Vous avez fait une partie de vos études en France et vous êtes réputé très francophile. Est-ce que ce n’est pas une qualité qu’il vous faut un peu oublier, au poste qui est maintenant le vôtre, où l’on attend de vous que vous parcouriez le monde ?
Mon parcours a été, en réalité, très international. Quand j’étais journaliste en France, j’assurais la correspondance d’organes de presse québécois pour toute l’Europe. Envoyé spécial permanent de Radio-Canada à Washington pendant cinq ans, j’ai couvert nombre d’événements dans l’ensemble de l’Amérique. Ce qui m’a conduit à l’Université, où j’ai ensuite animé un centre de recherche international qui a conduit à m’intéresser à la Chine, à la Russie et à l’Inde. J’ai rencontré et nous avons reçu beaucoup de chercheurs de toutes les régions du monde avec lesquels j’ai noué des relations suivies. J’ai animé pendant trois ans une émission hebdomadaire d’une heure intitulée « Planète terre ». Si j’avais à suggérer une bonne formation à un futur ministre des relations internationales, je lui conseillerai de diriger d’abord un centre de recherche car je m’aperçois que cela m’a donné une bonne compréhension de tout ce qui se passe dans le monde.
Le Québec peut-il mener une politique étrangère sans encourir les foudres d’Ottawa, où siège le gouvernement fédéral du Canada ?
Chez nous, le ministre des relations internationales et du commerce extérieur s’occupe des relations bilatérales du Québec avec les États et les régions. Nous ne sommes pas appelés, en principe, à commenter les enjeux géopolitiques liés à l’actualité. Mais sur la Palestine, par exemple, le Canada a fait partie des neuf nations à avoir voté contre le statut de membre observateur aux Nations Unies. Il s’est montré mécontent du vote final, allant jusqu’à s’interroger sur le maintien de l’aide qu’il accorde – 200 millions de dollars chaque année – aux Palestiniens. Comme ces subventions émanent de nos impôts, à hauteur de 20 %, nous avions notre mot à dire car il s’agit en partie de notre argent. Avec la Première ministre, nous avons donc estimé que le gouvernement du Canada, sans remettre en cause son vote concernant le statut d’observateur, devait prendre acte de la décision des Nations Unies et qu’il serait contre-productif de retirer notre soutien financier à la Palestine. Celui-ci constitue en effet, de notre point de vue, un encouragement pour les Palestiniens à jouer le jeu de la diplomatie internationale. Je suis allé à Ramallah et j’ai vu la qualité du travail mené sur place où l’aide canadienne sert à construire l’État de droit puisqu’elle porte principalement sur la police, la sécurité et le système juridique en Cisjordanie. Cette coopération contribue à la stabilisation de la région et constitue donc à nos yeux un pas vers la paix.
Avec quels pays le Québec entretient-il des liens étroits ?
Notre premier partenaire commercial, ce sont les États-Unis puis vient la Chine, où nos exportations augmentent. Avec la France, nous avons un partenariat privilégié. La Francophonie est la seule instance internationale où nous sommes reconnus en tant qu’entité spécifique, avec un réel statut. Nous faisons partie de son comité de pilotage et nous en sommes l’un des principaux bailleurs de fonds. Nous sommes aussi très proches de plusieurs régions de l’Europe, comme la Catalogne, l’Écosse ou la Bavière…
N’êtes-vous pas perçu dans les régions à la recherche de leur autonomie comme des «accélérateurs» de cette notion de «souverainisme» qui a été politiquement inventée chez vous ?
Le mot « souverainisme » n’a peut-être pas la même « couleur » partout… En Catalogne, où nous nous trouvions récemment, nous avons été reçus récemment par M. Jordi Pujol qui nous a érigés en « modèle » pour sa région. Cela fait un grand plaisir d’entendre du bien de soi à l’étranger… Il y a un effet-miroir certain. Notre énergie nationaliste, parce qu’elle est moderne, pacifique et respectueuse de l’État de droit constitue aussi un « contre-modèle » susceptible d’être opposé à ceux qui ne cultiveraient pas les mêmes valeurs démocratiques. Nous sommes donc très heureux des liens tissés depuis longtemps avec ces pays qui seront peut-être souverains avant nous… Mais ce n’est pas « central » dans l’évolution des politiques extérieures de chacun. Nous pensons seulement que cela crée, à la marge, un contexte qui peut être positif pour tout le monde s’il s’appuie sur des expériences positives…
Où en sont les relations franco-québécoises ?
