Le président du Sénat, deuxième personnage de l’Etat, a annoncé qu’il tirerait sa révérence en septembre sans que personne ne s’attarde trop à l’événement. C’est un peu surprenant mais c’est ainsi. Un « Sénat de gauche » eût fait en permanence les gros titres si Nicolas Sarkozy avait été reélu et se serait imposé en bastion de l’opposition, à l’image du « Sénat Poher-Pasqua » de droite sous François Mitterrand. Il y a comme cela, dans la vie, des bonnes fortunes paradoxales. L’élection de Jean-Pierre Bel, en septembre 2011, fut une très bonne nouvelle pour la gauche car elle annonçait la victoire de François Hollande. Puis, une fois celui-ci à l’Elysée, les sénateurs s’aperçurent que la majorité qui leur avait permis de porter un socialiste au «plateau» (l’équivalent du «perchoir» de l’Assemblée nationale) n’était pas de celles qui permettent de soutenir un gouvernement. Les communistes considèrent en effet qu’ils ne font pas partie de la majorité présidentielle et les Verts, entrés à la chambre haute grâce à leur accord avec le PS, n’en restent pas moins…les Verts !
D’où ces frondes permanentes contre le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et des alliances «objectives» avec l’UMP en plusieurs occasions. A ce sujet, la doctrine n’a jamais été nette. C’est en se singularisant que le Sénat deviendra visible dans le débat démocratique et montrera son utilité, proclamaient les uns. La chambre haute n’est pas l’Assemblée et elle doit montrer qu’elle n’est pas une chambre d’enregistrement, soulignaient d’autres élus. La tradition sénatoriale, qui est de cultiver la différence comme l’indépendance, a fait le reste.
Si les ministres ont joué le jeu des institutions, se pliant au jeu du travail en commissions et aux questions d’actualité, la plupart des observateurs ont délaissé le Palais du Luxembourg, à l’exception obligée de l’excellente chaîne «Public Sénat» qui fait bien son métier. Ainsi ont pu resurgir les vieilles (et fausses) rengaines voulant que «quoi qu’il se passe au Sénat, ça n’intéresse personne, car c’est l’Assemblée qui a le dernier mot ». En matière de «conquête historique» , la gauche – toutes familles confondues – eût pu rêver mieux !
La faute à qui ? Sûrement pas à Jean-Pierre Bel qui a, pour l’essentiel, très bien «fait le job», notamment pour tout ce qui concerne la « diplomatie parlementaire ». S’il n’a pas su, au-delà des aspects officiels de sa fonction, devenir un pilier de la « garde rapprochée » de François Hollande, c’est tout simplement parce que celle-ci n’existe pas. François Hollande, à la différence de François Mitterrand, n’a jamais voulu disposer de « relais d’opinion » en la personne de notables dévoués, prêts à se transformer en farouches guerriers pour défendre le chef de l’Etat à toute heure et en toutes circonstances. On pourra toujours incriminer « le manque de charisme » du président du Sénat, sa timidité médiatique et son goût pour les plaisirs simples de la vie, le problème est plus à l’Elysée qu’au Palais du Luxembourg. Cela ne veut pas dire pour autant que Jean-Pierre Bel n’ait pas rendu de signalés services à son ami François Hollande. Le premier d’entre eux a été d’offrir, six mois à l’avance, un abri de campagne et un centre d’entrainement aux futurs membres du cabinet présidentiel qui n’ont plus eu qu’à rejoindre la rue du Faubourg-Saint-Honoré après le verdict des Français !