Les services de renseignement se sont faits discrets pendant la campagne présidentielle. Il n’y a pas eu de manoeuvres troubles, comme cela avait été le cas entre 1986 et 1988 sur fond de conflits proche-orientaux, en marge de l’affrontement entre François Mitterrand et Jacques Chirac. Après les attentats de Toulouse et de Montauban qui ont rappelé, à la mi-mars, que la menace islamiste n’était pas une vue de l’esprit, le sort des otages français d’AQMI n’a, par exemple, fait l’objet d’aucune surenchère. Nicolas Sarkozy a pourtant tout fait pour obtenir leur libération avant le 6 mai pour renforcer sa stature d’homme d’État, tandis que le renseignement intérieur évoquait le risque de l’exécution d’un otage par les djihadistes pour peser sur l’élection. Mais rien n’a filtré dans la presse. Si une empoignade politique avait eu lieu sur ces questions, la partie aurait évidemment été inégale. Un ex-président de conseil général opposé au patron incontesté d’un dispositif de renseignement remodelé à sa guise depuis 2007 ! L’affaire était entendue…
Mais Nicolas Sarkozy s’est contenté de faire valoir son expérience. Par exemple, lors de son unique conférence de presse, le 5 avril, alors qu’il était interrogé sur les risques de s’engager dans une stratégie de la tension avec les fondamentalistes islamistes. Pour sa part, conseillé notamment par le secrétaire général de sa campagne, le préfet Nacer Médah, ex-membre du conseil national du renseignement, François Hollande s’était alors contenté d’annoncer un audit des services de sécurité s’il l’emportait.
La confiance de l’Assemblée
L’élection présidentielle passée, le nouveau président peut désormais concrétiser sa promesse d’un rééquilibrage de l’organisation des pouvoirs en France. Dans ses meetings, François Hollande s’était en effet employé à prôner un renforcement des prérogatives du Parlement. “Le premier devoir du prochain président sera de rendre des comptes […] de donner au Parlement les moyens efficaces pour contrôler les politiques publiques, et de vérifier chaque année la confiance de l’Assemblée nationale à l’égard du gouvernement” (discours de Dijon, 03-03-2012). Cet engagement concernera tout particulièrement la relation entre le pouvoir législatif et les organes de sécurité. Cela, alors que la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) a été sévèrement critiquée, ces deux dernières années, par les socialistes pour s’être laissée entrainer, à l’initiative de l’Élysée, à effectuer des surveillances contestables, par exemple en marge de l’affaire Bettencourt. Ce qui a valu au patron du service, Bernard Squarcini, d’être mis en examen, l’an dernier. Et rapidement limogé après le 6 mai. Sa faute : une proximité avec un pouvoir dont il n’a pas toujours pu se démarquer. Dès le 30 mai, il a été remplacé par un autre policier issu du monde du renseignement : Patrick Calvar. Ancien de la DST dont il pilota l’antenne marseillaise, spécialiste de l’antiterrorisme, ce haut-fonctionnaire occupait depuis deux ans la direction du renseignement à la DGSE. L’histoire retiendra que c’est aussi un proche… de Bernard Squarcini, qui aurait fait de lui le patron de la DCRI en cas de victoire de Nicolas Sarkozy à la présidentielle ! Preuve que la ressource humaine est rare pour pouvoir de tels postes.
Après des décennies d’atermoiement, la France avait fini par s’aligner sur les règles en vigueur dans les autres pays démocratiques occidentaux, au début du précédent quinquennat. En même temps qu’il réorganisait l’architecture de la communauté française du renseignement, le nouveau président avait fait voter la loi du 9 octobre 2007 instituant une délégation parlementaire du renseignement, composée de quatre sénateurs et de quatre députés. Issus des commissions des lois, des forces armées et de la défense, ses membres étaient censés contrôler la mise en oeuvre des directives de sécurité intérieure et extérieure. Sa mise en route a été laborieuse. C’est ce qui explique qu’au terme de ses trois premières années d’existence, en février 2012, Jean-Jacques Urvoas, chargé des questions de sécurité au PS, a rédigé une proposition de loi de 29 articles pour améliorer le dispositif. Son texte vise, par exemple, à officialiser les outils nécessaires aux missions menées sur le territoire national (sonorisation, infiltration, pénétration de locaux, systèmes de traitement des données, pose de balises, usage de fausses identités, interceptions de sécurité…). En contrepartie, le contrôle administratif et parlementaire serait renforcé : “En définissant précisément des moyens d’action dérogatoires aux principes du droit commun, sont créées les conditions d’un contrôle effectif des services, au travers d’une commission nationale de contrôle des activités de renseignement (CNAR)”.
