Bien que non écrite, la devise européenne semble toujours être la même : « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? ». Au nom de la sacro-sainte Union, des règles sont édictées par les institutions communautaires, puis elles sont contournées en vertu de l’indépendance tout autant sacrée des nations. L’histoire des panneaux solaires chinois qui n’est, espérons-le, pas terminée apporte une édifiante illustration de cet état de choses. La France voulait protéger 25 000 emplois générés par les industries liées au développement durable en taxant à leur entrée en Europe les panneaux fabriqués en Chine. Non seulement les particuliers et les collectivités s’équipent de plus en plus de ces matériels – dans un contexte de fiscalité interne changeant, soit dit en passant – mais encore les centrales solaires qui naissent un peu partout en réclament des quantités non négligeables. Les Chinois ont donc, pour éviter les barrières douanières, utilisé toutes les ressources de leur méthode consommée de la pénétration des marchés : utilisation d’intermédiaires, la Malaisie et Taïwan notamment, liés par des accords préférentiels avec l’Europe et prix de vente si bas que d’aucuns parlent de « dumping ». Pour que l’offensive soit encore plus efficace, ils ont aussi profité de leurs bonnes relations bilatérales avec l’Allemagne pour mettre en avant une « politique de libre échange » qui, en l’occurrence, leur est surtout profitable.
On sait que la Commission européenne a réagi en prenant des mesures provisoires, prévoyant des droits pouvant aller jusqu’à 47 % si aucun accord n’est trouvé. Mais il y a fort à parier que les arguments allemands, en faveur d’une taxation faible ou inexistante, feront aussi leur chemin lorsque les États, dans les mois à venir, devront ratifier la décision de la Commission. La chancelière Merkel a eu beau jouer l’apaisement, il est clair que dans cette affaire comme en bien d’autres « l’Europe ne parle pas d’une seule voix » car la France est assez isolée et, de plus, menacée de mesures de rétorsion chinoises… sur le vin et les produits de luxe !
À n’en pas douter, il s’agit d’un dossier très sensible dont on n’a pas fini de parler. Car les défenseurs de l’environnement peuvent très bien se retrouver dans le camp des partisans de la libre circulation des produits. À long terme, ils plaident pour la création d’emplois et de richesses liées aux nouvelles énergies. Mais à court terme, ils doivent lutter – comme on l’observe notamment aux États-Unis – contre toux ceux qui voient dans l’exploitation du gaz de schiste un nouvel eldorado. La question du prix de revient de l’énergie solaire est donc cruciale. Importer rapidement des panneaux chinois à bas coût serait donc pour beaucoup « un mal pour un bien ».
La « guerre des panneaux » concentre ainsi quantité d’enjeux : la défense de la compétitivité de nos industries, les préoccupations environnementales, le libre-échange et le bon fonctionnement de l’Europe. Elle montre à quel point, si la critique et le sarcasme sont faciles, l’art de la politique est devenu difficile dans nos sociétés complexes !