L’air du temps semble propice aux approches originales en rupture avec les partis politiques traditionnels. S’agit-il d’un épiphénomène ou de l’expression d’ambitions inspirées par le sentiment d’un manque de renouvellement des idées et des acteurs ? L’avenir montrera quel accueil les citoyens réserveront aux “nouveaux entrants” dans le débat démocratique. A gauche, Pierre Larrouturou a quitté le PS pour fonder “Nouvelle donne”. A droite, le mouvement “Nous citoyens” du chef d’entreprise Denis Payre veut s’engager dès les municipales. Mais il faudra compter aussi avec SOCIETECIVILE2017. Entretien avec le fondateur de cette association, Michel Guénaire.
Vous avez trouvé le temps, en marge d’activités professionnelles très absorbantes, d’écrire et de publier un livre très fouillé, issu de vos réflexions et échanges avec de grands intellectuels, intitulé Le retour des États. Dans la foulée, vous avez fondé SOCIETECIVILE2017. Est-ce pour revendiquer un “droit à l’ex- pression politique” en dehors des partis traditionnels ?
J’ai toujours pensé que ma réflexion, poursuivie depuis près de vingt ans et traduite par mes différents essais, aboutirait un jour à une expression politique. C’était comme une préparation de longue haleine. J’ai mené cette réflexion à côté de mon métier qui m’a beaucoup appris sur le monde, ce monde rude et réaliste qui nous entoure, un monde sans réciprocité. Aujourd’hui, la vision du monde que j’exprime dans Le retour des États représente bien pour moi le préalable à la définition d’un projet politique pour la France. Notre pays doit avant tout savoir que toutes les régions du monde s’organisent avec leurs États, et que ce n’est plus le moment de continuer à croire à une mondialisation sans le gouvernement des nations.
Votre démarche et celle d’institutions similaires semblent s’inscrire dans un “climat désenchanté” par rapport aux “acteurs installés” de la scène politico-médiatique. Est- il sérieusement possible d’élargir “l’offre existante” des “partis et groupements (qui) concourent à l’expression des suffrages” au terme de l’article 4 de la Constitution ?
Les partis ne concourent plus à l’expression du suffrage que comme éléments d’organisation des campagnes électorales. Leur concours devrait être aussi intellectuel et moral. Les partis tendent plutôt à se vider de toute capacité de réflexion et d’exemplarité.
Nous sommes arrivés à la fin d’un cycle. La classe politique est devenue une classe de professionnels de la politique, à l’intérieur de laquelle un funeste cursus honorum fait gravir aux élus les étapes d’une carrière politique fermée sur elle-même. Son offre, comme vous dites, est nulle ou presque. Dans une telle situation, il faut repartir de la société civile. C’est elle seule qui peut redonner la direction, la connaissance des besoins de la nation, l’orientation de l’action politique. Il est donc, non seulement possible, mais nécessaire de dépasser l’offre existante des partis.
“Nous sommes arrivés à la fin d’un cycle. La classe politique est devenue une classe de professionnels de la politique, à l’intérieur de laquelle un funeste cursus honorum fait gravir aux élus les étapes d’une carrière politique fermée sur elle-même.”
Sauf circonstances exceptionnelles, la prochaine élection présidentielle aura lieu en avril 2017. La question des “primaires” sera plus aigüe pour les forces de droite que pour celles de gauche, qui disposeront d’un président sortant. Pensez-vous que les associations telles que la vôtre doivent y participer ?
La grande famille de la droite et du centre n’aura pas de candidat naturel à l’élection présidentielle de 2017. Il y aura donc une compétition. Dans cette compétition, vu la situation de la France, il faudra que les candidats avancent avec un vrai projet nourri d’une vision du monde. Le temps de la litanie des réformes est fini. Si une association comme la nôtre est capable de présenter un projet politique, elle doit pouvoir trouver l’homme ou la femme qui sera capable de porter celui-ci devant les Français. Aller aux primaires ou ne pas y aller ? Il est trop tôt pour le dire.
Jean-Christophe Fromantin, député UDI et maire de Neuilly-sur- Seine, vient de rédiger une “charte des candidats libres” en vue des municipales, de manière à préserver les enjeux territoriaux de la méfiance des électeurs vis-à-vis des partis traditionnels. S’agit-il selon vous d’une initiative intéressante ?
C’est une bonne initiative, qui est un autre symptôme de la dé- fiance des Français à l’égard des partis politiques. Dans les élections locales, on doit pouvoir imaginer que des candidats se présentent au corps électoral selon des critères de connaissance des sujets à traiter mais surtout d’authentique désintéressement dans l’exercice du mandat. Il faut cependant se garder de vouloir à tout prix con- tourner les partis politiques. La démocratie en a besoin. Mon projet n’est pas, pour ma part, ni pour ceux qui m’accompagnent dans SOCIETECIVILE2017, d’exclure qui que ce soit du projet politique de synthèse que nous voulons définir. Les partis doivent bénéficier eux- mêmes du renouveau que nous pourrons proposer.
L’énergie et la créativité des Français restent les meilleurs atouts de notre pays mais vous faites partie de ceux qui estiment que ces qualités ne sont pas “portées” par les hommes politiques d’aujourd’hui. Lesquels affirment naturellement le contraire à longueur de discours sur l’innovation et de plans à long terme. Comment sortir du dialogue de sourds ?
L’approche de l’action politique par les hommes politiques est devenue purement gestionnaire. Nous avons affaire à des élus qui pensent la politique en termes d’adaptation technicienne de la société. C’est le leitmotiv de la réforme. Comme je l’avais dit dans une interview au Monde à l’automne 2012 après la défaite de Nicolas Sarkozy, les gouvernements de François Fillon ont fait voter en 5 ans 250 lois, soit 1 loi par semaine, et on se demandait au final pour aller où. La droite n’a jamais su dire pour quelle société elle a gouverné. Un projet politique est un projet de société qui doit traduire l’énergie d’un pays.
