Le député UMP de la Manche, a été à la tête du combat parlementaire contre la loi Taubira dite du Mariage pour tous. Entretien sans fioritures avec un parlementaire de la “génération 2007”, réélu en 2012.
Vous avez ferraillé des nuits entières à l’Assemblée Nationale contre la loi instituant le mariage entre personnes du même sexe. Elle est passée, promulguée. Quelques centaines d’unions ont été déjà célébrées. Quelle est votre position aujourd’hui ?
J’aurais préféré une union civile au mariage; je suis légaliste. À titre personnel je ne souhaite pas célébrer ce type de mariage. Je proposerais donc à mes adjoints de me remplacer. Mais s’ils s’y refusaient tous, je ne me déroberais pas à mes responsabilités et ferais mon devoir avec le sourire, sans prendre les mariés en otage ni saboter ou gâcher leur fête. Je combats des idées, pas des individus.
Je précise tout de même que j’ai déposé une proposition de loi introduisant une objection de conscience qui permettrait aux officiers d’état civil de s’opposer légalement à la célébration d’un mariage. Dans le but d’éviter d’éventuels blocages. 20 000 maires et adjoints ont en effet déclaré ne pas vouloir marier les gens de même sexe. Ils ont été recensés par le Collectif des Maires pour l’Enfance. Ce chiffre est incontestable. Cela représente 20 % de la totalité de ces élus qui sont au nombre de 120 000. J’ai souhaité que le préfet et le procureur puissent désigner un délégué qui se déplace à la mairie et organise la cérémonie de telle sorte qu’elle se déroule normalement. Au congrès des maires du 20 novembre 2012 le président Hollande avait reconnu qu’il pouvait y avoir un problème de conscience… avant de reculer sous la pression des lobbies gays et des Verts. Le conseil constitutionnel n’a pas cru devoir accepter cette clause d’objection de conscience ; il ne reste qu’un recours, celui que nous avons fait devant le conseil d’état contre la circulaire de Manuel Valls. Une majorité nouvelle devra reprendre cette question en 2017.
“Je déplore que l’UMP ait abandonné le terrain du sociétal.”
Donc vous prônez l’apaisement. Vous refuserez-vous à tout “jusqu’au-boutisme anti-mariage pour tous” ?
Je ne suis pas un jusqu’auboutiste de manière générale. Il faut absolument dépassionner le débat. Le problème ne se situe pas tant dans le mariage que dans la filiation. Le mariage n’est que la pointe émergée de l’iceberg, il n’y aurait pas eu cette mobilisation et ces millions de gens dans la rue s’il ne s’agissait que de marier les homosexuels. Le problème est bien la filiation, c’est-à-dire l’adoption qui va d’abord se raréfier. A l’instar de la Russie, la plupart des pays d’Asie et d’Afrique ont déjà déclaré qu’ils ne confieraient plus leurs ressortissants à l’adoption en France. Et surtout comment gérera-t- on la PMA et la GPA ? Au printemps le Comité consultatif d’Ethique donnera son avis. Je précise que la question de la gestation pour autrui se pose dans les mêmes termes pour les hétérosexuels. L’autoriser revient à chosifier et marchandiser le corps de la femme.
Cette liberté totale sans frein, que rien ne réglemente, où l’individu peut aller au bout de n’importe quel désir, me parait une pente dangereuse qui fragilise notre société et en particulier les plus faibles. Je reprends volontiers cette phrase de Lacordaire : “entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui protège”.
Mais cela va bien au delà. Voyez vous, ce texte sur le mariage pour tous a développé une profonde fracture entre une partie importante de l’opinion publique et le gouvernement. Ca a été un révélateur d’une question essentielle longtemps enfouie, sous jacente et occultée. Celle du sens que l’on veut donner à notre société et je dois dire que nous, à droite, avons une lourde responsabilité dans la chape de silence qui a relégué ces questions à l’arrière plan et a négligé de les traiter.
“Un parti politique ne doit pas se contenter d’être gestionnaire, il doit proposer un projet collectif de société.”
Faites-vous partie de ceux qui reprochent à la gauche de légiférer sur tout et de vouloir faire le bonheur des gens malgré eux ?
Justement, je déplore que l’UMP ait abandonné le terrain du sociétal. Notre ambition a été de bien gérer le pays, d’afficher un bon bilan comptable et un bon compte d’exploitation et de s’en satisfaire. Nous nous sommes concentrés sur le chômage, les problèmes économiques, la vie de l’entreprise, le déficit. C’est, bien sûr, la première préoccupation. Mais nous avons laissé de côté les questions liées à la laïcité, à l’intégration des nouvelles religions récemment apparues dans notre pays, des nouvelles cultures, à la liberté de penser, au devenir de la famille, à l’éducation. Un parti politique ne doit pas se contenter d’être gestionnaire, d’être monopolisé par les aspects fiscaux ; il doit proposer un projet collectif de société, un moyen de vivre ensemble. Il doit faire de la prospective. Depuis 30 ans nous avons laissé le champ de la réflexion et de l’idéologie à la gauche. Idéologie est pour la droite un gros mot. L’idéologie ce n’est pas le dogmatisme ! C’est l’ensemble des principes fondateurs qui organisent notre collectivité nationale. Le résultat est que la gauche, elle, n’a pas renoncé à “changer la vie” et revendique le champ de ce qui est personnel. Nous l’avons laissé prendre le dessus et nous, sur la défensive, nous nous sommes contentés de parer les coups.