Vérifier les fonds spéciaux
Conçue sur le modèle de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNAR absorberait cette dernière ainsi que la commission parlementaire de vérification des fonds spéciaux. Ce sont ces ajustements que le nouveau chef de l’État pourrait à l’avenir décider de reprendre à son compte.
Hasard ? Le directeur général de la DGSE et les directeurs de la DCRI, de la DRM, de la DPSD, de la DNRED et de Tracfin, représentant l’ensemble des services de renseignement français, plaident aujourd’hui pour cet approfondissement d’un contrôle de leurs activités et de l’utilisation des fonds spéciaux.
À condition toutefois qu’il s’organise dans un strict cadre bipartisan, c’est-à-dire que ces prérogatives soient réservées aux seuls élus PS et UMP. Cette proposition, qui n’a fait l’objet d’aucune annonce publique, a été formulée le 6 janvier dans le cadre des travaux de la délégation parlementaire au renseignement qui l’a consignée dans son rapport 2011. Mais on en est resté là. Entre la mi-janvier et le mois de mars 2012, la délégation qui était alors présidée par le président de la commission de la défense de l’Assemblée, l’UMP Guy Teissier, a du reporter à trois reprises la remise à Nicolas Sarkozy de ce rapport annuel. Il laissait ainsi son successeur en prendre connaissance et décider de la réponse à donner… Pour leur part, les patrons des services ont déjà pris date. Le 2 avril, Erard Corbin de Mangoux, le directeur général de la DGSE aujourd’hui confirmé dans ses fonctions, a abordé le sujet dans un discours prononcé boulevard Mortier à l’occasion du 30e anniversaire de sa création. Tout en rappelant la nécessité d’un impératif absolu du secret, celui-ci précisait : “Il ne peut y avoir, dans une démocratie, de services de renseignement qui ne soient encadrés et portés par les valeurs de la République. Le contrôle de notre service par les élus de la République est non seulement nécessaire, mais il conduit à une protection toujours plus pertinente et efficace des intérêts fondamentaux de la nation et souligne la reconnaissance institutionnelle du métier du renseignement et sa place au coeur de l’État républicain“. Dont acte !
Dans ce contexte, le refus de l’Élysée d’autoriser l’audition du directeur central du renseignement intérieur, Bernard Squarcini, le 2 avril, par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a suscité un évident malaise. Après les attentats islamistes perpétrés en région toulousaine, son président, le socialiste David Assouline, voulait les entendre sur l’application des lois antiterroristes en vigueur. Ce faisant Nicolas Sarkozy a accrédité l’idée que des zones d’ombres subsisteraient dans le dossier de Mohamed Merah, l’auteur des assassinats. Notamment sur ses relations avec des agents de la DCRI, les mois qui ont précédé les attentats. Les interrogations portaient notamment sur l’absence de surveillance étroite de cet individu après ses déplacements en Afghanistan et au Pakistan. “Il n’y avait aucun motif de poursuites”, justifièrent immédiatement les autorités. Et pourtant, au début des années 2000, des “filières tchétchènes” furent démantelées en arrêtant systématiquement les “randonneurs islamistes“ ayant séjourné dans le Caucase… Cet épisode a confirmé la nécessité d’établir un modus vivendi clair entre le Parlement et les “services”, tout en respectant leurs spécificités. S’il s’engage dans cette voie, François Hollande réaliserait ce qu’un seul socialiste avant lui a cherché à accomplir, au nom du respect des principes démocratiques de séparation des pouvoirs. Il s’agissait de Michel Rocard, lors de son séjour à Matignon entre 1988 et 1991. Mais, à l’époque, François Mitterrand avait refusé de donner suite à ses propositions _