Vous avez signé, avec François Kalfon et Laurent Baumel, la contribution “Un quinquennat pour consolider la reconquête des catégories populaires”. Après ces premiers mois de quinquennat, êtes-vous plutôt rassuré ou inquiet ?
Difficile de juger après cinq mois de mandat tant la gauche revient de loin. En 1981, 60 % des ouvriers votaient pour Georges Marchais ou François Mitterrand contre 37 % pour François Hollande et Jean-Luc Mélenchon en 2012. Lorsque l’on sait qu’à lui seul, le Front national obtient 28 % des voix ouvrières, on mesure que le travail prendra bien plus que quelques mois, d’autant que le contexte économique ne facilite pas la tâche du gouvernement.
Pour certains ce n’est pas un problème, je pense notamment au think tank Terra Nova qui prône le recentrage de la stratégie électorale vers les “bobos” et les populations immigrées, pour faire court. Or la gauche au pouvoir ne doit pas oublier que son message historique est de défendre l’ensemble des classes populaires et le salariat.
La reconquête des classes populaires ne passent-elles pas aussi par Bruxelles ?
Il manque à l’Union européenne une base démocratique solide. Sans Europe politique, impossible de donner un sens à la construction européenne. Pour les Français, c’est frustrant. Nos concitoyens les moins favorisés sont désorientés et on les comprend. L’Europe est aujourd’hui trop poreuse, en particulier sur le plan économique où le juste-échange est inexistant. Deux exemples :
•Est-il normal que les coréens puissent exporter des voitures sur notre continent alors que nous ne pouvons en exporter dans leur pays ?
•Comment justifier que Mittal Steel Company, groupe indien, puisse lancer une OPA contre Arcelor, groupe européen, alors que lui-même, de par sa structure, n’est normalement pas exposé à une OPA ? Je doute que les États-Unis ou la Chine acceptent ces situations. Pourquoi l’Union européenne l’accepte-t-elle ?
Enfin, nous n’avons pas été capables d’inventer un État-providence européen et de définir un minimum de règles communes notamment en matière fiscale. Les Français les plus aisés n’ont qu’une frontière à traverser pour échapper à l’impôt, en Belgique ou au Luxembourg par exemple, c’est-à-dire là où siègent les institutions européennes !
Mis bout à bout, ces éléments expliquent en grande partie la perplexité des Français quant à la construction européenne.
L’augmentation du SMIC et la baisse du prix de l’essence relèvent plus du symbolique que la hausse réelle du pouvoir d’achat. Le gouvernement n’a-t-il pas finalement plus déçu qu’autre chose ?
La problématique de la précarité dépasse le niveau des salaires. Elle touche notamment à la typologie du contrat de travail. Le nombre de travailleurs pauvres augmente (stages, temps partiels subits, CDD, intérim, etc.). Dans un secteur comme la grande distribution, non exposée à la concurrence internationale, est-il logique que l’on ait tant recourt à des contrats précaires ? Le constat vaut aussi pour certains services publics, comme La Poste. Cette situation pénalise terriblement les classes populaires et participe de leur ressentiment. Auparavant le travail en usine était pénible mais permettait l’émergence d’une conscience et d’une solidarité de classe. Le travail, autrefois partie d’une identité ouvrière, se perd aujourd’hui. Les ouvriers sont du coup déstabilisés. Au-delà de la mondialisation, c’est aussi le regard que porte la société sur le travail non-qualifié qu’il faut questionner.
En termes de dépenses, les marges de manœuvre de la majorité sont limitées. Quels autres leviers actionner dans ces conditions ?
Deux années difficiles se profilent. La dette a presque doublé depuis 2002, il faut bien la réduire, ne serait-ce que pour sortir de cette situation de dépendance vis-à-vis des marchés financiers et se dégager des marges de manœuvre. Une réflexion s’ouvre actuellement sur le prix du travail en France. Pour que ses conclusions soient justes, il faut différencier les secteurs exposés de ceux qui ne le sont pas (en particulier les services). Plus globalement nous sommes face à un choix de société. Beaucoup de métiers non qualifiés disparaissent ce qui laisse présager un progrès. Mais cela joue aussi sur les courbes du chômage et les allocations. En termes de coût global,
la société est-elle gagnante ?
Les catégories populaires ce sont aussi les territoires périurbains et ruraux qui souffrent de désertification.
Que faire pour lutter contre ce phénomène ?
Prenons l’exemple de la faillite du sous-traitant automobile New Fabris l’année dernière à Châtellerault, dans la Vienne. Imaginez le cas d’un couple d’ouvriers qui a acheté sa maison à crédit à proximité de l’usine. Une fois l’usine fermée, isolé géographiquement, sans emploi à proximité que peut-il faire ? La réflexion doit mêler économie et aménagement du territoire.
Le problème concerne aussi les gens qui vivent dans la grande périphérie des métropoles – en région parisienne, lyonnaise, lilloise, etc. Ils ont quitté les centres villes à cause du prix du foncier et sont soumis à des migrations pendulaires terribles. L’Ile-de-France est sur ce plan très en retard. À Pékin, ils terminent le quatrième périphérique alors que nous n’avons même pas fini le deuxième. Notre région n’est pas à l’échelle des enjeux métropolitains, au détriment du quotidien de ces habitants, souvent moins aisés que ceux du centre ville. Le lien social et le portefeuille s’en ressentent irrémédiablement.
Vous espérez faire du PS un “outil et laboratoire du changement”. Est-ce possible pour un parti au pouvoir ? En prend-on le chemin ?
Revenons en arrière. Lorsque Lionel Jospin accède à Matignon en 1997, un élan se crée. Mais à partir de 2000, nous n’avons pas su nous réinventer dans la perspective de l’élection présidentielle. Parmi les causes de la défaite de 2002, le décalage entre les attentes de la société et les propositions du candidat Jospin, en particulier sur les questions de sécurité, compte. Or à l’époque, les responsables et les militants, qui écoutaient ce qui se disait autour d’eux, alertaient sur l’inquiétude des Français mais l’information ne remontait pas jusqu’au gouvernement.
En 2017, il y aura un bilan à défendre et un projet à proposer. Le Parti socialiste et les élus participent au travail de la majorité mais rencontrent aussi les Français avec qui ils discutent, échangent, etc. et peuvent donc contribuer à réajuster le “logiciel”. La France et le monde bougent vite, nous allons entrer dans une deuxième puis une troisième phase du quinquennat. Il faudra être prêt. Être en responsabilité n’empêche pas de débattre et le débat ne signifie pas que l’on n’est pas responsable. Au contraire !