L’année 2014 sera marquée par les commémorations du début de cette “Grande guerre” qui a si durablement marqué la société française. Entre l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo le 28 juin 1914 et l’armistice du 11 novembre 1918, 9 millions de personnes ont perdu la vie à travers le monde, le conflit s’étant rapidement internationalisé. La France a été particulièrement touchée, notamment du fait de son affrontement direct avec l’Allemagne, qui s’est soldé par 1,5 million de tués ou de disparus, soit plus de 10 % de la population active masculine, avec d’innombrables blessés et mutilés et une désorganisation de l’économie et de la démographie constituant les tragiques circonstances entrainant, vingt ans plus tard, le second conflit mondial.
“À la veille de la première guerre mondiale, la pyramide des âges de la France “avait la forme régulière d’une meule de foin.”
Une étude très récente de l’INED montre qu’il n’a pas fallu moins de quatre-vingt ans (1934 – 2014) pour “corriger” le déficit démographique national consécutif à la guerre de 14. Les “pertes militaires” (individus jeunes de sexe masculin) ont été statistiquement corrigées en quatre-vingts ans mais c’est sur cent ans qu’il faut tabler pour constater la disparition des effets de la chute des naissances liées à la guerre.
En observant la totalité de la période d’un siècle, du début de la conflagration jusqu’à nos jours, les experts relèvent notamment qu’au Ier janvier 1914, à la veille de la première guerre mondiale, la pyramide des âges de la France “avait la forme régulière d’une meule de foin”. À l’époque, une encôche à 42 ans correspondait au déficit des naissances dû à la guerre franco-prussienne de 1870-1871, aggravé par un pic de mortalité infantile : 23 % des nouveau-nés de 1871 sont décédés avant un an, contre 17 % en moyenne dans la seconde moitié du XIXe siècle. En 1911, la mortalité infantile atteint un nouveau pic dû à un été très chaud qui accroît fortement les diarrhées mortelles des nourrissons, d’où le creux observé à l’âge de 2 ans dans la pyramide de 1914.
“Vingt ans plus tard, note Gilles Pison, au janvier 1934, la pyramide porte les stigmates de la première guerre mondiale : un large creux d’abord du côté masculin entre 38 et 55 ans – les hommes sont 25 % moins nombreux que les femmes à ces âges, alors que les effectifs des deux sexes sont comparables à chaque âge avant 35 ans. La guerre a entraîné la mort de 1,5 million de soldats. La génération la plus touchée est celle des hommes nés en 1894, qui avaient 20 ans en 1914 : 24 % ont été tués dans l’hécatombe de la guerre.”
Au 1er Janvier 1934, une “échancrure” se produit dans la pyramide des âges en France : il “manque” les naissances de la période 1915- 1919, quand la natalité avait chuté de moitié. Les Français ne se remettront massivement à “refaire des enfants” que lors du fameux “baby-boom” très visible dans le fait qu’en 1946, il y a eu 200 000 naissances de plus que l’année précédente ! Le phénomène se poursuivra, en fait pendant toute les fameuses “trente glorieuses”, période de croissance forte où il fallait non seulement reconstruire les maisons mais aussi peupler les foyers…
La génération du “baby-boom”
Dans l’entre-deux guerres, le rythme était de 600 000 à 700 000 naissances, il passera après 1946 de 800 000 à 900 000. C’est à peine si l’on constatera, en 52-53, un ralentissement imputable sans doute à un tassement passager du pouvoir d’achat des ménages. À partir du milieu des années soixante, la fécondité nationale diminue notamment pour ce qui concerne le nombre d’enfants dans les foyers fondés à leur tour par les femmes et les hommes de la génération du “baby-boom”, les migrations apportant un complément non négligeable mais en général sur-estimé dans l’opinion. En revanche, le solde migratoire jouera à l’avenir, selon les experts, un rôle de “première composante” dans notre croissance démographique. Beaucoup plus bas en France que chez nos voisins européens, il est par nature imprévisible mais il sera essentiel dans ce que les démographes appellent “l’excédent naturel” (c’est-à-dire un nombre de naissances supérieur à celui des décès). Pour le moment, il est de 3,18 % mais en dépit de la prolongation de l’espérance de vie, le nombre de décès augmentera sensiblement avec la disparition des membres de la génération du “baby-boom” et un nombre de naissances devenant stable. Le solde naturel a tendance à diminuer d’année en année, il était 20 % plus élevé il y a cinq ans en 2008 (264 000). Il sera, sans solde migratoire, légèrement insuffisant pour assurer le renouvellement des populations. Les naissances ont été légèrement moins nombreuses en 2013 qu’en 2012 (moins 10 000). L’indicateur de fécondité, après avoir atteint un niveau élevé de 2,02 enfants par femme en 2010, a un peu diminué depuis et atteint 1,97 en 2013. L’espérance de vie à la naissance a progressé : 78,7 ans pour les hommes et 85,0 ans pour les femmes en 2013, contre 78,5 et 84,9 en 2012. Les décès ont cependant été légèrement plus nombreux en 2013 qu’en 2012 (plus 2 000), la population ayant vieilli. L’Insee estime la population de la France au 1er janvier 2014 à 66,0 millions d’habitants, dont 63,9 en métropole et 2,1 en outre-mer. Le solde naturel atteint 219 000 personnes en métropole (780 000 naissances moins 561 000 décès),
“Aujourd’hui, le vieillissement peut mettre à mal les systèmes de retraite et de consommation européens.”
