À commencer par Marine le Pen, plusieurs responsables politiques français trouvent dans l’élection de Donald Trump matière à rêver. Puisque sondeurs et experts peuvent être démentis aux USA, pourquoi n’en irait-il pas de même chez nous ? C’est bien entendu possible. Raisonner par analogie subjective et interprétation des signes du ciel ne sert pourtant pas à grand-chose. Pour que le milliardaire américain trouve un imitateur (ou une imitatrice) dans notre pays, il faudrait qu’une personnalité nouvelle en politique réponde à des critères cumulés de ressemblance, tels qu’être un homme riche et âgé (Trump a battu le record de Ronald Reagan, le plus vieux président américain élu jusqu’ici) et n’avoir jamais exercé aucun mandat représentatif ni une quelconque fonction publique. Autant dire qu’aucun de nos « présidentiables » ne correspond pour le moment à ce profil. Celui de l’adversaire compte aussi beaucoup. Dans le duel américain se sont affrontées deux célébrités fortement dissemblables. L’opposition entre un homme d’affaires sans aucun passé électoral et une femme politique professionnelle a constitué une sorte de contraste parfait. Une rareté que l’on ne reverra sans doute pas de sitôt, même aux USA…
La question du modèle ainsi susceptible d’être inspiré par Donald Trump, en Europe et ailleurs, semble tout sauf secondaire. On se souvient encore chez nous de quelques personnages vaniteux en rivalité pour l’attribution du titre de « Kennedy français ». Mais avant de se demander si nous allons assister, par mimétisme et capillarité, à une « trumpisation » de la vie démocratique jusque dans nos cités, il convient d’observer sur quelles avancées économiques ou sociétales le programme de campagne du président élu débouchera. Le style ne fera école que s’il provoque l’esquisse d’un succès. Le candidat avait estimé dans ses capacités de provoquer une relance de l’investissement et de l’emploi tout en baissant les impôts. Ce fut le cœur de son argumentaire parmi quantité de propositions très disparates. Il était donc tentant de lui dire « chiche ». De ce point de vue, les citoyens américains auront réussi une sorte d’exploit. Ils ont enfin placé un démagogue dans l’obligation de montrer qu’il sera capable de transformer sa critique négative de vagues « élites » en actes positifs pour « le peuple », entité tout aussi floue. L’indulgence face à l’absence de résultat concret pourrait par la suite ne pas lui être acquise à l’infini. La déception, pour ne pas dire plus, provoquée par le pittoresque Berlusconi en Italie, reste dans les mémoires. C’est la raison pour laquelle nombre de nos modernes tribuns de la plèbe ont souvent préféré le confortable « ministère de la parole » à la recherche effective de l’exercice du pouvoir.
Il faut donc rendre pour le moment au promoteur immobilier new-yorkais cette justice : il n’a pas choisi de se dérober devant l’obstacle. Même s’il envisageait si peu de se trouver en situation de l’emporter qu’il n’a préparé aucune équipe… Faisant patte de velours, il semble accepter par avance tous les risques de sa périlleuse entreprise, car dans nos sociétés complexes et nos Etats endettés, la marge laissée à l’action publique reste très modeste. Le temps n’est plus, espérons-le, où le tyran pris au piège du réel, tel Robespierre, pouvait envoyer au nom du peuple ses adversaires à l’échafaud avant d’y monter à son tour. Le succès ou l’échec des chefs d’Etat tient aujourd’hui à leur intelligence des circonstances internationales et à leur maitrise de l’équilibre, sans lequel il n’est pas de progrès possible dans ce métier de funambule. Passer de l’illusionnisme à l’art d’avancer sur un fil, ce n’est pas abandonner la piste aux étoiles. Mais cela demande tout de même un autre savoir-faire.