Médecins, représentants d’associations de malades et journalistes ont été réunis fin mai dernier par la sénatrice EELV du Val-de-Marne Esther Benbassa, afin de prendre conscience de l’enjeu que constitue la légalisation du cannabis thérapeutique. Le lendemain s’est tenu un débat sans vote au sein de l’hémicycle.
Un « enjeu majeur de santé publique »
Entre 300 000 et un million. C’est le nombre de patients qui nécessitent aujourd’hui en France d’avoir recours au cannabis thérapeutique afin de rendre supportables des douleurs inapaisables par la médecine traditionnelle. A l’image de Mado Gilanton, qui, fatiguée de devoir supporter seule sa lésion de la moelle épinière, a fondé l’association Espoir-Impatient et pris la présidence d’APAISER S&C. Présente lors de cette conférence de presse, elle est revenue, émue, sur son combat quotidien contre la maladie et sur les propriétés apaisantes du cannabis. « Il m’a permis de ne plus détester mon corps, de ne pas en arriver au suicide. » C’est pourtant le choix que trois malades au sein de son association ont fait, faute de pouvoir supporter leurs douleurs plus longtemps ; c’est aussi la raison pour laquelle le Comité éthique et cancer avait estimé en décembre dernier qu’il était « inéthique » que certains patients ne puissent avoir accès au cannabis pour soulager de telles souffrances.
Une mise en péril des patients faute d’autorisation
« On fait aujourd’hui notre propre médecine sans savoir s’il y aura des interactions médicamenteuses ». Madame Gilanton rappelle ainsi l’absence de suivi médical et de garantie sur la qualité des produits avec lesquels les patients se soulagent. Et pourtant s’insurge-t-elle,« on sait qu’il y a des livraisons dans les services de chimiothérapie et que des médecins ferment les yeux. On sait que des urgentistes recommandent discrètement à des patients en phase terminale de prendre du cannabis ! » C’est pourquoi il faudrait d’après elle légiférer au plus vite afin d’empêcher les malades d’apaiser les douleurs au péril de leur vie et de leur santé. Ces derniers ont en effet recours à différentes méthodes de consommation mais privilégient souvent la voie d’administration fumée, coupée avec du tabac. Le taux de THC dans le joint est alors si élevé qu’il en devient toxique pour le malade, à la recherche d’un effet thérapeutique normalement obtenu grâce à un équilibre entre les molécules de THC et de CBD.
Un coût économique et judiciaire
La sénatrice Esther Benbassa le rappelle à juste titre : «les patients se fournissent aujourd’hui sur le marché légal en Suisse ou ailleurs, mais aussi via le marché illégal. »Ceux qui s’approvisionnent à l’étranger sont alors amenés à dépenser entre 500 et 2 000 euros par mois à ce titre. Nous avons donc des personnes malades, amenées à dépenser des sommes colossales, ou pire, à se livrer à l’automédication, en pratiquant l’auto-culture ou en se fournissant sur le marché noir. Des patients qui dans les deux derniers cas agissent aujourd’hui en toute illégalité. La loi traite par conséquent, en l’état actuel des choses, de bons citoyens voulant dépasser leur souffrance en véritables délinquants. Bechir Bouderbala, du collectif Alternative pour le Cannabis à visée Thérapeutique (CACT) estime alors que «l’Etat doit protéger les plus faibles mais qu’aujourd’hui, il les condamne. » L’État français condamne par exemple une mère de famille, Prisca, atteinte depuis sa naissance du syndrome de Nail Patella et quicultive des plants de chanvre chez elle afin d’apaiser les douleurs liées à cette maladie génétique. Bechir Bouderbala plaide en conséquence pour la mise en place d’une circulaire de dépénalisation du cannabis dans ces cas précis sur le modèle de la «circulaire Guigou ». «Il faut cesser la répression et le désordre social qu’elle provoque »insiste-t-il, surtout quand on sait que 82% des Français sondés sont favorables à l’usage du cannabis sur prescription médicale (enquête de l’IFOP pour Terra Nova-Echo citoyen, juin 2018). Il est temps à l’en croire de suivre le modèle des vingt pays sur les vingt-huit que compte l’Union européenne qui autorisent, à différents niveaux, le cannabis à usage médical.
