Lorsque l’on fêtera en 2018 le soixantième anniversaire de la Ve République, à la rentrée de septembre et un peu avant, il sera beaucoup question de la guerre d’Algérie et de l’usure du régime d’Assemblée. Mais en 1958, le besoin d’un “État fort” en matière économique a aussi beaucoup joué. Ce qui n’est pas sans…
Lorsque l’on fêtera en 2018 le soixantième anniversaire de la Ve République, à la rentrée de septembre et un peu avant, il sera beaucoup question de la guerre d’Algérie et de l’usure du régime d’Assemblée. Mais en 1958, le besoin d’un “État fort” en matière économique a aussi beaucoup joué. Ce qui n’est pas sans analogie avec la France d’aujourd’hui.
En ce début d’année, il est beaucoup question d’une nouvelle réforme constitutionnelle, histoire de marquer le “cap des soixante ans”, celui des cinquante ans ayant d’ailleurs été illustré par la “réforme Sarkozy”, beaucoup plus importante qu’on ne le croit généralement. Pas plus aujourd’hui qu’il y a dix ans et n’en déplaise aux tenants de “la VIe République” – lesquels sont apparus il y a bien longtemps puisque plusieurs ouvrages sur ce thème ont été publiés dès les années 70 ! – l’objectif n’est pas de “changer le numéro de la République”. Il tiendrait plutôt aujourd’hui dans le souci présidentiel, déjà présent dans la loi sur la “moralisation de la vie publique”, de montrer que des institutions modernisées et allégées peuvent rendre la politique plus efficace. En d’autres termes, c’est une fois de plus la question du rôle de l’Etat qui va se trouver posée, avec quantité d’interrogations sous-jacentes. Faut-il renouer avec le dirigisme ? Est-il possible de garder une “exception française” à l’heure de la mondialisation et de la compétition internationale ? Comment contrôler les abus du libéralisme sans “sur-administrer” le pays ? Quelles compétences accorder aux collectivités territoriales, etc.
Si ces vieilles problématiques remontent à la surface, c’est parce qu’elles n’ont jamais été vraiment tranchées, notamment par les socialistes français. Tout en ayant toujours aussi peur de se qualifier de “sociaux-démocrates” à la manière de leurs camarades allemands, certains membres du PS français – ne citons que Michel Rocard, Pierre Bérégovoy, Laurent Fabius et, plus tard, François Hollande – n’ont jamais considéré l’économie sous l’angle du catéchisme marxiste. Quant à François Mitterrand, c’était un pragmatique qui, hors du lyrisme des grandes envolées électoralistes, plaidait pour ce qu’il a appelé, après 1983, le “nécessaire respect des grands équilibres ”. S’il faut parler à nouveau des socialistes alors même que le quinquennat de François Hollande, avec des “frondeurs” en perpétuelle opposition, a montré leur profonde division doctrinale et l’échec électoral qui en a résulté, c’est parce qu’il faudra bien tôt ou tard reconstituer une “gauche de gouvernement”. L’une des particularités peu soulignées de 2017, en effet, c’est le regain d’intérêt d’une partie notable de l’électorat, en réaction au macronisme sans doute, pour un courant politique d’ordre séculaire présent lors de toutes les révolutions, en 1830, en 1848, en 1870-71 et même d’une certaine manière en 1944 : celui de “La France insoumise”. Le parti de Jean-Luc Mélenchon n’a rien à voir avec le PS de François Mitterrand. A la fois fort et minoritaire, il ne participera à la moindre coalition de gouvernement avant longtemps. Le risque d’un retour pur et simple au dirigisme pur et dur, de type “Allemagne de l’Est”, est donc modéré. Mais cela ne veut pas dire, a contrario, que le libéralisme –constitue l’idéologie pleine et unique d’Emmanuel Macron. Car tout ce que l’on dit du “volontarisme jupitérien” du jeune président de la République semblerait – le conditionnel étant de rigueur – plutôt montrer qu’il est hostile à tout effacement de l’Etat au profit du marché.
Tout le problème tient aujourd’hui dans la difficulté de définir ce que pourrait bien être une doctrine économique de gouvernement relevant de “l’Etat fort” que voudrait incarner Emmanuel Macron.
