Les hommes (et les femmes) proposent. Les événements disposent. Lorsque l’Histoire accélère, habitudes, doctrines, programmes et promesses passent au second plan. Il y a un an, qui aurait cru que François Hollande prendrait la stature d’un chef de guerre ? Qui aurait imaginé qu’Angela Merkel assumerait le risque d’accueillir dans son pays autant de réfugiés et, mieux, de faire voter un soutien militaire aux puissances engagées dans la lutte contre les bastions fondamentalistes du Sahel et de Syrie ?
Ne sous-estimons pas ces changements et rappelons-nous la terrible et pourtant récente troisième guerre balkanique. De 1991 à 1999, à coup de sièges, viols et massacres au nom de la “purification ethnique”, l’éclatement de la Yougoslavie, à deux pas de nous, a coûté très cher à l’Europe. Car il a fallu s’en mêler trop tard après bien des hésitations, déplacer beaucoup de troupes, panser les plaies et dépenser d’énormes crédits communautaires. Sans même obtenir la satisfaction de voir cette horrible crise réglée par l’Union toute seule… puisqu’elle s’est terminée par les accords de Dayton sous l’égide des Etats-Unis, bien qu’ils aient été finalement signés à Paris sur l’insistance de Jacques Chirac et d’Alain Juppé. Prisonniers de relations amicales issues de lointaines alliances (les Serbes avec les Français, les Allemands avec les Croates, etc…), les pays européens ont été un temps divisés car ils n’avaient pas au départ pris la mesure de la tragédie qui se jouait. C’était aussi l’époque de la réunification allemande. Non seulement Berlin avait d’autres chats à fouetter mais nos voisins d’Outre-Rhin tenaient aussi à ce qui fut toute leur doctrine d’après-guerre : ne plus jamais apparaître aux yeux du monde comme une nation belliqueuse.
Quitte à bousculer une armée allemande aux missions jusqu’ici limitées et se plaignant d’un budget étriqué, Angela Merkel – soutenue par le Bundestag – a décidé d’engager ses troupes dans l’action et ce n’est donc pas une mince nouveauté. Nous sommes évidemment bien encore loin de “l’Europe de la défense” restée une vue de l’esprit depuis l’échec de la Communauté Européenne de Défense en 1954. Mais les Italiens et les Britanniques donnent aussi plus que des signes concrets de mouvement. Ce n’est qu’un début mais peut-être ouvre-t-il l’espoir de voir l’effort de guerre français être assez relayé pour ne pas s’essouffler.
Depuis la nuit des temps, les stratèges ont écrit que l’art de la guerre consiste à se montrer assez fort pour être le moins possible attaqué. Aussi fous qu’ils sont, nos ennemis actuels réfléchiraient peut-être un peu avant de s’en prendre à un pays membre d’une Europe cuirassée, défendue par des combattants entrainés et équipés des technologies les plus sophistiquées, capables de ripostes et de projections. L’arsenal juridique existe aussi et François Hollande a eu bien raison d’exhumer l’article – un peu oublié – des traités européens obligeant à la solidarité militaire entre pays membres en cas d’attaque contre l’un d’entre eux.
Reste à faire en sorte que les opinions comprennent bien la dureté des temps. On a beaucoup entendu dire que pour montrer aux terroristes qui nous sommes vraiment, il fallait continuer à occuper les terrasses, sortir et aller aux concerts de rock. C’est à la fois sympathique, nécessaire – voire indispensable – mais, hélas, pas suffisant face à la menace.