Il y a vingt ans, il était déjà ministre. C’est une caractéristique rare dans l’équipe de Jean-Marc Ayrault. Michel Sapin, peu soucieux de gloire “people” fait partie de ces responsables qui pourraient imprimer “Profession : ministre” sur leurs cartes de visite. Il a détenu un portefeuille sous Édith Cresson (délégué à la Justice) puis Pierre Bérégovoy lui a confié – suprême preuve de confiance de la part d’un Mitterrandien vis-à-vis d’un Rocardien – le ministère de l’Économie et des finances. Après la dissolution de 1997, il rejoint l’équipe Jospin et hérite, de 2000 à 2002, de la Fonction publique et de la réforme de l’État. Le village politique s’attendait donc, au printemps 2012, à ce qu’il fasse partie du gouvernement, même s’il était plutôt “donné” aux finances… voire à Matignon !
Ceux qui le connaissent bien affirment qu’il est heureux de se trouver en première ligne dans le combat – aux allures désespérées pour le moment – visant à inverser la courbe du chômage. Il jouit, comme son condisciple et ami de la promotion Voltaire de l’ENA installé à l’Élysée, de la faculté de traverser les tempêtes avec une humeur égale. Des nerfs d’acier, un caractère affable et une connaissance sans égale – au gouvernement, seul Laurent Fabius peut rivaliser avec lui sur ce point – de tous les rouages de l’État. Ajoutons à cela qu’il est bien avec tout le monde et qu’il s’est constitué un discret mais très solide réseau d’anciens collaborateurs occupant des fonctions importantes dans le secteur privé. Il ne manque même pas à ce bon élève une solide implantation de terrain. À sa manière et sans jouer les féodaux, il s’est bien installé dans l’Indre (après avoir été député des
Hauts-de-Seine) même si, redevenu ministre, il a préféré démissionner de son mandat de maire d’Argenton-sur-Creuse et laisser son fauteuil de député à Jean-Paul Chanteguet. Pour l’anecdote, ses origines familiales l’affublent, selon le généalogiste Jean-Louis Beaucarnot, d’un lointain cousinage avec Gérard Depardieu, ce qui ne l’a pas empêché de stigmatiser l’exil fiscal de l’acteur…
L’art de la négociation
Michel Sapin aime répéter qu’il faut inscrire “la démocratie sociale dans la démocratie politique”. Pour lui, la politique n’est pas un sport de combat mais un art de la négociation Jamais de formules assassines mais des propos fermes, notamment face aux experts proposant de différencier les rémunérations selon les âges et les régions : “Il n’y a et il n’y aura qu’un seul smic” (à propos de l’éventuel retour d’un smic jeunes) ou bien encore : “indexer le smic sur la croissance serait dommageable pour le smic si la croissance est basse”. Tout en promettant des “coups de pouce exceptionnels” en cas d’embellie et de fixer le salaire minimum à partir d’un indice intégrant les charges incompressibles des plus démunis (comme le gaz et l’électricité), il lui faut défendre des positions très difficiles en matière de pouvoir d’achat. La hausse au 1er janvier 2013 n’est que de 0,3 %, compte-tenu des 2 % accordés en juillet dernier.
À 60 ans, récemment remarié à la journaliste Valérie de Senneville des Échos, Michel Sapin ne donne jamais l’impression de porter tous le poids des promesses électorales de François Hollande. Mais c’est bien lui qui devra apporter, avant la fin du quinquennat, la preuve de la réussite de deux opérations majeures : les “emplois d’avenir” (pour les jeunes sans qualification), qu’il a rendu opérationnels dès le Ier novembre et le “contrat de génération” soumis au Parlement dès ce mois de janvier. Ses collègues et certains députés ont tendance à trouver plutôt habile dans l’art de ne pas se mêler du détail des plans sociaux tout en privilégiant le dialogue avec le patronat et les grands dirigeants syndicaux.
Trois Français sur quatre, selon un récent sondage (Ifop-JDD), ne croient pas à la possibilité d’inverser la courbe du chômage avant la fin de 2013. Le ministre du Travail considère pour sa part qu’il s’agit d’un “objectif mobilisateur” susceptible d’être atteint “dès lors que l’on met en place des politiques de croissance, d’emploi, d’innovation, d’investissement”. Pour lui, le temps des campagnes électorales est passé : “il ne s’agit plus de promettre mais de mettre en place ce qui a été décidé”.