Le gouvernement a abordé la seconde des “élections intermédiaires” du quinquennat présidentiel (les autres seront les sénatoriales, puis les départementales et les régionales) dans le contexte le plus défavorable que l’on puisse imaginer. À la faible popularité des deux responsables de l’exécutif s’est ajoutée la perspective d’une diminution sans précédent des ressources des collectivités territoriales. Matignon avait honnêtement prévenu en effet les élus locaux, dans les premiers jours de mars, qu’à la baisse de 3 milliards d’euros des dotations de l’État aux collectivités étalée sur 2014 et 2015, il faudra sans doute ajouter un nouveau “tour de vis” de 1, 5 milliard sur 2015 puis une suppression de 3 milliards en 2016 et une autre, d’un montant identique sur 2017. Soit, au total, 10 milliards de moins en trois ans ! Cette annonce, relayée par une “fuite” publiée par le “Aujourd’hui-Le Parisien” a “plombé” la campagne électorale des maires de la majorité, invités dans le même temps par la plupart de leurs challengers à promettre de ne pas augmenter des impôts locaux lesquels avaient fortement grimpé ces dernières années !
1 – Le désengagement de l’État
En réalité, selon le chiffrage de l’Association des Communautés urbaines, la facture du désengagement de l’ÉEtat sera sans doute encore plus lourde. Cela pourrait représenter jusqu’à 12,5 milliards d’euros de resources en moins en 2017 par rapport à 2013, soit jusqu’à moins 28 milliards d’euros cumulés, sur la période 2013-2017.
La stratégie de l’ÉEtat, menée aussi bien par la droite que la par la gauche en dehors des grandes envolées de débats télévisés, est pourtant depuis longtemps connue. Il veut rationnaliser les dépenses des collectivités en freinant les grands investissements et la croissance des effectifs de la fonction publique territoriale. Les “bonus financiers” en matière de dotation seront donc accordés en priorité aux collectivités se regroupant et mutualisant leurs moyens tout en simplifiant le système des exonérations et dégrèvements des impôts locaux.
Un seul problème : en période électorale, personne n’est contre les économies mais les citoyens souhaitent aussi savoir ce qu’il sera possible de créer comme équipements nouveaux et services publics. L’inévitable caractère “inflationniste”, du moins au niveau des promesses, d’une campagne électorale aura été particulièrement douché cette année par l’annonce plutôt franche des intentions gouvernementales !
2 – Le “socialisme municipal” mis à mal
Le Parti socialiste a perdu 155 villes de plus de 9 000 habitants, dont 68 de plus de 30 000 habitants. C’est un phénomène sans précédent pour cette famille politique. Dans les périodes peu favorables à la gauche, notamment au début de la Ve République, les Socialistes pouvaient toujours s’appuyer sur leurs bastions. Le “parti d’Epinay”, refondé en 1971, disposait sur ce plan du bel héritage de la SFIO. Le cas de Limoges apparaît de ce point de vue exemplaire. Cette ville était à gauche depuis 1912 avec seulement trois maires successifs de la même couleur politique, constamment élus ou réélus. Exception faite de la période de l’Occupation, le maire en place Alain Rodet – élu en 1990 – n’avait eu que deux prédécesseurs ! Il n’en a pas moins été battu de deux points, dans une triangulaire de deuxième tour avec le Front national, par le psychiatre UMP Emile-Roger Lombertie.
