« Tout bien portant est un malade qui s’ignore » disait le docteur Knock. Comment le monde médico-industriel parvient-il à « créer » des maladies ?
Leader européen du médicament, la France compte aussi parmi les plus grands consommateurs de tests biologiques et d’interventions chirurgicales dans le monde. Cette « hyper-médicalisation » découle d’un système qui s’appuie à la fois sur l’industrie pharmaceutique, les leaders d’opinion et les recommandations des hautes autorités de santé pour fabriquer toujours plus de malades. Le patient étant bien sûr la première victime de la surconsommation.
Maniant à merveille le marketing médical, les laboratoires multiplient la médiatisation des évènements comme la Journée mondiale du diabète et jouent constamment sur les peurs pour manipuler médecins et population. Le concept de « pré-dépression » en est une excellente illustration : son caractère alarmant transforme une question typiquement médicale en problème de santé publique. Appuyé par des personnalités de renom (souvent instrumentalisées par l’industrie) pour promouvoir les médicaments, ce discours incite d’autant plus les professionnels à la prescription. Car souvent par faute de temps ou de formation, le médecin se contente d’appliquer les dogmes sans prendre le recul nécessaire.
Le médicament a-t-il fini par devenir un produit de consommation comme un autre ?
Absolument. C’est même la raison de l’augmentation du nombre de traitements contre l’hypertension, le diabète ou encore l’asthme, qui sont pour la plupart de simples copies sans aucune innovation thérapeutique. « Lower is better » : l’abaissement des seuils va lui aussi dans ce sens en transformant les normes médicales en objectifs obsessionnels, élargissant toujours plus le champ des consommateurs potentiels.
À force de raisonner en termes de données, la médecine est devenue aujourd’hui trop technicienne et oublie parfois de prendre en compte l’âge du patient ainsi que d’autres facteurs individuels essentiels. Concernant le cholestérol par exemple, c’est justement le spectre de la « probabilité du risque » qui a entrainé l’abus de prescriptions. Les laboratoires savent parfaitement utiliser les données épidémiologiques pour créer une médecine de masse, mais c’est à nous d’interpréter ces informations en fonction du profil de chaque patient.
L’appât du gain est donc la cause principale des dernières crises sanitaires ?
Ces affaires ne sont certainement pas le fruit d’un quelconque accident, puisque dans le cas du Mediator comme de Diane 35, les risques étaient bel et bien connus. Malgré les nombreux signaux d’alerte qui ont été envoyés aux laboratoires, ces derniers ont quand même cherché à faire le maximum de profit avant que les scandales n’explosent… Autrement, il leur aurait simplement suffi de suspendre la fabrication. C’est ce que je démontre dans mon précédent livre Ces médicaments qui nous rendent malades aux éditions Le Cherche Midi.
Quels sont, à long terme, les risques de cette surenchère médicamenteuse ? Que faudrait-il faire pour changer la donne ?
Je pense honnêtement que les autorités de santé devraient gagner en vigilance et prendre conscience des risques du système actuel. Révélées par les médias, les crises sanitaires qui se suivent ne font que renforcer la défiance vis-à-vis du médicament, alors qu’il s’agit d’une invention extraordinaire en matière thérapeutique. À terme, les patients finiront par se tourner vers des médecines alternatives, pas forcément les plus efficaces, parfois même dangereuses (particulièrement les sectaires). Il faut retrouver la confiance, en gardant à l’esprit que notre politique de santé doit avant tout privilégier les intérêts du malade et non ceux de l’industrie pharmaceutique.