“Je ne suis pas un jusqu’au-boutiste de manière générale. Il faut absolument dépassionner le débat.”
Le Président Giscard d’Estaing ne s’était- il pas, pourtant, aventuré sur les questions sociétales en instaurant la majorité à 18 ans et en autorisant l’IVG ?
Oui, c’est le dernier. Personne à droite, depuis, ne s’est penché sur le domaine de l’humain. La crise était sans doute passée par là. À l’UMP il y a désormais plus de financiers que de philosophes. Et même dans le domaine économique et social, il faut reconnaître que la droite a fait preuve d’une certaine paresse intellectuelle. Des réformes ont été entreprises mais sans doute ne sommes nous pas allés au bout des choses. Probablement nous sommes nous trop souvent contentés de reproduire le modèle qui a vu le jour au lendemain de la libération, le modèle conçu par le Conseil National de la Résistance. On s’est contenté d’ajuster les systèmes sociaux en collant des rustines. On a tenté d’adapter la protection sociale à la petite semaine, au jour le jour, sans avoir le courage de faire une réforme globale, une réforme systémique, pourtant indispensable. On a cru que le modèle pourrait survivre sans voir que les fondamentaux avaient radicalement changé. Je vais vous donner un exemple concret : depuis 1945 c’est le travail qui paie les cotisations sociales. Or la part des salaires va en diminuant grâce à la robotisation. La base taxable diminue lentement mais sûrement. Au cours des dix dernières années la part des salaires dans le PIB a diminué de 10 %. Si on continue à asseoir notre système social sur les salaires, on court inéluctablement à la catastrophe. J’ai d’ailleurs fait une proposition de loi sur le sujet visant à mettre en place un plancher minimum de charges sociales. Mais personne n’ose changer le système. La résistance au changement que le sociologue Michel Crozier dénonçait il y a trente ans est toujours la plus forte. Finalement la droite parlementaire a pêché par optimisme. Nous sommes encore dans le regret et la nostalgie des Trente Glorieuses, persuadés que la crise n’est qu’un mauvais moment à passer. J’ai le sentiment que l’on croit au retour d’un âge d’or qu’on ne reverra plus jamais.
Vous paraissez sans illusion sur votre famille politique, à qui vous reprochez d’avoir délaissé le champ sociétal et raté celui de l’économique. Est-ce une forme d’aveu ?
Attention, ce n’est pas un réquisitoire. Je m’inclus dans ces constatations et ne renie rien ni personne. Je note seulement que nous avons failli dans un certain nombre de cas, par un conformisme sécurisant. Ce n’est jamais facile de tout remettre en question. Mais là où nous avons le plus perdu de terrain c’est dans le consensus collectif, le modèle dominant. Du coup on laisse le Front National s’engouffrer sur ces problématiques et donner les réponses que l’on sait. La force de la IIIe République, non sans heurts d’ailleurs, a été d’avoir organisé la collectivité nationale, d’avoir proposé un projet de vie ensemble. Parce qu’il y avait des convictions fortes chez les hommes politiques de tous bords en ce temps. Où sont les nôtres ?
Le mariage a été le catalyseur de ce profond désarroi qui a envahi notre nation. Pas seulement notre nation d’ailleurs : toute l’Europe ressent cette crise profonde de civilisation avec le déclin de la natalité, les interrogations sur l’immigration et la place de l’islam, les évolutions de la famille, etc…
Un certain type de société risque de disparaître. Ce n’est pas la fin du monde, disent certains, d’accord, mais c’est la fin d’un monde, le nôtre, celui dans lequel nous sommes nés. Il faut en être conscient, le savoir et décider ensemble vers quoi nous nous dirigeons et quel monde on veut mettre à la place. On détruit la civilisation judéo-chrétienne mais pour la remplacer par quoi ? Quel modèle de civilisation veut-on ? Je refuse de me laisser emporter comme un fétu de paille par le vent de l’histoire que certains veulent inéluctable. Je refuse de laisser les Taubira, Vallaud- Belkacem, Bertinotti, Peillon, Duflot ou bien Pierre Bergé et les militants de LGBT m’imposer leur modèle sans avoir mon mot à dire. Ce sont des militants qui veulent faire du prosélytisme. Le législateur n’est pas un huissier, un greffier qui ne fait que constater l’état de la société et se contente de l’entériner en adoptant des lois nouvelles au coup par coup. Il doit avoir une vision d’ensemble, un projet global, une ambition pour la nation. Je ne veux pas imposer la mienne mais je veux à tout le moins qu’on ouvre le débat, qu’on recherche tous ensemble un projet qui puisse nous réunir.
Propos recueillis par Liliane Delwasse