En arrachant Paris et Lyon à la droite en 2001 puis en enlevant 44 villes de plus de 20 000 habitants en 2008, le PS avait sans cesse amélioré son “capital municipal”. Cette constante progression avait pu donner l’impression que le “socialisme municipal” était indifférent aux aléas électoraux visant le parti exerçant le pouvoir au plan national. L’énoncé de cette théorie a eu cours tout au long de la campagne municipale de 2014. Jusqu’au scrutin, l’impression générale était que “les grands élus” résisteraient bien. Dès le soir du premier tour, il est apparu que l’hypothèse demandait à être un peu partout révisée, Paris et Lyon constituant des exceptions. Si l’on ne peut comparer les déboires municipaux de la droite en 2008 à ceux de la gauche en 2014, c’est parce que les municipalités constituent le coeur même de l’organisation du PS, jouant un rôle équivalent à celui des syndicats au sein du travaillisme britannique ou de la social- démocratie allemande. L’alternance au niveau municipal, dans cette famille politique plus que dans les autres, sera destructrice de réseaux et de relais de pouvoir. C’est d’ailleurs parce que François Hollande a été identifié, lorsqu’il était Premier secrétaire, comme le fer de lance de la conquête des territoires que celui-ci avait pu imposer sa légitimité sur sa famille politique avant et après la primaire. Un ironique paradoxe de la Ve République veut maintenant qu’il risque plutôt d’incarner, puisque les institutions en font le “responsable de tout”, l’image du général en chef d’une armée socialiste en repli. Mais, en réalité, l’impopularité de l’exécutif peut expliquer l’abstention (39 % au deuxième tour !) mais ne suffit pas à l’analyse de la déroute socialiste, qui a eu des causes multiples. Parmi celles-ci, figure aussi sans doute “l’usure” au pouvoir de certains élus.
3 – Le retour en scène de Nicolas Sarkozy
Le 21 mars, “Le Figaro” a publié une tribune libre de Nicolas Sarkozy qui a été présentée par ses amis comme une plaidoirie réussie de l’ancien président de la République en faveur des candidats UMP aux municipales. En réalité, l’impact réel de cette prise de position sur les électeurs est difficile à déterminer car il n’a pu qu’être indirect. Nicolas Sarkozy n’était pas à proprement parler dans la campagne municipale et son nom a été surtout cité, dans la période précédant le scrutin, à propos de la révélation des écoutes téléphoniques dont il était l’objet dans le cadre de procédures judiciaires. Dans son texte, il a surtout voulu fustiger ses accusateurs et la presse à propos de trois des affaires le mettant en cause, les dossiers Kadhafi, Karachi et Bettencourt, en laissant de côté pour le moment l’arbitrage Tapie et les sondages de l’ÉElysée. À dix jours d’une victoire annoncée, la tribune de l’ancien chef de l’ÉEtat a fait l’objet de commentaires variés et partisans, dans un sens ou dans l’autre, mais tournant autour de l’idée qu’il était, somme toute, normal que le rendez-vous des municipales soit marqué par une intervention de celui qui garde, manifestement l’intention de se représenter en 2017 aux suffrages de ses concitoyens. C’était une démarche risquée, susceptible de remobiliser la gauche contre sa personne. Mais la “sortie” a été réussie puisqu’elle a coïncidé avec la progression des gains électoraux de l’UMP, où les sarkozystes militants restent majoritaires selon les sondages.
4 – La progression du Front national
En dépassant les 10 % dans 315 des 597 villes où il présentait des candidats, le Front national s’est imposé comme un acteur majeur de la vie politique du pays, sur un registre différent de celui qui lui était traditionnellement favorable, la proportionnelle aux européennes. Ses très nombreux conseillers municipaux vont désormais faire partie du paysage local, que les listes gagnantes soient de droite, du centre-droit ou de gauche. Il est intéressant de noter que son score a été faible dans les villes encore prospères en dépit de la crise, comme à Paris, et très fort dans les pôles les plus malmenés par la mondialisation sur les territoires du Nord-Pas-de-Calais, Est et Sud-Est où son implantation progresse. Malgré cela, les victoires symboliques d’Hénin-Beaumont, Fréjus, Villers-Cotterêts, Hayange, Béziers, ainsi que d’une mairie de secteur à Marseille ne font pas oublier les échecs de Forbach, Perpignan, Tarascon et Brignoles où le FN faisait figure de favori. D’une façon générale, l’UMP peut se féliciter en outre de voir que sa doctrine du “ni-ni” (ni Front national, ni front républicain) a été payante, les élus de terrain ayant mieux mesuré que par le passé que le danger était grand de faire “avaler par une alliance tentante avec le FN, sur le thème “pas d’ennemi à droite”. Dans le cas de Tourcoing et de Maubeuge, certains observateurs ont même pu souligner que la “captation à droite” de certains électeurs venus de la gauche a bénéficié au final à l’UMP. Il n’empêche que, dans un nombre plus limité de cas qu’en 2008, les triangulaires ont aussi permis à la gauche de l’emporter. En prenant de la force et de l’autonomie, le Front national est sorti du rôle qui fut longtemps le sien : celui qui consistait à empêcher la droite et le centre-droit de l’emporter en “cassant” leur dynamique face à la gauche.