Une certaine ressemblance
L’actuel contexte politique, soulignent certains commentateurs, fait penser celui de 1958 du fait de la perte de crédibilité des partis ayant gouverné ces dernières années sans trouver de vrais remèdes aux maux endémiques du pays. Comparaison n’est pas raison, bien entendu, mais on peut pousser la recherche de la ressemblance avec la période de l’avènement de la Ve République jusqu’au constat d’une certaine “réconciliation nationale” – sans doute provisoire – au sommet de l’Etat : Emmanuel Macron et ses amis viennent de la gauche hollandaise, le Premier ministre et le ministre des finances de la droite néogaulliste, et les centristes du Modem participent à l’équipée. Cela évoque, un peu, le temps un peu oublié où les caciques de la SFIO (Max Lejeune, André Boulloche et Eugène Thomas) siégeaient avec les très droitiers Antoine Pinay et Jacques Soustelle au sein du gouvernement de Gaulle, le dernier de la IVe, en vue de préparer la Ve.
Tout le problème, cependant, tient aujourd’hui dans la difficulté de définir ce que pourrait bien être une doctrine économique de gouvernement relevant de “l’Etat fort” que voudrait incarner Emmanuel Macron. Celui-ci reste en effet dans l’abstraction. Peut-être avec raison… François Hollande s’était risqué à définir un “socialisme de l’offre”. Mal expliqué parce que noyé au milieu des flots de l’actualité, ce concept sera resté assez peu compréhensible des Français. Et, pour en revenir à 1958, il y eût des moments où la vie des idées était infiniment moins compliquée qu’aujourd’hui. Pour le général de Gaulle et les siens, il s’agissait surtout d’expliquer les crises de l’économie par l’instabilité du régime parlementaire, ce qui était à la fois un argument frappant et une duperie intellectuelle.
Un canard sans tête
La IVe, si elle donnait parfois le spectacle – à l’étranger notamment – d’un canard sans tête, n’en fut pas moins le régime qui a réussi l’expansion industrielle la plus remarquable de l’histoire (la première moitié des “Trente glorieuses”). Même si elle a calé au final sur la guerre d’Algérie, elle a aussi assuré l’ordre public sans faiblesse lors des grèves insurrectionnelles et elle a contenu le poison communiste. Sans direction politique véritable, la haute administration a très bien fait son travail : les corps de contrôle, les préfets et les ambassadeurs – rajeunis par l’épuration – étaient ardents, passionnés et… restaient longtemps en poste !
Est-il possible de garder une “exception française” à l’heure de la mondialisation et de la compétition internationale ?
A terme, cependant, le système n’était pas tenable ; ne serait-ce que parce que l’opinion – alors que les moyens d’information se modernisaient – ne savait pas très bien à qui attribuer les bonnes et les mauvaises décisions. Il aura suffi, en conséquence, d’avoir un président plus que visible – le général de Gaulle – puis des ministres des finances malins (Antoine Pinay puis Valery Giscard d’Estaing, entre autres) pour que le pays se sente dirigé, fort et indépendant. Et pourtant, que de catastrophes, de coups d’accordéon entre cocoricos et requiems industriels ! Le désastre de l’informatique à la française (affaire Bull) ne fut rien à côté de la véritable “colonisation” de notre industrie (hors secteur nationalisé) par les entreprises américaines. Le Pouvoir avec un grand “P” se voulait indépendant de l’Amérique en politique étrangère mais au cours de la seule année 1966, le journaliste Philippe Bauchard (surnommé “le cabochard” en haut lieu) constatait que Simca avait été avalé par Chrysler. Firestone était à Béthune, Caterpillar à Grenoble, Goodyear au Havre, Motorola à Toulouse, etc. Ce sont là des vérités bonnes à rappeler. D’abord pour montrer que ses investissements étrangers étaient loin d’être repoussés par le régime gaulliste et ensuite pour rappeler qu’ils ont plutôt fait du bien à l’économie française. En 1964, à la conférence européenne de Baden-Baden, au temps de l’Europe des six, le ministre français Valéry Giscard d’Estaing n’avait pu obtenir que les dispositifs de protection prévus par le traité de Rome soient mis en œuvre de façon uniforme par les pays membres. Si bien que l’on n’a jamais pu vraiment définir une politique communautaire en matière d’investissements venus de l’extérieur. Alors même que la question se pose à nouveau avec les capitaux issus de fonds souverains. Et ne parlons pas de l’impossible harmonisation fiscale, pourtant remise à l’ordre du jour en 2018 du fait de “l’optimisation” réalisée par les fameux “GAFA” (Google, Apple, Facebook, Amazon) ratissant tous les porte-monnaies européens sans acquitter de justes taxes. Comment les citoyens ne feraient-ils pas le lien entre l’impuissance des états à mettre fin à cet abus manifeste et l’incapacité à avancer dans la diminution du chômage de masse ? Le besoin de “volontarisme” n’est pas à la veille de disparaître.