Ce qui vous distingue notamment d’autres mouvements apparus à droite et inspirés plutôt par le “trop d’impôt” ou le “trop d’État”, c’est votre analyse des nouveaux ensembles politiques renaissant dans le monde, montrant que l’on se dirige plus vers des “états forts et rénovés” que vers une mondialisation sans barrières. Dans un débat politique plutôt au “ras des paquerettes” depuis quelques années, par quels exemples allez-vous faire comprendre l’importance du “rapport de la France avec le monde” ?
Je crois que je n’aurai pas beaucoup de mal à le faire comprendre parce que les Français l’ont eux-mêmes compris et depuis longtemps. C’est une conviction que je partage avec mon ami Marcel Gauchet. Seules les élites politiques et intellectuelles du pays continuent de croire à une mondialisation dominée par le discours de l’Occident. Ils se refusent à voir que le monde qui naît est un monde multipolaire et, je le répète, sans réciprocité, où des types culturels de puissance politique rejaillissent avec leur liberté de ton et leur indépendance souveraine, comme la Chine et la Russie, mais également l’Iran et la Turquie. Les sociétés avec leurs Etats s’organisent pour défendre leurs intérêts et protéger leur identité. L’Occident doit chercher un équilibre du monde, et non plus un ordre du monde, et un pays comme la France discipliner dans ce sens sa diplomatie.
Vos documents préparatoires insistent beaucoup sur “Le progrès de l’individu”. Est-ce que ce n’est pas une façon de vous démarquer de “la primauté de l’économie” chère à certains à droite ou des arguments un peu courts, du style “il faut gérer l’État comme une entreprise” ?
Quand j’ai publié mon anthologie du libéralisme, Les deux libéralismes, j’ai relu les auteurs libéraux anciens et modernes, et j’ai perçu, notamment dans la pensée d’un homme comme Amartya Sen, un renouvellement du discours libéral. Ce dernier substitue à la priorité des libertés formelles de l’individu celle des capacités réelles du développement de la personne. Cette évolution m’a marqué. Je crois plus à l’exigence du progrès de chaque individu qu’à la seule logique des droits et des libertés. Un projet politique doit le regarder en priorité.
Comment va s’organiser le travail de SOCIETECIVILE2017 et selon quel calendrier ?
Deux mi-temps de dix-huit mois nous séparent de l’échéance de 2017. Durant la première mi-temps, SOCIETECIVILE2017 cherchera à définir un projet politique en recueillant les contributions de ses adhérents à quatre groupes de travail : un sur la recherche d’une nouvelle croissance pour le pays ; un sur le progrès de l’individu, puisque, ainsi que je viens de le dire, l’action politique doit désormais permettre à chaque citoyen de réussir son propre parcours personnel et professionnel ; un sur le contrat de l’État avec la société française ; un sur la place de la France dans le monde. Un site internet recueillera ces contributions. Nous chercherons parallèlement à réunir toutes les énergies de la société civile en créant dans le pays, mais aussi dans les capitales du monde où il y a des résidents français, des clubs territoriaux où nos adhérents viendront échanger et répondre aux questions des groupes de travail. Au terme de cette première mi-temps, qui doit nous mener au milieu de 2015, SOCIETECIVILE2017 rédigera son projet et se comptera. Si elle est reconnue porteuse d’un vrai projet et a suffisamment rassemblé sur le terrain, elle se lancera alors dans une présence nécessaire à l’échéance visée. Pourquoi enfin cette échéance ? Il n’y a qu’elle qui permettra de marquer les débats et d’inviter les Français au choix d’un nouveau départ de leur pays.
Pensez-vous qu’il soit souhaitable d’ériger en principe que votre association ne deviendra pas un nouveau parti – susceptible, par exemple, de présenter des candidats aux élections locales – ou, au contraire, acceptez-vous l’hypothèse de cette transformation comme une évolution possible ?
Je ne crois pas qu’il soit utile que SOCIETECIVILE2017 devienne un parti politique pour atteindre ses objectifs. Elle doit rester un mouvement ouvert et convergent du plus grand nombre des talents de notre pays. Elle ne doit pas surtout se disperser dans son but qui est l’élection présidentielle prochain.
Un célèbre journaliste a dit de vous récemment : “On connait Michel Guénaire mais il n’est pas connu”. N’avez-vous pas l’impression qu’il sera très difficile de conserver un mes- sage élaboré et non simpliste dans le très réducteur bain politico-médiatique ?
On ne me connaît pas, mais j’ai le temps de me faire connaître. J’ai eu un engagement politique à 17 ans. J’avais adhéré aux Jeunes Giscardiens. J’aurais pu d’ailleurs poursuivre mon engagement en me présentant à des élections, comme l’ont fait par exemple Nicolas Sarkozy et François Fillon. Nous avons le même âge tous les trois. J’ai préféré avoir un métier, sans m’éloigner de la chose publique, notamment en conseillant l’investissement de grandes entreprises dans le secteur de l’énergie, et puis j’ai mené cette réflexion continue à travers mes essais. Je ne suis donc pas un novice de la chose publique. Par ailleurs, mon métier m’a appris à parler pédagogiquement. Enfin, si, malgré tout cela, je devais rester différent des autres, je suis sûr que les Français ne le jugeraient pas mal. Ils sont las de ces mannequins de la parole plate. Mon point de départ est la confiance dans l’intelligence de la société française.
Propos recueillis par Jean-François Bège