Après “l’identité nationale”, c’est au tour de la citoyenneté française de prendre les devants dans le débat public. La notion divise, mais ne devrait-elle pas au contraire rassembler les individus dans la continuité de la tradition républicaine française ? C’est du moins l’avis du Conseil d’Etat qui a présenté en septembre son étude annuelle.
On l’aura compris, la citoyenneté est dans l’air du temps. Et c’est sans doute un peu nostalgique que le Conseil d’Etat se remémore les drapeaux tricolores hissés par des centaines de milliers de Français au lendemain des attentats qui endeuillèrent le pays, ou, dans un registre plus heureux, durant la coupe du monde de football. “Les éléments dramatiques ou heureux attestent que la citoyenneté comporte une dimension émotionnelle”, développe le rapport. Martine de Boisdeffre, présidente de la section du rapport et des études, s’est félicitée de la popularité du cycle de conférences organisé en préliminaire. “L’initiative a réuni beaucoup de monde, et pas seulement des habitués de la maison ; cela révèle l’intérêt soutenu du public pour ce thème”.
Citoyenneté, marque déposée ?
Outre ses attributions administratives et juridictionnelles, il est du rôle du Conseil d’Etat, de publier annuellement des études relevant de l’intérêt général. Le contraste apparent entre l’idée récurrente que la citoyenneté française subit une crise et le resurgissement d’une terminologie “citoyenne” l’a conduit à ausculter ce sujet. Entre projets qualifiés à tort ou à travers de citoyens, consultations et entreprises citoyennes, les Français font face à une prolifération de ces expressions contemporaines qui dénaturent selon lui la notion de citoyenneté. L’étude va donc jusqu’à préconiser la création d’un label citoyen qui viendrait qualifier, ou pas, les projets se prévalant de cet intérêt général.
L’engagement civique au service d’une citoyenneté vertu
S’il refuse pour autant de parler de “crise” de la citoyenneté, le Conseil d’Etat fait le triple constat d’un manque de confiance des Français dans leurs représentants, de leur incompréhension face à la persistance des inégalités et d’une perception “brouillée” des devoirs du citoyen. De ce sombre tableau se dégage en revanche un certain renouveau de l’engagement citoyen. Ainsi que le rappelle François Séners, rapporteur général, “on ne naît pas citoyen, on le devient ” et cela peut-être en s’engageant spontanément au service du bien commun. Après tout, le propre de la citoyenneté à la française, c’est de refléter un désir d’appartenance à la nation sans tenir compte de critères déterministes d’origine ou de territoire indépendamment desquels les citoyens peuvent “sceller ensemble une communauté de destin”. C’est d’ailleurs l’argument qui avait poussé l’Assemblée nationale à rejeter en avril dernier l’amendement du droit du sol proposé par le Front National1.
La vitalité actuelle de l’engagement citoyen fait naître de fervents espoirs au Conseil d’Etat qui y voit un nouveau projet fédérateur pour la France. “Le dévouement des élus locaux et des responsables associatifs, l’économie sociale et solidaire montrent que l’engagement au service de causes d’intérêt général est vécu comme un enrichissement des parcours individuels, permettant de recréer du lien collectif.” Le service civique, ouvert aux jeunes de 16 à 24 ans depuis 2010 est le grand vainqueur de l’étude. Il bénéficie désormais à 135 000 jeunes par an, nombre qui devrait être renforcé grâce à la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté de 2017. A cette innovation juridique prometteuse s’ajoute un phénomène technologique : celui des “civic techs”, ces entreprises et associations souhaitant renforcer l’engagement citoyen par le biais d’outils numériques. Ce mouvement va de pair avec l’essor des “consultations citoyennes” mises en ligne par les mairies et les régions notamment et impliquant les citoyens dans les prises de décisions. La consultation sur le choix du nom de la région désormais baptisée Occitanie avait mobilisé par exemple plus de deux cent mille participants.
Réconcilier les citoyens avec leurs élus
Après avoir revisité la notion classique de citoyenneté, le Conseil d’Etat s’est employé à formuler des recommandations pour renforcer une dynamique déjà bien engagée. Certaines pistes de réformes sont écartées : le vote obligatoire, le vote électronique et l’abaissement de l’âge de la majorité par exemple. Il s’agirait plutôt de favoriser la vie démocratique locale en valorisant l’engagement des élus. Dans un effort de clarification des élections, un regroupement des dates des élections municipales, départementales et régionales au sein d’un même “rendez-vous” local devrait raviver l’intérêt des citoyens pour les scrutins. Le rapport attire aussi l’attention sur la nécessité d’inclure les citoyens dans l’évaluation a posteriori des politiques publiques. Gain de légitimité pour les élus et de confiance pour leurs électeurs, un tel contrôle ferait d’une pierre deux coups.
L’éducation, au coeur des enjeux de la citoyenneté
Renforcer la citoyenneté passe par l’éducation ; tel est le mot d’ordre du Conseil d’Etat. Pédagogie de la solidarité et de la laïcité à l’école, initiation des lycéens au droit, renforcement de l’égalité d’accès aux stages des étudiants, tant de possibilités sont proposées pour sensibiliser les jeunes. Mais l’éducation à la citoyenneté de relève pas uniquement de l’école. Le Conseil d’Etat met en cause la responsabilité pédagogique de la télévision dont il préconise de réévaluer les obligations. “Les chaînes de télévisions pourraient, en particulier s’agissant des chaînes publiques, répondre à des obligations de production d’émissions à dimension pédagogique sur la citoyenneté ”. Les réseaux sociaux pourraient être eux-aussi mis à contribution pour promouvoir des projets civiques. Après tout, Facebook déclarait dans son Rapport d’engagement 2017 son intention de mettre le numérique “au service des communautés associatives et citoyennes ”. Enfin, valoriser la citoyenneté française doit se faire par le biais des “rites et des symboles républicains”. Le Conseil d’Etat vante les mérites de l’hymne de La Marseillaise, car “le voir entonné spontanément, sur le perron de l’Elysée, a capella, par les champions du monde fut un puissant marqueur de citoyenneté ”. Au programme : un concours collectif proposant aux jeunes d’inventer chaque année un nouveau couplet “exprimant, dans une tonalité contemporaine, les valeurs républicaines” et entonné, pourquoi pas, à l’Arc de triomphe, le 14 juillet. Citoyens à vos plumes !
(1) Jean-Luc Mélenchon rappelait à l’Assemblée nationale en avril 2018 l’histoire romaine de la nation française qui fait du désir d’y appartenir un élément constitutif de la citoyenneté, à l’inverse des nations ethniques. L’étude du Conseil d’Etat détaille ces conceptions opposées dans une étude de droit comparé.
Image à la une: Au Conseil d’Etat, le comité de direction de l’étude présentait son rapport après un an de travail. © Conseil d’État