Dans un contexte mondial de concurrence stratégique et normative, les puissances occidentales sont handicapées par une forme « d’impuissance de leur surpuissance ». Elles projettent leur force militaire, mais n’en retirent plus ni légitimité morale, ni influence décisive.
Ce phénomène nait d’une confusion entre la morale, le droit et la guerre, et de l’exposition permanente des dessous de la politique internationale comme du prosaïsme des intentions qui les motive. Pris en défaut d’infaillibilité, d’universalité et de cohérence, nos masques sont tombés. Nos populations comme le reste du monde n’adhèrent plus au discours éculé sur l’idéal moral de l’action occidentale.
La guerre morale est donc un piège. S’enferrer dans cette posture nous affaiblit. Or, plus notre discrédit grandit, plus nous croyons que la technologie va restaurer notre domination. Mais sommes-nous plus efficaces, plus puissants, plus influents parce que nous faisons davantage appel à elle ?
Rien n’est moins sûr. Car la surenchère technologique, censée nous aider à comprendre et à vaincre un adversaire protéiforme et rustique, nous éloigne de nous-mêmes et porte à terme un risque majeur : celui de nous transformer en objets du combat.
L’innovation technologique dans le combat, socle de la protection de nos forces et de notre avance industrielle, n’est évidemment pas un mal en soi. Mais en cédant à cette utopie, on a oublié l’essentiel : la guerre est d’essence humaine et politique et le cœur même du métier militaire n’est pas technicien. L’homme demeure l’instrument premier de la victoire militaire et de sa transformation en gain politique. Gagner une guerre ne se réduit donc pas à remporter des batailles techniques ; c’est plus que jamais savoir conduire la paix.
La déréalisation progressive du monde conduit à celle de l’adversaire et peut entrainer un « décrochage éthique », un enfermement progressif du soldat occidental dans une conception de l’Autre comme radicalement différent de lui, voire non humain. Or, dans « l’affrontement des volontés » que constitue toujours la guerre, ce sont certes ses matériels et ses savoir-faire, mais surtout ses forces morales, sa subjectivité en alerte, base de son « intelligence de situation », et son respect de principe pour l’adversaire, même le plus « barbare », qui vont permettre au soldat français de faire la différence en conservant sa dignité et en maitrisant l’emploi de la force.
Car notre sur-classement technologique radicalise les modes d’action adverses, conduit l’ Autre à opposer son choix du sacrifice à notre rejet de la mort, son outrance dans la violence à notre souci de proportionnalité et de réversibilité des postures. Par l’illusion d’infaillibilité qu’elle offre, l’Ubris technologique contribue donc à « produire de l’ennemi ». L’hyper-modernité produit de l’hyper-archaïsme.
Enfin, on ne peut pas vaincre sans risque, sans mort, sans se battre : c’est un fantasme de toute-puissance dangereux. Pouvoir ou devoir tuer ne doit jamais faire du soldat un tueur. Sa meilleure arme, la plus sûre, demeure son humanité.