La réinsertion durable
Une estrade, une maîtresse de cérémonie (Frédérique Rathle, de Danone Eaux France) arborant un micro de tête et des applaudissements en cascade. C’est une drôle de grand-messe qui s’est tenue mardi 25 avril à Pantin.
A l’occasion de sa soirée de lancement, LemonAide fêtait aussi la remise de diplômes de sa première promotion « d’agents logistiques ». Cinq hommes et une femme ayant suivi le parcours d’accompagnement socio-professionnel de la jeune start-up, qui se veut, selon les mots de sa directrice Maud Curial, « un tremplin vers l’emploi durable ». Le diplôme, symbolique, est reçu après six mois de « missions de travail » et de formation, d’ateliers, d’entretiens qui sont orchestrés avec le concours de FACE, une fondation d’entreprises qui agit depuis longtemps pour la réinsertion professionnelle.
A l’issue de ce cursus, un emploi pour 85% de la promo (dont quatre CDI). Et aussi, plus de 111 tonnes de matière (plastique, carton, métal…) recyclées. Pourquoi choisir le recyclage comme toile de fond de ce projet de réinsertion ? D’abord, les métiers liés à la collecte et au traitement des déchets sont méconnus, même s’ils représentent un bassin à forte employabilité. En 2015, l’Institut de l’économie circulaire prévoyait la naissance de 400 000 emplois locaux d’ici 2030. Surtout, c’est le recyclage qui a réuni, au départ, les trois structures à l’origine de cette « start-up engagée ».
La co-entreprise, RSE de l’avenir ?
A l’origine de cette start-up, la rencontre de trois structures bien différentes. Une fondation, FACE, qui réunit plus de 5 500 entreprises dans la lutte contre l’exclusion. A ses côtés, une start-up, LemonTri, qui depuis six ans propose une approche « positive » du tri et du recyclage à l’aide de ses machines et ses réseaux locaux. Enfin, une grande entreprise, Danone, dont le Fonds pour l’Ecosystème cherche à s’impliquer dans des projets de développement durable.
Leur objectif affiché, c’est de faire vivre l’économie circulaire et de s’inscrire dans une démarche durable : avoir un impact social, économique et environnemental qui soit positif. « En grandissant, on essaie de faire grandir les autres » dit Maud Curial. Le tout dans une entreprise viable. Si de bonnes idées ont pu émerger, c’est avant tout grâce à la coopération incongrue des trois acteurs. Par exemple, l’importance du mentoring de Danone dans l’établissement du business plan de LemonAide a notamment été soulignée.
Aujourd’hui, on célèbre ainsi les fruits de la co-entreprise. De ces trois entités sont nés des « partenaires bienveillants », dixit Augustin Jaclin, co-fondateur de LemonTri. L’une des valeurs de départ de son entreprise, c’était de « faire les choses avec les autres, pour les autres ». Chez Danone, Cécile Béliot-Zind renchérit : une des richesses du projet, c’est sa « capacité à connecter les leaders ». Si leur démarche est inédite, c’est parce qu’elle fait travailler tout le monde ensemble. Ce que cette aventure montre, pour Vincent Baholet, délégué général de FACE, c’est que « l’on peut faire société avec le monde de l’entreprise. Elle est un magnifique vecteur de changement. » Ainsi, les entreprises se concentrent non seulement ce qu’elles produisent, mais aussi la façon dont elles le font. Ici, l’enjeu est donc de co-créer une seconde vie pour les matières recyclables, en impliquant ceux qui ont besoin de se lancer dans de nouvelles perspectives professionnelles.
Valoriser le déchet
En laissant l’œil se balader dans le grand entrepôt, on remarque ici des balles de bouteilles en plastique, là une presse géante… Comme une étrange impression de se trouver dans un centre de tri au milieu de toutes ces personnes en costume.
Sur scène, Céline Beliot-Zind explique. « Travailler sur des ressources naturelles implique de grandes responsabilités ». Les entreprises décident donc s’impliquer dans le cycle de vie des bouteilles, élément clef de leur business, dont le destin influe beaucoup sur l’impact écologique de leur activité. Danone Eaux veut donc adopter une démarche responsable en termes de production des bouteilles, de choix de matériaux, mais aussi dans la fin de la vie d’une bouteille. Au-delà d’une rencontre fertile entre leaders de LemonTri et Danone, se profile aussi la complémentarité en termes de métier.
Récupérer le plastique (en particulier le PET) est donc une idée fructueuse pour tous. Quid du consommateur ? Le constat de départ de LemonTri était fondé sur les faibles scores de la France en termes de recyclage – seule une bouteille sur deux est recyclée. Comment impliquer dès lors des citoyens qui, la preuve par les chiffres, n’ont pas le tri sélectif dans l’âme ?
C’est le concept de la Reverse Vending Machine adopté par LemonTri. Déjà présentes dans d’autres pays comme le Danemark, ces machines récompensent le consommateur pour ses dépôts. Elles sont conçues pour repérer ce qu’on leur donne, et offrent en échange des petites récompenses aux recycleurs, qui varient selon l’endroit où se trouve la machine (entreprise, centre commercial…). Le principe est simple : ancrer dans l’esprit du consommateur que la bouteille ou encore la canette qu’il recycle ainsi n’est pas un déchet, mais une ressource à valoriser. Mettre un prix pour faire comprendre que « cela ne se jette pas ».
Si l’on pourrait hésiter sur la monétisation d’un geste que l’on voudrait voir effectuer par pur instinct citoyen et éco-responsable, il semble tout de même que la démarche éduque. Ainsi, d’après l’expérience en centres commerciaux de LemonTri : « pour un cercle grandissant de trieurs enthousiastes, amener ses bouteilles au supermarché est devenu un réflexe ! ». L’usage pourra-t-il se généraliser sans l’intervention des pouvoirs publics ? Au Danemark, le système du « Pant » est généralisé, et les canettes sont triées selon une classification supervisée par l’Etat.
Sans aller jusqu’à un retour à la consigne telle qu’on l’a connue jadis en France pour les bouteilles de verre, ces Reverse Vending Machines pourraient bien être l’avenir du recyclage, si leur usage se globalise suffisamment. Pour l’heure, il faut s’en remettre aux jeunes pousses telles que LemonAide, qui trouvent à tâtons de nouveaux chemins combinant coopération, réinsertion et recyclage.
Crédits image à la une : © LemonAide