Dans la course au pouvoir, le FN a-t-il des chances de remporter la présidence de certaines régions aux élections régionales de décembre prochain ?
Sans être prévisionniste, on peut imaginer que leNord-Pas-de-Calais-Picardie soit accessible pourMarine Le Pen. Les structures électorales issues des dernières départementales laissent penser que cette possibilité est envisageable. En Nord-Pas-de-Calais, si la gauche, toutes tendances confondues, s’était unie sans perdre de voix après les départementales, elle aurait remporté 35,6% des voix. La droite réunifiée était à 29,8%. Et le score de FN se situait à 32%. Mais dans le Nord, la présence de Marine Le Pen peut faire toute la différence au cas où il y aurait un désistement parfait des électeurs de gauche au second tour. Il était déjà question aux départementales que le FN remporte le département de l’Aisne, en Picardie. Je ne vois que le Nord-Pas-de-Calais comme région gagnable pour le FN, même la région Provence-Alpes-Côte-D’Azur (PACA) n’est pas à leur portée. Dans cette dernière région, on est à 28,5% pourla gauche, à 36,5% pour la droite et à 33,5% pour le FN. La droite a quand même un avantage. En termes de structures électorales en région PACA, si on
devait reproduire ce qui s’est passé aux départementales, la droite gagnerait. Il me semble que Marion Maréchal-Le Pen n’a pas une aura personnelle si forte qu’elle remporte une prime importante dans tous les départements de la région PACA, notamment dans les Alpes-maritimes où elle va affronter Christian Estrosi.
Lors des départementales, on disait le FN bien placé pour remporter la direction de certains départements, tels que le Vaucluse, espoir finalement déçu. Pourrait-il se produire la même chose avec les régionales ?
C’est ce que le politologue Pascal Perrineau a appelé “le plafond de verre”. Est-ce qu’il existe un seuil qui fait que tous camps confondus, ce qu’on a appelé le front républicain à une époque, pourrait jouer pour empêcher de faire parvenir le FN au pouvoir d’un exécutif local ? Voici une question dont personne n’a la réponse pour le moment. A titre personnel, je pense que ce plafond de verre, en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, peut tout à fait céder. Mais il s’agit du seul endroit en France. Cela dépend à la fois de la participation et des reports de voix à gauche, et éventuellement des reports de voix à gauche vers Xavier Bertrand au soir du premier tour s’il est mieux placé pour battre Marine Le Pen. Ou inversement, on pourrait assister à un déplacement des électeurs de
droite vers la gauche si cette dernière était en meilleure position pour défaire le Front national. Il faudra attendre le soir du premier tour et les fusions de liste pour déterminer qui est en meilleure position pour l’emporter contre le FN. Auquel cas, s’il y a une triangulaire, et il y en aura forcément une, si les
électeurs du camp arrivé en troisième position, que ce soit la droite ou la gauche, veulent faire battre Marine Le Pen en reconstruisant un hypothétique front républicain, ce plafond de verre réapparaîtrait et elle ne serait pas élue. Cette issue n’est pas évidente pour autant. A l’heure actuelle, par exemple, les sondages donnent la présidente du FN gagnante dans le Nord-Pas-de-Calais.
Pour « L’Obs », qui se fonde sur une étude de l’Ifop, le mode de scrutin aux régionales favorise énormément les triangulaires, dont le FN pourrait ressortir gagnant. Est-ce aussi votre analyse ?
Jusqu’à présent, le Front National n’a jamais tiré avantage des triangulaires. Ce serait nouveau. Le mode de scrutin favorise les triangulaires parce qu’il suffit d’avoir 5% des voix pour faire fusionner les listes et 10% des voix exprimées pour se maintenir au second tour. Pour un parti politique médian
comme le FN, obtenir 10% des suffrages exprimés est tout à fait envisageable. On pourrait imaginer aller au-delà des triangulaires, aller jusqu’à des quadrangulaires s’il y avait de telles divisions dans la gauche que un Front de gauche allié à EELV et un parti socialiste allié aux radicaux pouvaient se
maintenir tous les deux au second tour à plus de 10% contre les Républicains-Modem et le Front national. Evidemment, cela n’arrivera pas, les listes de gauche fusionneront au second tour mais le mode de scrutin permet d’envisager cette possibilité. Le FN pourrait-il en tirer parti ? Ce n’est pas évident. Si un camp arrivé deuxième ou troisième était très loin derrière ses deux concurrents, par exemple une gauche à 20-22%, une droite à 34% et un FN à 35%
au soir du premier tour, cela pourrait entrainer la création d’un front républicain. On pourrait alors imaginer que certains électeurs de gauche pourrait voter à droite pour faire barrage à Marine Le Pen, sachant que leur liste n’aura aucune chance de remporter la région.
On pense évidemment aux terres “historiques” du FN, comme les régions du Nord-Pas-de-Calais et de Provence-Alpes-Côte d’Azur mais le FN a-t-il également ses chances dans d’autres régions, où il est en pleine ascension, comme par exemple en Bourgogne-Franche-Comté ou encore en Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes ?