La situation démographique de la France est originale car elle peut ressembler dans un proche avenir avec ce qu’elle était avant le I Janvier 1914. Si l’on considère la pyramide des âges dans notre pays, on s’aperçoit qu’elle est verticale dans sa partie inférieure (naissances et population jeune) alors qu’elle est très resserrée vers le bas en Allemagne dont le taux de natalité est l’un des plus faible du monde. Sauf catastrophe (bouleversements climatiques, épidémies ou nouvelle guerre), il n’est pas improbable que, dans quelques années, cette verticalité traduisant une répartition presque équitable entre les âges de la population pourra s’accroître sensiblement. Mais il faudra pour cela attendre que les disparités liées à la baisse des naissances pendant le second conflit mondial puis, en sens inverse, au “baby-boom” s’estompent à leur tour…
Pas de lien entre PIB et fécondité. En France…
Dans une précédente étude de l’INED, Gilles Pison avait mis en lumière une autre spécificité française, lié au taux de fécondité. Celui-ci a baissé, compte-tenu de la crise économique de 2008, dans presque tous les pays développés, mais pas de façon significative chez nous. Il faut y voir sans doute une conséquence de ce que l’on a appelé “l’édredon français”, c’est-à-dire l’ensemble de politiques publiques – qui jouent le rôle “d’amortisseurs de crise” (au prix d’un accroissement de la dette de l’État des régimes sociaux, mais c’est un autre débat). On peut supposer aussi que si certains couples au chômage différent leur désir d’enfant par inquiétude de l’avenir, certaines femmes – lorsque leur conjoint n’est pas lui-même privé d’emploi – de leur disponibilité par rapport au travail pour procréer. L’allongement des études et les maternités tardives jouent un rôle, mais, semble-t-il, pas si important que celà : car la baisse des naissances chez les femmes de moins de trente ans est compensée par le fait que les mères ayant passé la trentaine sont plus nombreuses. En tous cas, il n’y a pas de lien en France entre baisse du PIB et diminution de nombre de naissance alors qu’aux États-Unis, par exemple, la crise dite des “subprimes” a provoqué une chute du taux de fécondité, phénomène observé également dans les pays du bloc communiste lors du passage de l’économie planifiée à l’économie de marché. Les démographes s’accordent cependant à penser que l’absence de baisse significative en France n’est pas forcément indépendante de toute notion de crise économique. Il est même probable que, dans un contexte plus favorable à l’emploi, c’est une hausse de la natalité qui aurait été constatée.
La démographie fut, à la veille de la première guerre mondiale, le souci constant des dirigeants français. L’Allemagne pouvait aligner 870 000 jeunes et la France, grâce à la clairvoyance d’hommes comme Louis Barthou et Aristide Briand, avait été obligée de décréter la fameuse “loi de trois ans” pour pouvoir maintenir sous les drapeaux des soldats plus âgés afin d’arriver à réunir 800 000 soldats. Plus tard, à la fin des hostilités, il apparut que la France ne pourrait se relever sans apport d’une immigration importante (venue de Pologne dans les mines, de l’Europe du Sud et du Maghreb dans l’automobile et le bâtiment). Il faut sans doute remonter à ces heures tragiques pour expliquer pourquoi, d’une façon générale, le personnel politique a gardé une “fibre nataliste” en dépit de la surpopulation mondiale née de la révolution industrielle et du progrès médical. L’ancien Premier ministre Michel Debré fit longtemps sourire lorsqu’il exhortait les Français à faire des enfants, la natalité étant selon lui l’un des instruments de la souveraineté. Mais il n’empêche que les prévisions actuelles de l’Union européenne lui donnent raison. À l’heure où la Chine et l’Inde essaient de restreindre leur population et même si la France fait plutôt bonne figure, notre continent développé est menacé d’un “crash démographique”, le vieillissement pouvant mettre à mal nos systèmes de retraite et de consommation. Cela sera sans doute une raison supplémentaire de songer, au moment des cérémonies commémoratives organisées un siècle après le début de la guerre de 14, aux bonnes raisons qu’ont les Européens de ne pas s’entretuer !
Par François Domec