Si l’Allemagne affirme s’inquiéter pour l’économie de la France, peut-on pour autant envier son modèle ? Quelles sont ses limites ?
En 1990, on ne jurait que par le modèle anglo-saxon, pour ensuite se tourner dans les années 2000 vers les systèmes suédois, danois, et enfin prendre exemple sur l’Allemagne. Copier un archétype étranger est ridicule, puisque la France possède une économie efficace, qui correspond à sa société et sa culture et a parfaitement fonctionné pendant des décennies. La croissance française est quelque peu freinée, mais elle ne doit pas pour autant être bridée par d’autres facteurs : car la structure d’un modèle socio-économique repose avant tout sur la cohérence et non pas sur un mélange d’éléments.
D’autant plus que la croissance allemande n’est qu’une légende urbaine, puisque le peu de bénéfice dégagé sert essentiellement à la rémunération du capital. Le rapport Gallois a fait l’erreur de croire qu’une balance commerciale très favorable peut être synonyme de richesse dans un pays, alors qu’elle signifie simplement que la demande extérieure est globalement plus forte.
Pourquoi les économies française et allemande semblent-elles si différentes ?
Les divergences de nos deux économies ne sont pas si nombreuses. Deux facteurs en expliquent néanmoins les écarts principaux. Le premier est historique : la France est un État-nation depuis près de 400 ans, tandis que l’Allemagne telle que nous la connaissons aujourd’hui ne s’est construite qu’à partir de 1870, par l’unification des « Länder ». Si les entreprises d’outre-rhin se montrent si performantes, c’est parce qu’elles se sont développées à l’échelle des régions alors que les grands groupes industriels français travaillent à l’échelle nationale.
La deuxième différence est liée au vécu allemand de la Seconde Guerre mondiale. Persuadés que la montée du nazisme résulte du système de décision pyramidal, nos voisins ont mis en place un principe de discussion sociale très fort, alors que la France privilégie encore une forme d’aristocratie.
En matière d’emploi, le système allemand ne fonctionnerait donc pas pour la France ?
Pour cela il faudrait entièrement renoncer à l’idée d’un chef décisionnaire et s’imprégner du mécanisme de dialogue social, où chacun – qu’il soit expert ou responsable de l’entreprise – a le même droit à la parole.
Plus largement, comment mettre fin à la concurrence des pays dans la zone euro?
L’euro a été construit en interdisant aux monnaies des différents pays européens de trop s’éloigner les unes des autres dans les années 1970 Aujourd’hui il faut en faire de même avec les fiscalités. Tant que la concurrence par l’impôt ne sera pas abolie, il sera impossible d’hériter des divergences en termes de situation et de politique économique.
Pensez-vous encore que les «Trente Glorieuses sont devant nous », comme l’affirme le titre de votre ouvrage ?
J’en suis même persuadée, car tout n’est que choix de politique économique ! Mon livre défendait d’ailleurs l’idée d’un plan d’investissements franco-européen 2040 sur les nouvelles technologies. Certaines décisions s’en rapprochent aujourd’hui, mais il faut se montrer plus ambitieux et choisir le risque d’une marche commune vers l’innovation. Car plus qu’un déni absolu de la construction européenne, la concurrence des prix marquera la fin de la croissance pour tous les pays.
Sur quels fondements doit-on construire aujourd’hui un diagnostic optimiste de l’économie française ?
La France possède énormément d’atouts, à commencer par sa jeunesse et l’expertise de ses ingénieurs et mathématiciens. En plus de son réseau d’infrastructures publiques envié dans le monde entier, elle est aussi le seul pays européen dont la population est encore croissante. La question n’est donc pas celle du diagnostic mais de ce que nous comptons en faire !