Selon une étude menée par le think tank libéral Institut Sapiens, cinq professions seraient menacées de disparition par le développement de l’intelligence artificielle : employé de banque et d’assurance, comptable, manutentionnaire, secrétaire et caissier. Cette technologie va surtout profondément transformer les métiers existants. C’est la conviction de Jérémy Harroch, fondateur de Quantmetry, une société spécialisée dans les mégadonnées et l’IA.
L ’intelligence artificielle peut-elle finir par mettre au chômage les personnes qui la créent ?
Chacune à leur échelle, toutes les professions connaissent des risques de disparition et notamment les chauffeurs avec l’arrivée prochaine des véhicules autonomes. C’est d’ailleurs un véritable enjeu sociétal dont il faut s’emparer dès à présent. Autre métier concerné : celle de métreur, puisque la reconnaissance d’image et l’interprétation d’un plan ne seront plus demain l’apanage du cerveau humain.
A terme, la grande majorité des métiers va devoir très fortement changer sans disparaitre pour autant. Prenons le cas du journaliste : quand les machines pourront se charger de la rédaction de brèves et de synthèses, le rédacteur devra alors se concentrer sur des articles de fond avec une dimension éditoriale. Car aucun ordinateur ne pourra donner son opinion ou remettre en question un fait d’actualité sous un angle original.
En revanche, certains métiers ne pourront jamais se voir remplacés par des logiciels comme les artistes, les musiciens ou encore les danseurs : car c’est justement leur dimension humaine qui prime !
Le sujet, très technique au départ, est apparu dans sa dimension sociétale il y a deux ans avec l’arrivée de solutions informatiques qui avaient vocation à automatiser la création d’algorithmes. Toutefois, si ces dernières fonctionnent très bien pour des opérations connues de longue date, elles ne s’appliquent pas à des besoins relativement nouveaux. Dans ce cas précis la menace est donc très incertaine voire improbable.
L’arrivée des caisses automatiques a effectivement entrainé une baisse de la masse salariale dans les supermarchés. Toutefois, de nombreux consommateurs souhaitent aussi associer le contact humain à l’acte d’achat. Ne croyez-vous pas que certains métiers survivront quand même à plus petite échelle ?
Tout comme l’artisanat, certains métiers vont survivre. Ce que vous évoquez va surtout s’appliquer au monde du luxe pour des raisons de standing et de cérémoniel. Car lorsqu’un client achète un produit àplusieurs milliers d’euros, il ne s’attend absolument pas à devoir le régler dans une caisse automatique ! Autre enjeu : celui de l’anonymat. Dans un monde oùles publicités sur Internet sont expressément triées pour correspondre àvos goûts, le plus grand luxe que vous pouvez vous offrir c’est un vendeur qui ne sait rien de vous !
L’IA va aussi créer de nouveaux métiers très qualifiés dont certains qui n’existent pas encore. Lesquels ?
Ces métiers existent déjà pour la plupart mais une compétence supplémentaire en lien avec l’intelligence artificielle leur sera exigée à terme. Un médecin du futur devra notamment maîtriser cette nouvelle technologie pour être capable d’interpréter une réponse proposée par un ordinateur. Cette forme de collaboration entre l’homme et la machine va prendre de plus en plus d’ampleur, et ce dans de nombreuses branches.
Au sein même de l’intelligence artificielle, les data scientist et les ingénieurs en IA sont autant de nouvelles professions promises à un bel avenir. Les attentes du marché sont très fortes, c’est pourquoi les formations comme les pouvoirs publics doivent donc s’adapter en conséquence. Car si la France n’adopte pas une politique d’ouverture de données, on se retrouvera dans une situation de destruction d’emplois car nos chercheurs partiront travailler à l’étranger.
A terme, la grande majorité des métiers va devoir très fortement changer sans disparaitre pour autant.
Comment aider les jeunes à choisir aujourd’hui un métier qui ne sera pas menacé demain par l’IA ?
Les métiers enseignés à l’université prennent déjà en considération le fait qu’ils sont en cours de transformation et les jeunes doivent l’avoir en tête. A commencer par ne pas ignorer le processus de digitalisation ne serait-ce qu’en se renseignant. De là à être capable de prédire quel métier aura la plus grande probabilité de survivre à l’avenir est un challenge très compliqué ! Il faut surtout maintenir une culture d’agilité et d’adaptation pour anticiper ces changements. Toutefois, au vu du développement de l’IA, je pense que nous devrions développer davantage de formations scientifiques courtes avec des niveaux de qualité différents.
Sans oublier qu’aujourd’hui, on continue à former à beaucoup plus de métiers à très faible employabilité et qui n’ont rien avoir avec l’IA qu’ à des métiers à forte employabilité qui pourraient pourtant, à terme, être remplacés par celle-ci.
Le recours de nos sociétés à des systèmes d’expertise numérisée vous semble-t-il inexorable ou sera-t-il freiné par le coût des investissements ?
Aujourd’hui, le logiciel présente la particularité de se vendre dans des modèles de licence sans engagement sur des serveurs externes dont le coût est très peu élevé. L’erreur n’est donc pas de s’équiper, mais de le faire mal ou au mauvais moment. Ce n’est clairement pas un problème tarifaire.
La digitalisation de nos sociétés va donc forcément continuer et de manière significative, sans être pour autant synonyme de diminution de masse salariale. Lorsqu’une personne pourra partiellement être remplacée par un logiciel, elle sera invitée à exécuter d’autres tâches créatrices de valeur.
Aujourd’hui, les choix nécessaires à ce que l’IA soit une force pour l’emploi n’ont pas été faits en France.
A la question de savoir si, à moyen et long terme, le développement de l’IA représente une menace ou une opportunité pour le marché du travail, la réponse varie selon le degré d’implication des interlocuteurs dans la conception ou la commercialisation des logiciels. Quel est, sans langue de bois, votre sentiment ?
Aujourd’hui, les choix nécessaires à ce que l’IA soit une force pour l’emploi n’ont pas été faits en France. Personne ne s’en aperçoit ni ne sait même de quelles décisions il s’agit. C’est dommage parce que je pense que nous avons clairement une place sur ce marché. L’urgence, c’est d’adopter une politique publique d’ouverture des données afin que cette technologie devienne un levier de croissance et non destructrice de masse salariale.