Christian Favier, président du Conseil général du Val-de-Marne, analyse les dangers du Grand Paris, qui pourrait selon lui créer une métropole à deux vitesses, avec à terme une fracture sociale entre les « zones attractives » et les autres.
Dans le projet de loi portant affirmation des métropoles, certains plaident pour un transfert de compétences des trois départements de la petite couronne (92, 93 et 94) à la Métropole du Grand Paris. Qu’en pensez-vous ?
Cette année, nous fêterons le 50e anniversaire de la création des départements de la petite couronne, qui fut un premier acte de la décentralisation. Il est important de préserver cette organisation, parce que l’échelon départemental reste un intermédiaire de péréquation et de correction des inégalités territoriales. Les réformes envisagées ne prennent pas en considération cette réalité. Pour l’instant, au terme des différentes lectures, Métropole de Paris est un établissement public de coopération intercommunal, à l’échelle de Paris et de la petite couronne, supprimant les intercommunalités préexistantes constituées par les 124 communes de cet ensemble. La Métropole aura comme compétence l’urbanisme, le logement, la transition énergétique. Les autres prérogatives seront renvoyées vers les communes qui avaient fait le choix, pour 60% d’entre elles, de gérer en intercommunalité des compétences choisies librement. Or, avec leur suppression, il est possible qu’elles soient contraintes de recréer des syndicats intercommunaux pour gérer les domaines non transférés à Métropole de Paris. Avec une grande incertitude sur les moyens, car c’est au Grand Paris que la loi les affecte. Cette nouvelle entité comportera 6,5 millions d’habitants. Elle sera, par sa construction, très centralisée et éloignée des préoccupations quotidiennes des habitants. De plus, elle survient à l’heure des restrictions budgétaires. Pour libérer les énergies et les projets, prendre en considération les projets des territoires, je pense que la Métropole doit être multipolaire et pas centrée uniquement sur Paris et sa banlieue. Il faut à tout prix éviter la région à deux vitesses qui se profile avec la Métropole.
Ce projet de loi s’inscrit, pourtant, dans la perspective de coordonner les politiques publiques, de mutualiser les dépenses. En temps de crise, n’est-ce pas nécessaire ?
La mutualisation n’est pas une mauvaise chose, si elle permet d’améliorer le système. En matière de coopération entre les communes, de très bonnes choses ont été faites. Mais il y a danger quand la mutualisation est mise en avant pour justifier une réduction ou une suppression du service public. Beaucoup d’entre eux n’accueillent plus les gens. La communication s’effectue désormais par des serveurs téléphoniques et numériques qui créent des fractures sociales parce que tout le monde n’y a pas accès. Dans les services sociaux du Val-de-Marne, nous avons les répercussions de la fermeture d’autres services. Résultat : nos agents sont souvent débordés, parce qu’ils sont une des dernières portes ouvertes. Pourtant, la crise nous a contraint à des efforts de gestion considérables. Le nombre d’allocataires du RSA a explosé et le décalage entre les allocations versées et ce que nous touchons de la part de l’État représente près de 80 millions d’euros. Mais je refuse de céder aux pressions financières, parce que je pense que la cohésion sociale est un investissement. Il faut garder des lieux ouverts, où des gens qui ont des problèmes urgents peuvent être aidés, accompagnés dans leur démarche. C’est ma conception de la société.
Le projet de loi ouvre également la voie à la création de métropoles françaises, qui sont le moteur économique de la France. Quelle est votre position ?
Selon moi, la concentration des investissements importants à l’échelle des métropoles présente le risque d’aggraver les disparités. Il faut encourager le développement économique mais veiller à tirer vers le haut les autres territoires moins attractifs. C’est pour cela qu’exclure la concurrence des territoires et instaurer la solidarité, la coopération, est nécessaire. La croissance ne peut provenir que d’un mouvement d’ensemble adossé à de nouveaux critères de satisfaction des besoins individuels et collectifs. Sans cela, il est fort probable que les personnes vivant à l’extérieur d’une métropole verraient un fossé se creuser. Ce n’est pas ma conception de l’aménagement des territoires.