infrastructures de transport à 245 milliards d’euros sur 25 ans, ce budget est-il toujours viable selon vous ?
Non, le schéma national des infrastructures de transport (SNIT) présenté en 2011 n’est pas soutenable. Il faudrait 45 ans avec des recettes constantes pour réaliser tous les projets, en se fiant sur les estimations de coûts actuelles. C’est la raison pour laquelle Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche, a chargé la commission « Mobilité 21 » de proposer une hiérarchisation et une programmation de ces projets, au sein d’un schéma plus global de mobilité durable. Il s’agit de leur donner une véritable faisabilité financière au vu des ressources disponibles, ce qu’il manquait en 2003 au CIADT (Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire) et en 2011 au SNIT.
Quels seront les grands axes de cette commission « Mobilité 21 » ?
L’objectif de notre commission, composée à la fois d’élus et de personnalités qualifiées, est de réfléchir à un système global de mobilité soutenable et efficace. Les enjeux sont essentiels, face à une demande toujours plus forte en termes de mobilité, en lien notamment avec la position géographique du pays et la structuration de l’habitat et de l’économie. Il ne faut exclure aucun mode, car il est manifeste que chacun a son domaine de pertinence optimale. De leur bonne articulation dépend l’efficacité globale de notre système de transports. L’optimisation des réseaux existants nous semble ainsi prioritaire.
Les résultats du travail de classement des projets du SNIT sont à l’évidence les plus attendus. Nous mesurons pour cela les performances écologiques, socio-économiques et sociétales de chaque projet et les classons ensuite en différentes temporalités. La plus immédiate sera surtout consacrée à la réalisation des 4 lignes à grande vitesse lancées en 2009, car si ces chantiers ne font pas partie du SNIT, ils mobilisent pour l’heure une manne financière publique considérable. Notre souci constant est de s’inscrire dans une démarche réaliste et pragmatique. Ce dont la société et les décideurs économiques souffrent le plus aujourd’hui est le manque de visibilité sur ces investissements. Trop de promesses ont été faites sans les ressources disponibles pour les réaliser. À nous de proposer un tempo approprié pour l’aménagement de notre territoire.
Dans ce schéma que vous proposerez, quel sera le rôle des collectivités territoriales ?
Les départements et les régions représentent aujourd’hui les principaux co-financeurs de l’État sur ces grands projets. Leur rôle est essentiel et ne changera pas. L’expertise territoriale qu’ils nous apportent lors des auditions que nous organisons est primordiale. Il ne faut surtout pas les négliger !
La ligne à grande vitesse Lyon-Turin est victime de nombreuses controverses, notamment sur le coût prévisionnel des travaux qui est passé de 12 à 26 milliards d’euros en 10 ans. Que pensez-vous de ce projet ?
Ce projet relève directement des négociations entre les chefs d’État français et italien, qui ont réaffirmé leur soutien au projet le 3 décembre dernier. Il ne concerne donc pas notre commission. La ligne Lyon-Turin est un dossier complexe : stratégique et structurant pour l’ensemble des régions alpines, il doit permettre la mise sur le rail d’une part significative du fret routier. Mais c’est aussi l’un des chaînons de tout un projet continental, celui du « corridor » reliant Lisbonne à Kiev et qui pourrait être financé à hauteur de 40 % par les fonds européens. Il est donc nécessaire de connaître les engagements réels des États et de l’Union européenne. Le budget voté en Conseil européen début février permettra-t-il de maintenir cette hauteur d’engagements et donc la réalisation de ce projet ambitieux ? Il nous faut aujourd’hui des garanties à ce sujet.