Le 28 avril, les associations Meydane et CEJART ont organisé un colloque sur le patrimoine de l’humanité en péril et sa protection, invitant des spécialistes à s’exprimer sur le sujet.
Victor Hugo[3] s’était déjà indigné en 1861 contre le saccage du « Palais d’été impérial » lors des guerres de l’Opium en Chine. Si la destruction des biens culturels en période de guerre n’est pas récente, elle est profondément d’actualité compte tenu des conflits au Moyen-Orient. Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, dénonce même un véritable « nettoyage culturel[4] ».
Le temple de Baalshamin, l’un des plus importants du site syrien de Palmyre, « la perle du désert », a été détruit aux explosifs par les djihadistes, le 23 août 2015. Les premières phases de sa construction remontaient au IIIème siècle avant Jésus-Christ. Cet événement a profondément ému la communauté internationale et a été fermement condamné par l’UNESCO.
Isabelle Palmy, directrice du secrétariat permanent de L’ICOMOS, rappelle que « nous sommes les locataires du patrimoine », d’où la nécessité de le protéger. Dans le même sens, Irina Bokova considère qu’il est porteur de valeurs universelles et reflète les multiples visages de notre humanité commune. Quels sont les principaux outils juridiques existants afin de le protéger dans des zones de conflits ?
Une protection internationale progressivement renforcée
C’est à une époque relativement récente que le droit international humanitaire s’est intéressé à cette protection. Les Conventions de la Haye de 1899 et de 1907 ont posé le principe d’immunité des biens culturels, même en cas de siège ou de bombardement. Guidée par les précédentes, la Convention de la Haye de 1954 considère que la conservation du patrimoine culturel revêt une grande importance pour tous les peuples du monde et qu’il importe d’assurer sa protection internationale. Son deuxième protocole, adopté en 1999, oblige à poursuivre pénalement les auteurs de ces atteintes.
Ce sont ces principes qui ont fondé les statuts du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. À noter que ce Tribunal a ainsi condamné à huit ans d’emprisonnement Pavle Strugar, qui avait participé, en tant que chef militaire, à la destruction délibérée de la vieille ville de Dubrovnik, protégée par l’UNESCO.
La prise de conscience atteint son apogée avec la résolution 2199 du 12 février 2105, puis la résolution 2347[5] du Conseil de sécurité des Nations unies portant exclusivement sur la sauvegarde du patrimoine culturel, en péril lors de conflits. Adoptée à l’unanimité, le 24 mars 2017, cette dernière résolution met en place deux outils :
- Le concept de refuge afin d’abriter, hors de toute attaque, les biens et, si cela n’est pas possible dans leur territoire d’origine, de les expatrier temporairement jusqu’à la fin de la guerre ;
- La création d’un fonds international pour accompagner les opérations de sauvetage des biens culturels (structure juridique identique à celle du fonds des Nations unies pour le sida) ;
D’après Vincent Negri[6], chercheur au CNRS, le Conseil de sécurité trace une nouvelle voie ; conjuguée avec les compétences de la Cour pénale Internationale, cette démarche consolide la responsabilité collective pour assurer la protection de notre patrimoine commun. À l’en croire, ces résolutions des Nations Unies opèrent une conversion dans la conception de la protection internationale du patrimoine culturel qui prévalait jusqu’alors. Au-delà de la prise de conscience qu’elle manifeste, elle forge un principe de solidarité internationale, face à un groupement terroriste, tel que Daesh.
Contre le pillage et le trafic
La Convention de l’Unesco de 1970 et la Convention d’UNIDROIT sont des instruments juridiques internationaux pour lutter contre ces phénomènes : pillages de sites archéologiques, vols dans les musées… Pour l’archéologue Pascal Butterlin, nous assistons aujourd’hui à une instrumentalisation inédite des pillages de sites en Syrie et en Iraq, une véritable catastrophe. Pour enrayer ces trafics, l’ICOM a publié une liste rouge d’urgence des biens culturels syriens en péril[7], une sorte de vadémécum afin d’aider les professionnels de l’art, les agents des forces de l’ordre et les douaniers à identifier plus facilement ces objets protégés par la législation nationale et internationale, qui sont les plus susceptibles d’être achetés et vendus illégalement. Dans la même veine, l’article 56 de la loi française du 7 juillet 2016 et le nouvel article 322-3-2 du code pénal renforcent l’arsenal de lutte contre le trafic des biens culturels.
Ces dispositions font écho à la résolution 2199 du Conseil de sécurité des Nations unies , qui établit une interdiction du commerce d’antiquités exportées illégalement d’Iraq depuis le 6 août 1990 et de Syrie depuis le 15 mars 2011, reconnaissant le lien entre trafic illicite d’antiquités et source potentielle de financement d’organisations terroristes.
Les Musées veulent également s’impliquer dans cette lutte. Ils sensibilisent le public, à l’image de l’exposition « Sites éternels[8] », organisée par le Grand Palais fin 2016. Etienne Blondeau, conservateur au Louvre pour le département des Arts de l’Islam, insiste sur l’importance de leur travail documentaire. Il cite à l’appui le programme PAPSI, « Projet de sauvegarde des archives scientifiques sur le Patrimoine Syrien et Irakien », dont l’objectif final est de publier un inventaire détaillé en vue notamment de la restauration future du patrimoine bâti ou de la lutte contre le trafic illicite.
En bref,
-Conventions de la Haye de 1899 et de 1907 ; L’Article 56 de la Convention de 1907 prévoyait déjà que : « toute saisie, destruction ou dégradation intentionnelle de semblables établissements, de monuments historiques, d’œuvres d’art et de science, est interdite et doit être poursuivie ». – Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé en date du 14 mai 1954 et ses protocoles en date des 14 mai 1954 et 26 mars 1999. -Convention de l’UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriétés illicites des biens culturels en date du 14 novembre 1970. -Convention D’UNIDROIT du 24 juin 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés. – Résolution 2199 du Conseil de Sécurité des Nations -Unies -Loi française du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. – Loi française du 25 février 2017, les parlementaires français ont autorisé l’adhésion de la France au deuxième protocole relatif à la convention de la Haye de 1954. – Résolution 2347 du Conseil de Sécurité des Nations -Unies du 24 mars2017
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photo en Une: site de Palmyre, inscrit au patrimoine de l’humanité (photo archive), libre de droits
[1] Meydane : http://www.meydane.org/
[2] CEJART : http://cejart.fr/
[3] « L’empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd’hui avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d’été[3] », extrait de la lettre de Victor Hugo adressée au capitaine Butler.
[4] Propos prononcés par Irina Bokova lors de la Conférence internationale portant sur le « patrimoine et diversité culturelle en péril en Irak et en Syrie » à Paris le 3 décembre 2014.
[5] http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2347(2017)
[6] Vincent Negri, chercheur au CNRS : http://isp.cnrs.fr/?NEGRI-Vincent
[7] http://icom.museum/fileadmin/user_upload/pdf/Illicit_trafic/140612_ERL_SYRIE_ICOM_FR2.pdf
[8] http://www.grandpalais.fr/fr/evenement/sites-eternels