Il y a soixante ans, le 25 mars 1957, le maire de Rome avait eu l’idée de faire tinter les campaniles de sa ville pour célébrer la signature en période pascale du traité instituant le Marché Commun, première esquisse des institutions supranationales de l’après-guerre. Par un curieux retour des choses, il est loisible de constater que, l’anniversaire de ce pacte fondateur tombant en pleine campagne présidentielle française, les plus ardents partisans de la construction européenne se feraient plutôt « sonner les cloches » en ce moment. On n’en est certes plus, chez les europhobes d’aujourd’hui (qui ont la particularité d’être en général rétribués comme parlementaires par les institutions de Bruxelles et Strasbourg) à fustiger « l’Europe noire », celle des soutanes. Cette caricature était inspirée par l’appartenance à la mouvance démocrate-chrétienne des pères fondateurs, notamment le français Robert Schuman. Un autre fantasme, émanant comme il se doit du puissant parti communiste de l’époque, voulait que la réunion des états européens dans une perspective fédérale ne puisse être qu’une création de la CIA et du Département d’Etat américain. Ces vieilles histoires ont la peau dure. Il est sidérant de les voir resurgir, sous des formes plus ou moins complotistes, dans un véritable salmigondis politicien alliant tout et son contraire. Un seul exemple à ce sujet mais on pourrait en trouver dix autres : l’Europe serait le fer de lance de l’économie mondialisée alors même que les ultra-libéraux, derrière Trump et les partisans du Brexit, ne rêvent que d’une chose : voir l’Union européenne et la zone euro exploser pour pouvoir spéculer à cœur joie sur les monnaies faibles et profiter de la levée des normes en tous domaines.
Qui, dans notre grand steeple-chase présidentiel, sait encore défendre l’Europe des pères fondateurs, son rôle majeur pour la Paix du continent, la reconstruction, l’avènement de la démocratie après Franco, Salazar et les colonels, puis les tyrans rouges des satellites de l’Est ? Qui dira, qu’en dépit des difficultés et de tout ce qu’il faut modifier aujourd’hui en matière agricole, l’objectif essentiel qui était de ne pas mourir de faim dans les années cinquante a été plus qu’atteint ?
Que l’on ne parle de l’Union européenne dans une campagne présidentielle que pour la maudire ou la défendre du bout des lèvres reste dommageable. C’est contraire à l’investissement financier et intellectuel consenti par tout notre peuple, avec plus ou moins d’enthousiasme, sur six décennies. Mais il y a plus grave et cela interpelle autant les responsables des grandes chaînes de télévision que nos politiques : le silence, la méconnaissance des mécanismes fondamentaux comme de la simple actualité. Une présidentielle en France, c’est comme une grande crise d’infantilisme. Ce que les psychiatres appellent le « syndrome de Peter Pan ». On voudrait ne pas savoir ce que les adultes font à côté de nous. Autour de l’anniversaire du Traité de Rome s’orchestre pourtant une triple réflexion. À propos de l’opposition entre la surenchère fédéraliste et la démagogie national-populisme anti-européenne, d’abord. Il faut en sortir par plus de pédagogie démocratique. Quant à la taille possible, ensuite, de futurs sous-ensembles (la fameuse « Europe à plusieurs vitesses » vers laquelle on s’achemine sans doute). Au sujet, enfin, de la meilleure façon de rappeler le principe de base : ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous sépare. Tout simplement parce que l’on peut relever à plusieurs des défis que l’on ne saurait affronter seuls.
Image en Une : © European Union 2017 – Source : EP.