Me Emile Meunier est avocat engagé dans une action de lobbying en faveur de la transition écologique. Il est le cofondateur de l’association Halte à l’Obsolescence Programmée, qui vient de déposer plainte à l’encontre d’Apple et des fabricants d’imprimantes (HP, Canon, Brother et Epson) en considérant cette pratique comme un délit. Il appelle aujourd’hui les parlementaires de tous bords à se saisir de la question.
Votre association est en première ligne dans la bataille contre l’obsolescence programmée, pouvez-vous nous la présenter ?
L’association a été créée à la suite de la loi de 2015 instituant le délit d’obsolescence programmée. Notre but est de faire vivre ce délit, ainsi que des idées plus larges de développement durable, de protection de l’environnement et de changement de notre modèle économique vers quelque chose de soutenable pour la planète et la population. Tout simplement parce que si la terre entière doit vivre comme les européens, trois planètes seraient nécessaires : il paraît clair que nous ne disposons pas de cela. De fait, il faut transformer notre système économique et social vers une sobriété intelligente : un modèle qui induirait une gestion responsable des ressources sans diminuer notre qualité de vie et en la rendant accessible au plus grand nombre.
Quant à nos actions concrètes, nous avons porté plainte pour obsolescence programmée contre Apple et des fabricants d’imprimantes, notamment grâce aux quelques 10 000 signalements de dysfonctionnement recueillis sur notre site web. A l’heure actuelle, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes mène une enquête sur le sujet. Il sera ensuite du ressort du procureur de porter l’affaire en justice ou non.
L’obsolescence programmée serait-elle pour vous la première salve d’un combat plus large ?
Oui, c’est un fil à tirer qui pousse à s’interroger sur nos modes de consommation. Notre objectif de vie est-il de toujours plus consommer ? Posons aux députés une question simple : que voulez-vous que vos enfants fassent durant leur temps libre ? Qu’ils aillent au centre commercial dans le seul but d’acheter et de manger au fast-food, ou bien qu’ils s’amusent avec leurs amis en poursuivant une activité culturelle ou sportive ? Je pense que la deuxième option rencontrera un grand succès. Dans ce cas, pourquoi voudraient-ils l’inverse pour les enfants des autres ? S’interroger sur notre façon de consommer et la transformer est le combat que nous menons. Toutefois, il est bien facile de dire qu’une transformation est nécessaire sans créer d’alternatives derrière.
S’interroger sur notre façon de consommer et la transformer est le combat que nous menons.
Justement, quelles sont vos propositions ?
Concrètement, pour lutter contre l’obsolescence programmée, il s’agit de prévoir des mesures pour les entreprises. Il ne faut pas tomber dans le piège de la logique de sanctions et de dénigrement contre celles-ci. Il faut les accompagner et leur montrer quels bénéfices elles peuvent tirer de ce changement. Cela passe d’abord par une fiscalité avantageuse pour tout ce qui assure une longue durée de vie au produit, et faire peser les taxes sur les biens court-termistes. On peut donc imaginer une revalorisation des métiers de la réparation, avec par exemple des crédits d’impôts, et une TVA réduite sur les produits d’occasions et les pièces détachées. Concernant ces dernières, il faut aussi en diminuer les coûts de stockage. Si les fabricants produisent des biens qui peuvent être durables et réparables sur 10 à 15 ans, il faut que le stockage des pièces destinées à la réparation ne soit pas un frein pour eux. Un système de bonus-malus favorisant des produits durables contre des biens jetables pourrait également être instauré. Cela serait le cœur de la mesure puisque ce système inciterait les producteurs et les consommateurs à opter pour des biens durables.
Cela ne permettrait-il pas également de rendre accessibles financièrement certains produits de longue durée, parfois trop onéreux ?
En effet, mais il faut comprendre qu’acheter cher revient moins cher, à condition que cela soit de la qualité. La question est : comment le savoir ? C’est là que la nouvelle mesure du gouvernement proposée par Mme Brune Poirson est intéressante. Mettre en place un indice de vie évaluant un produit selon sa robustesse et sa réparabilité est un bon début. Le consommateur sait où il met son argent.
J’appelle de mes vœux une prise de conscience globale, et la mise en place d’une politique de l’économie de la ressource
Pourtant, vous vous inquiétez que cette mesure ne soit « qu’un arbre qui cache la forêt de l’obsolescence programmée », pourquoi ?
J’appelle de mes vœux une prise de conscience globale, et la mise en place d’une politique de l’économie de la ressource qui se décline de différentes façons. Je ne voudrais pas que le gouvernement dise : « nous avons lutté contre l’obsolescence programmée, merci et au revoir. »
Au fil de votre relation avec le personnel politique, observez-vous une certaine réticence de sa part concernant l’obsolescence programmée ?
Ce que nous proposons, c’est un changement culturel. De fait, si toute votre vie, vous avez appris qu’il faut consommer parce que cela fait de la croissance et donc de l’emploi, ce que nous proposons n’est pas une évidence. Nous menons en réalité une bataille culturelle. Toutefois, les députés élus l’année dernière sont plus jeunes et ne font pas partie d’une génération qui a grandi dans le culte de la croissance et de la consommation. Je crois qu’un changement des mentalités est possible, il est même déjà observable dans les débats parlementaires et les mesures du gouvernement dans lesquels apparaissent certaines de nos idées.
C’est une bataille au cœur de l’intérêt général contre un mode de consommation qui touche les citoyens au portefeuille et qui a des conséquences désastreuses sur l’environnement.
Quel message voulez-vous adresser aux parlementaires ?
Il est important de souligner que la lutte contre l’obsolescence programmée est un projet enthousiasmant. Derrière, il y a la question de la construction d’un modèle économique plus vertueux pour soi et ses enfants. C’est une bataille au cœur de l’intérêt général contre un mode de consommation qui touche les citoyens au portefeuille et qui a des conséquences désastreuses sur l’environnement. Si j’étais parlementaire, je me saisirais de ce dossier qui est à la croisée des chemins : écologie, économie, emploi, pouvoir d’achat…
Il est également important de penser cette action à l’échelle européenne pour avoir un impact plus conséquent. Par ailleurs, les élections européennes approchent et mon souhait est que l’on retrouve le combat que je porte dans plusieurs listes électorales, quelle qu’en soit la couleur. Certes, les politiques de gauche sont plus enclins à nous écouter, car l’écologie fait déjà partie de leur corpus idéologique. Cependant, je pense qu’il y a un sens de l’histoire inévitable qui joue en notre faveur. Je n’oublie pas, par exemple, que le Grenelle de l’environnement, qui est une grande avancée, a eu lieu pendant le mandat de M. Nicolas Sarkozy.
Propos recueillis par Louis Beauvié.
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