Un traitement accessible à tous et partout
Alors que le gouvernement tente déjà d’endiguer au mieux le problème des déserts médicaux, il est indispensable que les généralistes soient rapidement formés et habilités à prescrire du cannabis afin de rendre le traitement accessible non pas uniquement aux patients en capacité de consulter des spécialistes mais à l’ensemble des malades. La distribution doit ensuite se faire en pharmacie, dans le but de desservir l’ensemble des territoires et de s’assurer que les produits délivrés soient conformes aux normes de qualitéet de respect de l’environnement. Pour cela, la sénatrice Esther Benbassa a formulé le souhait qu’ils soient issus de l’agriculture biologique.
Il faut enfin que le médicament soit disponible sitôt la législation adoptée, afin de ne pas commettre à nouveau l’erreur de 2014 à propos du Sativex, comme le rappelle le Professeur Didier Bayle. Ce spray réalisé à base de molécules dérivées du cannabis, destiné à soulager les douleurs neuropathiques liées à la sclérose en plaques, n’a en effet jamais étécommercialisédans les pharmacies françaises du fait d’un désaccord sur le montant de son remboursement. Les associations demandent également par conséquent le remboursement du cannabis médical par la Sécurité sociale, possiblement en collaboration avec les mutuelles.
Des experts au chevet de la mise en application
En septembre dernier, un Comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) s’est emparé de la question à la demande de l’Agence Nationale du Médicament (ANSM), afin d’établir la pertinence d’administration de cannabis à visée thérapeutique. Ce comité a estimé que cinq catégories de patients pourraient ainsi se voir prescrire du cannabis : ceux souffrant de douleurs réfractaires aux thérapies existantes, ceux souffrant de certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, ceux nécessitant des soins de support en oncologie, ceux se trouvant en situation palliative et enfin ceux qui sont confrontés à une spasticitédouloureuse de la sclérose en plaques. La sénatrice à l’origine de ce débat souhaite cependant assister à un élargissement de cette liste de situations. Le Comité envisage pour sa part de mettre en place un registre national des patients pour assurer une évaluation bénéfice/risque du traitement. Enfin, une expérimentation à grande échelle est attendue afin d’étudier les modalités de mises à disposition du cannabis médical, une expérimentation jugée nécessaire par le Docteur Olivier Heinzlef, président de la Ligue contre la sclérose en plaques. « Les patients utilisent le cannabis, mais en réalité on a très peu d’études sur les risques d’effets secondaires. Il faut une expérimentation. » L’ANSM devrait rendre un avis à ce sujet le 26 juin prochain.
De la confusion constante entre cannabis thérapeutique et récréatif
Le Professeur Amine Benyamina, président de la Fédération française d’addictologie, déplore chaque jour un peu plus cette diabolisation du produit. « Si le cannabis thérapeutique a du mal à  percer en France c’est parce que les prohibitionnistes maintiennent cette confusion entre cannabis médical et cannabis récréatif. On n’essaye pourtant pas de vendre du shit ! On veut pouvoir prescrire des molécules qui seront passées par toutes les étapes d’évaluation d’un médicament. Il faut à tout prix que les neurologues et cancérologues s’emparent de la question », insiste-t-il. S’ils ne le font aujourd’hui pas, c’est essentiellement par crainte que cette légalisation constitue la voie royale à une légalisation globale du cannabis. La sénatrice Esther Benbassa l’a néanmoins rappelé à juste titre « Pas plus que l’utilisation des opiacés n’a transforménotre pays en fumerie d’opium, l’autorisation réglementée du cannabis thérapeutique ne devrait conduire à la généralisation des volutes récréatives ».