Réaliser un bon score et l’emporter sont deux choses différentes. En décembre prochain, le FN va réaliser de bons scores partout en France, sauf peut-être en Aquitaine, en Ile-de-France et en Corse. Mais partout ailleurs, le FN va réaliser de très bons scores : au-delà de 30% en Alsace-Lorraine-Champagne
par exemple. En Bourgogne-Franche-Comté, au soir des départementales, on était à 27,6%. Il y a probablement une dynamique qui va lui permettre d’avoir
un score approchant, autour de 28 ou 29%, aux régionales. Cette région est très indécise entre gauche et droite, avec quand même un avantage pour cette dernière. En Aquitaine et en Ile-de-France existe une tradition très forte de résistance à l’implantation du FN, même si ce dernier a progressé, notamment dans l’Ouest. Dans l’Aquitaine, à laquelle il faut ajouter le Poitou-Charentes et le Limousin, le FN après les départementales était à 20%, contre 43% pour la
gauche et 35% pour la droite. Des facteurs historiques expliquent ces différences. A partir du moment où un parti se crée, il a une histoire, des réseaux militants. Son implantation se départage alors entre terres de conquête et terres de mission – en l’occurrence dans ce dernier cas, les territoires
où il a beaucoup de difficultés à s’implanter et à réaliser de bon scores, chose qui va lui prendre énormément de temps. Au cours des deux dernières années, le FN a énormément progressé dans l’Ouest. En Bretagne et en Aquitaine, il a atteint des niveaux insoupçonnés jusqu’ici, alors qu’il était en dessous de la barre des 10% auparavant. Donc il ne peut pas prétendre du jour au lendemain arriver en tête dans ces terres-là.
En d’autres termes, y a-t-il une “extension” du territoire FN en France ?
En termes de suffrages exprimés, le FN a progressé partout au cours des dernières années, y compris là où il était faible. Dans l’Ouest, il a quasiment doublé ses scores. La carte est complexe. Le FN reste fort dans les zones où il était déjà bien implanté mais il y a moins progressé car il avait déjà atteint des niveaux très élevés dans ces endroits-là, comme en région PACA par exemple. Il n’a pas beaucoup progressé parce qu’il atteignait déjà des niveaux hallucinants. En
revanche, il a beaucoup progressé dans les zones où il était déjà en constante ascension depuis une quinzaine d’années, c’est-à-dire dans tout l’Est de la France et dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie marqué par la crise économique. Mais il a également progressé dans l’Ouest, en Normandie et en Bretagne mais sans atteindre des niveaux qui lui permettent d’arriver à gagner des territoires.
Les majorités sortantes, principalement à gauche, pourraient-elles payer l’impopularité du gouvernement et cela pourrait-il bénéficier au FN ?
Une grande part de l’électorat de François Hollande s’abstient. On est à plus de 50% d’abstention, contre 20% à la présidentielle. Ce qui signifie que 30% du corps électoral n’a pas voté, à aucune élection depuis 2012. Il s’agit d’une part énorme de la population, qui suffit à faire toute la différence car ces Français-là, qui ne votent déjà pas, ne vont pas plus se rendre aux urnes pour les régionales. Il s’agit d’une structure d’élection intermédiaire, pas si importante
pour les Français finalement. Ils peuvent donc soit ne pas aller voter pour exprimer leur désenchantement soit au contraire voter pour marquer leur ressentiment. La majorité des régions va passer à droite avec une forte progression du FN, voilà ce que l’on peut déjà prévoir aujourd’hui. Sauf si les
30% d’abstentionnistes se mettaient à voter. Seules deux régions vont rester à gauche, l’Aquitaine et la Bretagne. Difficile de faire des pronostics pour l’Ile-de-France où droite et gauche se départagent les voix à hauteur de 50% chacune. A l’issue des départementales, Paris n’a pas voté alors que cette ville représente un poids non-négligeable et qu’elle est très ancrée à gauche désormais. Le poids des électeurs parisiens peut faire pencher la balance en faveur de
Claude Bartolone aux régionales de décembre prochain. En même temps, la gauche est extraordinairement divisée en Ile-de-France donc va-t-elle récupérer les voix au soir du premier tour ? C’est donc vraiment la campagne électorale qui fera toute la différence. En revanche, le FN n’est pas si haut en Ile-de-France. A Paris intra-muros, il est faible, autour de 10%, ce qui passe à 15% dans la petite couronne et 25% dans la grande périphérie, en Seine-et-Marne, soit une moyenne de 15 à 18% sur l’ensemble de la région. A une époque, ces scores auraient paru énorme : il y a seulement dix ans, le FN réunissait moins de 10% des voix en Ile-deFrance. Il a donc doublé son implantation. Mais il reste un parti minoritaire en Ile-de-France.