La construction politique France-Québec n’a jamais cessé de progresser. Depuis Lesage-De Gaulle jusqu’à Marois-Hollande en passant par Charest-Sarkozy, chaque couple de dirigeants a apporté sa pierre à l’édifice. Deux peuples séparés par un océan ayant un tel niveau d’intensité de coopération économique, culturelle, scientifique, touristique, cela n’existe pas ailleurs dans le monde. Avec le couple Charest-Sarkozy s’est instaurée, par exemple, la reconnaissance mutuelle des diplômes et des qualifications professionnelles. Cette étape considérable a permis à des centaines de français de venir travailler au Québec et inversement. Ainsi a été créée la matrice de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’ensemble de l’Union européenne, incontestablement initié par le couple franco-québécois. Des journées Québec ont lieu dans des villes françaises où ce sont les entreprises québécoises elles-mêmes qui recueillent des CV, organisent des entrevues et procèdent à des embauches… Le fait que les qualifications professionnelles soient reconnues de façon réciproque facilite beaucoup cette mobilité, désormais très grande.
Le couple Marois-Hollande va déterminer une nouvelle phase autour de l’innovation et la créativité. Cela va se décliner sur la jeunesse, l’économie et la culture. Le premier ministre français Jean-Marc Ayrault vient le 24 février et nous attendons du 21 au 23 mai le ministre de l’Économie Pierre Moscovici accompagné d’une délégation d’innovateurs français pour l’évènement que nous sommes en train de mettre sur pied : l’édition 2013 de « C2 MTL ».
De quoi s’agit-il ?
C2 pour Commerce et Créativité. MTL pour Montréal. Nous essayons de réaliser le « Davos de la créativité », dont l’originalité repose sur la rencontre du culturel et de l’économique. Avec son mélange d’effervescence nord-américaine et de culture européenne, Montréal est le lieu idéal pour cela. On y retrouvera aussi bien le Cirque du Soleil que le designer Philippe Stark ou bien encore les responsables de la planification stratégique de Google, les publicitaires québécois de Sid Lee qui gèrent le budget mondial d’Adidas ou bien encore les spécialistes de l’animation audio-visuelle de Moment Factory. Le but est de répondre à des questions, comme : qu’est-ce qui est créatif ? Qu’est-ce qui est vraiment nouveau ? Il y aura des discussions en français, d’autres en anglais parce que ce sera à Montréal, ville où coexistent toutes les cultures et où nous souhaitons attirer des talents. Qu’ils soient Français, Américains ou du monde entier… Je vais prendre l’exemple du cinéma. Il y a quelques années, à Paris, on disait : « Ah bon, il y un bon film québécois cette année ». Maintenant, comme il y en a eu chaque année, on a plutôt tendance à demander : « quel est le prochain film québécois ? ». Nous avons créé une attente. Nous voulons que cette attente-là devienne générale à propos de la créativité, que l’on dise : « qu’est-ce que l’on a inventé à Montréal cette année ? ». Car c’est l’un des endroits où le XXIe siècle est en train de se fabriquer.
La France, un peu rapetissée par la mondialisation, reste-t-elle pour vous un partenaire économique majeur ?
La clef de notre système économique, c’est la diversification. Nos plus graves problèmes, ces dernières années, ont été la valorisation du dollar canadien par rapport au dollar US et la mollesse du marché américain. On ne peut pas vivre avec l’idée que, quoi qu’il arrive, le marché américain absorbera nos produits. La France fait donc partie de notre stratégie de diversification et nous comptons bien développer notre commerce avec elle dans les prochaines années, notamment grâce au traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne. Les tarifs à l’entrée vont chuter pour nous à l’entrée et nos entreprises vont en profiter. Dés maintenant, nous avons des coopérations intéressantes. Quand Leroy-Merlin rencontre des difficultés avec ses producteurs de bois en Russie, nous l’approvisionnons sur place car ce sont des produits du même type adaptés au même climat.
Tout le monde est aussi très content ici de disposer de la plus grande implantation d’entreprises françaises en Amérique du Nord. Nous savons que ce n’est pas pour nos beaux yeux mais parce que nous offrons la meilleure plate-forme possible pour des exportations sur l’ensemble du continent américain dans un cadre juridique – nous sommes les uns comme les autres des enfants du code Napoléon – beaucoup moins déroutant que de l’autre côté de la frontière. Le taux de succès des entreprises françaises s’implantant au Québec est de 100 %. En parallèle, la France reste, après les États-Unis, le pays étranger qui compte le plus d’implantations québécoises.