Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’accouchement est difficile. Le « binôme homme-femme» élus par « grands cantons » dans les départements, présenté par Manuel Valls, a été rejeté pour la deuxième fois, le 15 mars par le Sénat. L’opposition UMP, qui était alors majoritaire, avait voté en 2010 la réforme instituant le « conseiller territorial ». Elle ne s’est pas battu bec et ongles pour le retour à cette formule qui consistait pour l’essentiel à «fusionner» les mandats des conseillers généraux et régionaux. En revanche, elle s’est montré hostile à la création du «binôme» car elle est y voit, de la part du gouvernement, la double volonté de réduire la « représentation rurale » et de « manier les ciseaux » en faveur de l’actuelle majorité présidentielle. Le grand sujet de tension reste en effet le redécoupage cantonal puisque le nombre des conseillers départementaux – le nouveau nom des conseillers généraux – doit rester stable. Il y aura donc à l’avenir quelque 2 000 cantons, contre 4 000 actuellement. L’opposition été enrichie pour la circonstance de l’appoint des élus communistes – partisans de la proportionnelle – et de l’abstention des écologistes. En revanche toutes les autres dispositions du texte de Manuel Valls, notamment le changement de nom des conseils généraux, devenant «départementaux», et le «scrutin fléché» pour les intercommunalités, ont été adoptées, le gouvernement bénéficiant au Sénat du soutien des socialistes et des radicaux de gauche comme de l’abstention de l’UMP et des centristes. Déjà, lors d’une première lecture en janvier, le «binôme» avait été rejeté par la chambre haute.
Le ministre de l’Intérieur s’est félicité de l’adoption du texte. « Évidemment, a-t-il dit, il manque le binôme, mais les esprits ayant évolué sur cette question, je ne doute pas qu’un accord soit trouvé par la suite », en ajoutant : « Je me porte garant en tout cas pour que le gouvernement porte les avancées trouvées au cours du débat devant les députés ». Ceux-ci devront en effet étudier le texte en seconde lecture.
La commission des lois de l’Assemblée a déjà prévu de rétablir l’article 2 instituant le binôme pour que les députés puissent l’adopter, comme ils l’avaient fait en première lecture. Il faudra alors réunir une commission mixte paritaire (sept sénateurs et sept députés) pour tenter de rapprocher les positions des deux chambres. En cas d’échec, l’Assemblée aura le dernier mot. À la mi-mars, le gouvernement semblait assuré que le binôme homme/femme par canton verrait le jour.
L’enjeu est d’importance même s’il ne fait pas les gros titres de la presse parisienne ni l’ouverture des journaux télévisés. François Hollande lui-même a énoncé le principe de la parité homme-femme dans l’administration des départements, car ceux-ci ne comptent pour le moment que 13 % d’élues. L’autre idée majeure est de conserver une « représentation cantonale », même s’il ne s’agit plus tout à fait des mêmes cantons que par le passé, pour des raisons de proximité entre les citoyens et les électeurs. Manuel Valls a assuré que le redécoupage serait effectué en prenant l’avis de chaque Conseil général. Ce qui promet quelques débats houleux dans nombre de chefs-lieux car la parité et l’agrandissement des cantons compliquera notablement la tâche des sortants en quête de réélection.
Le vote des citoyens de l’UE
Parmi les autres dispositions du projet de loi, les sénateurs ont fixé à l’unanimité à 1 000 habitants, au lieu de 3 500 actuellement, le seuil à partir duquel sera en vigueur le mode de scrutin proportionnel par liste pour les élections municipales. L’Assemblée nationale avait retenu le chiffre de 500 habitants. Autre accord : l’élection directe, par fléchage, des délégués des communes dans les intercommunalités, les sénateurs améliorant la visibilité des candidats par rapport au système adopté par les députés. Chaque électeur devrait ainsi savoir, lors des municipales, quels conseillers siégeront dans les instances intercommunales. « L’ancrage des établissements publics de coopération intercommunale dans la démocratie locale en assurant l’élection de leurs membres au suffrage universel » (au terme du projet de loi) sera ainsi consolidé. Mais un écueil est apparu. On sait que pour des raisons de réciprocité, le droit de vote des citoyens de l’Union européenne est reconnu en France pour les municipales dans les communes où ils résident. Qu’en sera-t-il pour les intercommunalités dorénavant élues au suffrage universel direct ? Le gouvernement a donc déposé en annexe un projet de loi organique (relative à l’organisation des pouvoirs) permettant d’associer ces citoyens à l’élection des conseillés siégeant dans les EPCI (établissements publics intercommunaux à fiscalité propre). Le Sénat a aussi rétabli à 12,5 % des électeurs inscrits le nombre de suffrages que des candidats aux élections départementales doivent recueillir pour pouvoir se maintenir au second tour, alors que le gouvernement avait proposé 10 %. Ce relèvement a pour objectif de limiter les triangulaires. Un consensus est apparu par ailleurs sur le report à 2015 de la date des élections départementales et régionales, prévues en 2014, année électorale déjà chargée avec les municipales, européennes et sénatoriales.