5 – Le “troisième tour” des intercommunalités
Martine Aubry a pu conserver la Communauté urbaine de Lille. Alain Juppé, Jean-Claude Gaudin et Jean-Luc Moudenc ont repris le pouvoir sur celles de Bordeaux, de Marseille et de Toulouse. Ce sont les changements les plus spectaculaires mais les alternances se comptent par douzaines dans les intercommunalités, grandes ou petites, urbaines ou rurales, sur l’ensemble du territoire national et des départements d’Outre-mer. La gauche continue cependant à diriger la majorité des communautés urbaines (à distinguer des communautés de communes, plus petites), bien que le PS en ait perdu trois au bénéfice de l’UMP (Bordeaux, Toulouse et Marseille). La droite contrôle désormais 144 communautés urbaines et communautés d’agglomération contre 105 avant les élections, la gauche en dirige 93 et 5 sont présidées par des élus sans étiquette. Sur les 15 grandes communautés urbaines de France, 8 restent sous une présidence PS : Strasbourg, Charbourg, Alençon, Le Creusot-Montceau, Brest, Nantes, Le Mans et Lyon. 4 reviennent à l’UMP (Bordeaux, Toulouse, Arras et Marseille). Mais il faut rajouter à l’escarcelle de la droite les cas particuliers de Nancy (présidée par un UDI), de Lille (par un indépendant) et de Nice Côte d’Azur, seule métropole créée avant la loi de 2013 et dirigée par l’UMP Christian Estrosi (la métropole de Lyon, restée à gauche, deviendra effective au 1er janvier 2015, avec un statut particulier reprenant sur son territoire les compétences de la communauté urbaine et celles du Conseil général du Rhône). Un peu plus 50 % de la population française, soit 35 millions d’habitants, est représentée par les 242 intercommunalités dites à “statut urbain” (métropoles, communautés urbaines et communautés d’agglomération).
6 – Des conséquences en cascade
Les conséquences en cascade de la “vague bleue” aux municipales vont être nombreuses. Elles ne vont guère défrayer la chronique car les chaînes d’information continue ne vont pas se passionner pour les change- ments à la tête des grandes associations d’élus. Il s’agira pourtant d’un feuilleton à rebondissements multiples. Les Français ne manqueront pas de s’intéresser cependant à la probable “bascule” du Sénat à droite,
avec la perspective d’une grande bataille pour la présidence de la chambre haute.
Moins perceptible par le grand public seront les enjeux autour de l’Association des maires de France, de celle des grandes villes de France, des Communautés urbaines, etc… Sans parler de la mosaïque des structures spécialisées, telle que le Groupement des autorités responsables des transports (GART) ou les fédérations rassemblant les élus dans le domaine du logement social. Partout, la représentativité des dirigeants devra coïncider avec la nouvelle “carte municipale” et cela ne se fera pas sans difficulté. Il est à noter que la nouvelle phase de la décentralisation voulue par le gouvernement, marquée notamment par la “loi métropole” votée l’an dernier et destinée à être complétée par de nouveaux textes sur les compétences dès cette année, a été élaborée en concertation avec des associations en train de changer de dirigeants voire de fusionner entre elles, tant il est vrai que l’on a pu parler du “mille-feuille associatif” se greffant sur le “mille-feuilles territorial”. Voilà qui ne va pas simplifier la tâche du gouvernement, d’autant plus que les nouveaux représentants des élus seront, pour la plupart, issus des rangs de l’opposition. ÉElu le 20 mai président de la très influente Association des maires des grandes villes de France, le toulousain Jean-Luc Moudenc a aussitôt pris rendez-vous avec Manuel Valls pour discuter du projet de loi sur la décentralisation.
Par François Domec