Les nouveaux succès d’Airbus en Asie, solennisés le mois dernier par la signature d’un contrat à l’Élysée, devraient en théorie donner du baume au coeur des europhiles. En pratique, l’Europe de Bruxelles et de Strasbourg n’entre que pour peu dans la réussite éclatante de cette belle aventure signée par des ingénieurs et des industriels, certes encouragés et accompagnés par les dirigeants nationaux de leurs pays respectifs. On peut même y voir une sorte de contre-exemple. C’est en mettant au point des accords plurilatéraux réunissant les meilleurs spécialistes de l’aéronautique sans trop s’occuper des directives et autres recommandations communautaires que le consortium a pu croître et embellir. Les inventions françaises dans le domaine militaire – notamment les commandes électriques – se sont ainsi associées au robuste savoir-faire allemand et au pragmatisme britannique, les Espagnols jouant un rôle non négligeable. La seule vraie question est de savoir si, compte-tenu de la complication actuelle de l’architecture de l’Union, on trouverait aujourd’hui des entrepreneurs et des pouvoirs publics aussi audacieux et persévérants que l’ont été les pionniers d’Airbus à la fin des années soixante. Car il nous faudrait d’urgence deux ou trois autres entreprises de ce type, dans d’autres domaines d’activité, pour montrer aux populations que l’addition des talents en Europe génère de l’emploi et de la prospérité. Les Français désabusés contemplent surtout, pour le moment, l’impasse financière dans laquelle se trouve la zone euro et ne sont plus tentés de croire que les partenariats européens créent de la force. Ils ont même l’impression que l’appartenance à un vaste ensemble leur apporte plus de soucis qu’il ne leur en enlève. Les mois passent et le découragement national, entretenu de façon pas toujours innocente, ne se dissipe guère. Sans doute parce qu’elle a été très – trop ? – proche du bonheur, par rapport à d’autres populations du globe, notre société vit mal la crise et souffre de perdre chaque jour un peu plus de sa cohésion face aux difficultés. Il suffirait pourtant de feuilleter les journaux des années cinquante pour s’apercevoir qu’elle a déjà connu des temps difficiles, sans parler des périodes de la guerre et de l’occupation. Quand la guerre froide était susceptible de se transformer à tout moment en conflit apocalyptique, que les expéditions coloniales engluaient la volonté politique et que les grèves atteignaient un niveau insurrectionnel, le pays restait pourtant à reconstruire et il l’a été. Chaque jour en France, ne serait-ce que dans les pôles de compétitivité, des idées fusent et l’avenir s’invente, vaille que vaille. Modernes hirondelles, les Airbus destinés à s’envoler un jour vers l’Indonésie ne feront pas le printemps partout. Mais leur sillage symbolique dans le ciel, à la fin d’un interminable hiver, ressemble tout de même à une promesse de renouveau.
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