Cette réforme des élections locales aura montré l’extrême sensibilité des élus nationaux – pour la plupart investis dans des responsabilités territoriales – au sujet des modifications de statut. Le gouvernement a voulu rassurer les défenseurs des départements en instaurant l’appellation de « conseils départementaux ». Mais tout se jouera, comme les États généraux de la décentralisation l’ont montré en octobre 2011, autour des répartitions de compétences entre les intercommunalités, les départements et les régions. La question du cumul des mandats (dont on ne devrait pas voir la suppression avant 2017) reste également ouverte. Jean-Marc Ayrault a cependant précisé début mars qu’un texte de loi serait présenté dans les prochaines semaines. Il s’agit d’une promesse de campagne sur laquelle François Hollande ne veut pas donner l’impression de reculer. Mais on devine déjà qu’une fois le principe consacré par la loi, la date de son entrée en application sera susceptible de créer beaucoup de discussions. C’est un nid à problèmes et le gouvernement ne peut passer outre l’avis des grands notables du PS. Lorsque Jean-Pierre Raffarin a expliqué récemment que la perte du Sénat avait joué un rôle dans la non-reélection de Nicolas Sarkozy, chaque élu s’est rappelé que la « bascule » de la chambre haute avait été en partie amenée par le passage en force de la réforme dite du « conseiller territorial » qui avait créé beaucoup d’interrogations chez les élus locaux modérés.
Une nouvelle loi de décentralisation
Dans ce contexte, les propos tenus par François Hollande à Dijon et à Bordeaux sur un «acte III de la décentralisation» ont recueilli un écho particulier. Car il était difficile de distinguer, dans les propos présidentiels, ce qui tenait aux réformes passées en hâte pour des raisons de calendrier – la loi sur les élections locales notamment – et à celles qui tiennent vraiment à une nouvelle doctrine en matière de décentralisation. Manifestement, le chef de l’État veut « une accélération de la décision publique » et les présidents des grandes métropoles poussent en ce sens. Mais c’est un chemin jalonné d’embûches car les réalités territoriales et politiques du Grand Lyon ne sont pas les mêmes que celles du « Grand Paris », pour ne citer que ces deux exemples presque antinomiques. Toute la difficulté, pour le chef de l’État et le gouvernement, sera aussi de montrer qu’une conception dite « métropolitaine» de la décentralisation n’étouffera ni les départements ni les petites communes.
Au moment même où l’on débattait encore du « binôme homme-femme », le texte préparé par les ministres Marylise Lebranchu et Anne Marie Escoffier atterrissait à l’examen du Conseil d’État en vue d’une adoption par le Conseil des ministres du 10 avril. Cette future loi, en discussion au Parlement au printemps, renforcera le pouvoir des métropoles par rapport à ce que prévoyaient les lois de 2010. Elles hériteront de la « concession de la distribution d’électricité», de la « création et l’entretien des dispositifs de recharge des véhicules électriques » et de la « gestion des milieux aquatiques ». Les capacités de transferts de compétences des régions et des départements vers les métropoles seront facilitées et élargies. L’État pourrait même transférer « l’aménagement, l’entretien et la gestion de grands équipements et infrastructures » ou le logement étudiant. Une solution pragmatique consisterait à organiser la répartition des compétences entre État, métropoles, régions, départements et inercommunalités de façon différente selon les particularités des territoires car ce qui est vrai à Bordeaux peut ne pas l’être à Lille ou à Marseille. Il s’agirait à n’en pas douter d’une nouvelle petite révolution. Le tout est de savoir si elle ne serait pas en contradiction avec l’image d’un Etat chef d’orchestre, poussant partout à l’efficacité et… aux économies !