L’annonce du dĂ©part en Nouvelle-CalĂ©donie d’Emmanuel Macron donne Ă penser qu’un nouveau chapitre est susceptible de s’écrire dans l’histoire tumultueuse de ce territoire français. Cela semble plus que nĂ©cessaire pour sortir des nostalgies et autres rancoeurs. Le « caillou », comme on l’appelle familièrement, s’était inscrit en lettres de sang dans l’actualitĂ© des annĂ©es quatre-vingt. Tuerie de Hienghène, carnage de la grotte d’OuvĂ©a, Ă©limination brutale du leader indĂ©pendantiste Eloi Machoro, assassinat de Jean-Marie Tjibaou : les journalistes qui ont couvert ces Ă©vĂ©nements n’ont pas besoin de faire grand effort de mĂ©moire pour que des images cauchemardesques leur reviennent aujourd’hui Ă l’esprit en constatant le retour de la violence. Avec elle refleurissent aussi les comparaisons qui ne sont pas raison – la guerre d’AlgĂ©rie ! – et la rĂ©surgence des explications toutes faites Ă©manant de gens qui, pour la plupart, n’ont jamais entrepris le long voyage (un aller et retour rĂ©clame au minimum cinquante heures d’avion) permettant de se faire une idĂ©e de la rĂ©alitĂ© sur place.
Aujourd’hui comme hier, commenter et a fortiori dĂ©cider que Paris s’expose Ă prendre parti sans vraie rĂ©flexion et Ă nĂ©gliger la complexitĂ© d’un archipel magnifique dont la population est Ă©quivalente en nombre (270 000 habitants) Ă celle d’une agglomĂ©ration mĂ©tropolitaine de taille moyenne. Dans un dĂ©cor qui inviterait plutĂ´t Ă l’insouciance tant il est magnifique en certains endroits, existe une spĂ©cificitĂ© qui s’appelle l’angoisse. Elle est partout comme pour mieux dĂ©montrer qu’il n’y a pas de paradis sur terre. La grande peur ancestrale des mĂ©lanĂ©siens, c’est de subir le sort des aborigènes historiquement dĂ©cimĂ©s dans l’Australie voisine. Les europĂ©ens, qu’ils descendent de bagnards, de dĂ©portĂ©s politiques de colons ou de fonctionnaires, intĂ©riorisent pour leur part la menace d’être considĂ©rĂ©s comme d’odieux colonialistes susceptibles d’être chassĂ©s de chez eux sous la double pression des autochtones et des militants progressistes du monde entier. Les nombreux membres des communautĂ©s asiatiques craignent, enfin, d’être conduits Ă revoir Ă la baisse leur espoir d’intĂ©gration dans un ensemble français garantissant Ă©tat de droit et prestations sociales.
Vaille que vaille, depuis les « accords de Matignon » de 1988 inspirĂ©s par la fine dentelle rĂ©fĂ©rendaire imaginĂ©e par Michel Rocard, la paix s’était maintenue. Elle avait Ă©tĂ© obtenue, rappelons-le, en bousculant nos traditions politico-administratives. Il avait Ă©tĂ© tenu le plus grand compte des Ă©changes entre des personnes susceptibles d’exercer une influence, qu’il s’agisse des prĂŞtres catholiques et des pasteurs protestants, des francs-maçons, des acteurs de l’économie et, naturellement, des autoritĂ©s coutumières. Ajoutons des fonds publics gĂ©nĂ©reux et une perspective de redistribution des cartes Ă©conomiques entre les rĂ©gions nord et sud. La rĂ©cente modification des listes Ă©lectorales, en revanche et quel que soit son bien fondĂ©, a Ă©tĂ© Ă©laborĂ©e en minimisant les aspirations des membres de la gĂ©nĂ©ration mĂ©lanĂ©sienne montante alors mĂŞme que des « influenceurs » Ă©trangers cherchent Ă les manipuler contre la France. Il est clair qu’une nouvelle « mission du dialogue » s’impose et, plus encore, que le prĂ©sident de la RĂ©publique sache se comporter en arbitre attentif et bienveillant.Â