Un rapport de la fondation Terre de liens rassemble pour la première fois toutes les données sur l’état des terres agricoles en France et fait ce constat : en 2030, 5 millions d’hectares de terres agricoles seront à reprendre. Or ces terres fertiles disparaissent petit à petit sous le béton ou se concentrent dans les mains de quelques-uns, rendant parfois la vie compliquée pour les jeunes agriculteurs qui souhaitent s’installer pour de la production à petite échelle.
Le rapport de la fondation Terre de liens, publié le 26 février dernier, est alarmant: d’ici 10 ans, au moins 25% des agriculteurs partiront à la retraite, 5 millions d’hectares de terres changeront de main, soit 20% des terres agricoles françaises.
52 % du territoire national est occupé par les terres agricoles.
Déjà, ces 10 dernières années, 80 000 emplois agricoles ont été détruits et un cinquième des fermes a disparu. Celles qui restent continuent de s’agrandir, de se spécialiser, de se mécaniser, pérennisant un modèle agricole insoutenable pour l’environnement et peu souhaitable du point de vue économique et social.
La concentration des terres se poursuit
Aujourd’hui, près d’une ferme sur trois seulement est transmise et rares sont celles qui parviennent à être remises à un nouveau paysan, en particulier en dehors du cadre familial.
« À rebours d’un modèle agricole à taille humaine, le capital investi sur les fermes est tel qu’il rend très difficile l’installation de nouveaux agriculteurs pour remplacer ceux qui partent à la retraite. Ces derniers se tournent alors vers leurs pairs, désireux d’agrandir encore leurs unités de production ou vers de nouveaux investisseurs, parfois loin du secteur agricole » constate le rapport. Terre de liens précise également que « l’agrandissement des fermes s’est accompagné d’une baisse des emplois sur celles-ci. En 20 ans, 320 000 emplois agricoles (équivalent temps plein) ont été détruits. »
Les prix des terres sont trop élevés
Le rapport insiste sur les difficultés financières des jeunes plus que sur leur manque de vocation. Dans les zones urbaines et péri-urbaines, la pression sur ces terres est ininterrompue. Laissées en friche dans l’attente de leur devenir « constructible », celles-ci sont l’objet d’une spéculation continue. « Face à la faiblesse des retraites agricoles, les terres représentent souvent un capital nécessaire dont il convient de tirer le meilleur parti » souligne le rapport.« Aujourd’hui, la moitié des fruits et légumes consommés en France est importée. »
L’artificialisation croissante des terres agricoles intensifie mécaniquement la pression sur la surface restante consacrées à l’agriculture. D’autant plus que les usages non alimentaires vont croissant (production de biomasse pour les énergies renouvelables, emplacements pour panneaux solaires, exploitation de matières premières, etc.).
Cette concurrence participe à la hausse des prix des terrains en favorisant l’intensification industrielle des pratiques agricoles sur les terres restantes.
La région Provence-Alpes-Côte d’Azur est la plus emblématique, avec son hectare pouvant dépasser les 120 000 euros, contre une fourchette allant de 3000 à 12 000 euros en moyenne en 2020 dans les autres départements.
« On perd un terrain de football toutes les sept minutes »
Depuis 30 ans, la dynamique d’artificialisation est constante. D’après le rapport Terre de liens, « la France artificialise chaque année entre 50 000 et 60 000 hectares soit l’équivalent d’un terrain de foot toutes les sept minutes », « c’est une surface équivalente à la capacité à nourrir une ville comme Le Havre qui est perdue ».
« Artificialisation galopante, dégradation des sols, concentration des terres, ultra-spécialisation des fermes et non-renouvellement des générations paysannes les attaques que subit la terre sont aujourd’hui nombreuses et connaissent un rythme effréné. »
D’après les calculs de l’association, la France aurait perdu 12 millions d’hectares de terres agricoles entre 1950 et 2020. Cela veut dire que 1,9 million de fermes ont disparu.
Relocaliser notre alimentation
C’est un paradoxe, alors que 52 % du territoire national est occupé par les terres agricoles, c’est la plus grande surface agricole de l’Union européenne, la moitié des fruits et légumes consommés en France est importée. Ils représentaient 30 % en 2000, le phénomène ne cesse de progresser. Les choix actuels sur l’usage des terres rendent en réalité notre alimentation quotidienne dépendante du transport international de marchandises et de produits cultivés dans des pays voisins ou… lointains.
Selon FranceAgriMer, qui détaille les principaux pays d’origine pour les fruits et légumes les plus consommés en France : l’Espagne domine largement avec une part de marché souvent au-dessus de 50% voire 70%. Pour l’industrie agricole intensive espagnole, la province d’Almería représente la moitié des exportations maraîchères du pays (2,5Mt).
Ce verger de l’Europe permet aux consommateurs d’Europe du Nord de continuer à trouver tomates, fraises et concombres sur les étals en plein hiver – y compris supposément « bio », 2 000 hectares étant déjà certifiés ou en conversion.
En 2020, la crise de la Covid-19 a permis de prendre conscience de la nécessité de relocaliser notre alimentation pour favoriser les cultures et les circuits de consommation de proximité. Relocaliser implique des engagements forts pour orienter la terre agricole vers des productions vouées à l’alimentation locale et soutenir la constitution de nouvelles filières (transformation, distribution).
Où est passée la grande loi sur la terre ?
Certes, il existe un dispositif visant à protéger les terres de la spéculation: le rachat par les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les Safer. Mais les cas de préemption par l’État restent rares. Plus récemment, la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 portée par le ministère de la Transition écologique, avec comme objectif zéro artificialisation depuis des terres agricoles, a permis d’avancer sur ces questions. Mais comme le fait remarquer Terre de Liens « là encore, les outils réglementaires sont contestés et les pouvoirs publics comme les particuliers sont soumis à des injonctions contradictoires fortes. La préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers est le plus souvent sacrifiée aux besoins de développement de l’activité économique ».
« Des documents de planification territoriale incapables de juguler l’artificialisation. »
Enfin, le Parlement a adopté le 12 décembre dernier, une proposition de loi visant à mieux réguler l’accès aux terres agricoles face aux appétits des sociétés d’investissement en favorisant l’accès aux terres par les jeunes agriculteurs, via des parts de société. L’idée principale est de privilégier l’installation à l’agrandissement. Mais des seuils ont été fixés. Il faut posséder tant d’hectares pour que la loi s’applique. Pour les petites surfaces, rien n’a été modifié. Les propriétaires pourront continuer à offrir leurs terres aux plus offrants.
Pour les syndicats FNSEA et Jeunes Agriculteurs ainsi que les Chambres d’agriculture, l’aboutissement de la proposition de loi marque « une étape importante dans la lutte pour l’accès au foncier pour les jeunes ». Mais elle « ne suffira pas à remettre de la stabilité, de la modération et de la sécurité dans le marché foncier agricole », ont-ils cependant estimé, attendant une « grande loi foncière lors du prochain quinquennat ».