“La presse ne reprochera jamais à un socialiste d’être milliardaire. Elle a beaucoup d’indulgence pour Pierre Bergé ou Mathieu Pigasse qui financent des journaux et des élus de gauche, mais malheur à un riche s’il est de droite !” commente un militant UMP. Les journalistes n’ont pas bonne presse depuis la dernière campagne présidentielle. Surtout auprès de ceux qui soutenaient Nicolas Sarkozy. Il en était de même en 2005, mais là, c’était la gauche qui accusait les médias de rouler pour le candidat de la droite !
“Elle lèche, elle lâche, elle lynche !” résume Pierre Lellouche. Le député de Paris et ancien secrétaire d’État au Commerce extérieur est assez fataliste. Plus que le député-maire de Nice qui s’en est violemment pris à une équipe de France 3 Côte d’Azur lors de la campagne présidentielle dans sa région. Christian Estrosi s’appuyait sur le fait que la station locale n’avait pas couvert le meeting de Nicolas Sarkozy à Nice alors que quatre jours avant elle avait largement commenté celui de François Hollande. Christian Estrosi a saisi le CSA. “C’est un cas intéressant et compliqué à expliquer !”, analyse un membre de ce vénérable Conseil chargé de surveiller l’audiovisuel. Intéressant car il s’avère que les formes de traitement sont moins importantes que le respect des règles du temps de parole. L’audiovisuel public ou privé n’a aucune obligation de moyens, que ce soit reportage, interview, débat, seul compte le temps d’antenne équitablement partagé entre les candidats. Pascale Clark (France Inter) a été accusée par Henri Guaino (ex-conseiller du président) d’être plus militante que journaliste. “Elle était dans son rôle de provocatrice, et le CSA n’a aucune recommandation particulière à faire à ce sujet” dit un de ses membres. La droite n’est pas seule à se plaindre de la presse. Jean-Luc Mélanchon a saisi “formellement” à multiples reprises le CSA sur “l’attitude” des journalistes. Comme d’autres candidats qui déplorent de ne pas avoir accès au petit écran et reconnaissent ensuite qu’ils n’étaient pas libres au moment où ils étaient conviés sur un plateau.
“Arnaud Montebourg a un temps clamé qu’il fallait casser TF1, en fait, aucune chaîne ne mérite d’être montrée du doigt” rappelle le CSA. La loi de 1986 permet de jongler avec la liberté de communication et le droit au commentaire. L’humour autorise toute forme d’expression à condition de ne pas tomber dans la diffamation, l’outrance, l’incitation à la haine. Sophia Aram (France Inter) a ainsi été rappelée à l’ordre pour avoir dit à l’antenne que “20 % des cons votaient Front national”. Les humoristes sont en fait plus souvent mis en cause que les journalistes. Le CSA veille à ce que soit respectée l’obligation de mesure et d’honnêteté.
D’où vient dès lors le malaise des militants ou sympathisants UMP ? Sans doute de la presse écrite qui durant cinq ans n’a guère épargné leur candidat. Comme ces portraits de Sarkozy à la une de Marianne avec le titre accrocheur : “La honte de la République”. ou L’Humanité, comme Libération, se dé-chaînant les derniers jours en comparant le président sortant à Pétain…
Aidée par le scientifique Axel Kahn qui est allé jusqu’à voir dans le meeting du Trocadéro à Paris la ferveur de Nuremberg, sans que des voix s’élèvent parmi les chroniqueurs pour dénoncer ces abus. Exceptée celle d’Éric Deschavanne le 28 avril 2012 sur le site atlantico.fr (proche de la droite) : “L’engagement est une chose –qui peut ne pas être incompatible avec l’honnêteté intellectuelle-, la volonté hystérique de disqualifier moralement un adversaire politique en est une autre” écrit-il.
Le parti pris est plus subtil sur les écrans et les ondes. Parce qu’il y a la sanction des annonceurs. Une loi naturelle veut que les dirigeants de l’audiovisuel fassent attention à ne pas trop heurter la sensibilité de ceux dont ils dépendent financièrement. “Je pense que c’est une stratégie de Sarkozy de faire croire que les journalistes lui étaient hostiles” assure Jean-Michel Aphatie. Pour l’éditorialiste de RTL et chroniqueur politique du Grand Journal de Canal+, l’ancien président a fait une campagne qui était elle-même hostile à beaucoup de représentations de la société, la presse est ainsi devenue une cible comme une autre de sa vindicte.
“On s’épuise à chercher une responsabilité des journalistes dans le résultat de la présidentielle, ce serait plus facile de reconnaître la vraie raison !” dit-il.Le débat se poursuit sans signe d’épuisement. Jean-Marc Morandini invite régulièrement les auditeurs d’Europe 1 à donner leur avis sur l’engagement supposé de ses confrères, LCP (la chaîne parlementaire) fait dialoguer Laurent Joffrin (Le Nouvel Observateur) et Guillaume Roquette (Valeurs Actuelles). “L’Obs est libre tout en étant partisan, c’est parfois difficile de dire du mal de ceux dont on soutient les idées” reconnait son patron. Joffrin, comme Plenel (Mediapart), Giesberg (Le Point), July (fondateur de Libération, aujourd’hui chroniqueur à RTL) et beaucoup d’autres a fait ses classes en 68 et dans la mouvance des idéaux d’une gauche parfois révolutionnaire. “Le journaliste n’est plus téléguidé par un parti mais il reste dans la pensée unique” souligne Guillaume Roquette. “Je côtoie beaucoup de monde et je n’ai pas l’impression qu’on considère la presse comme étant plus de gauche que de droite” répond Anne-Sophie Lapix (Canal+). Pour elle, la campagne présidentielle a surtout été marquée par un vrai sentiment anti-Sarko. “J’ai tendance à être plus dure envers les représentants du pouvoir qu’avec ceux de l’opposition… c’est normal, on peut demander des comptes aux uns alors qu’on n’a encore rien à reprocher aux autres ! Je ne crois pas qu’il y ait eu un lynchage particulier de Nicolas Sarkozy, en revanche il a joué à un contre neuf puisque tous ses adversaires ont fait campagne contre lui. Et c’est peut-être cela qui a pesé dans les urnes.” Le CSA le précise volontiers. “On ne croule jamais sous le courrier de l’UMP ou du PS qui nous disent : si on a perdu, c’est à cause de telle télé ou telle radio !”. Les réflexes d’agacement à chaud ne sont guère suivis de protestations argumentées une fois la fièvre du combat retombée. Pour le meilleur et pour le pire, la politique réveille souvent les passions et parfois la mauvaise foi. Le pire, pour la démocratie, serait qu’il n’en soit pas ainsi .
Par Régine Magné